✤ Traits de caractères Eliott préfère qu’on l’appelle Alek. Son premier prénom est trop relié à ses parents, morts, pour qu’il ose encore l’utiliser. Il est très sensible face à cette partie de son histoire, allant jusqu’à devenir violent lorsqu’on lui pose trop de questions. Pourtant il n’est pas dénué de défenses verbales. Au contraire, il est passé maître dans l’art du sarcasme. Il peut même en devenir méchant et blesser de sa langue acérée et si bien pendue. Il lui est impossible de résister à l’attrait d’une remarque bien placée peu importe qui lui fait face. La faute à sa tante, la femme qui l’a élevée, spécialiste ès sarcasme.

La vie a fait d’Alek quelqu’un de cynique. Le fait que ses parents lui ait caché une vérité essentielle sur lui-même, sur eux, sur le monde dans lequel il vit, l’a marqué à jamais, si bien qu’il prône l’honnêteté, même quand elle peut faire mal. Néanmoins, il assume très mal lorsque cette honnêteté est tournée contre lui. Il déteste faire face à ses propres faiblesses, ça ne fait que lui rappeler encore et encore qu’il n’a pas pu protéger ses parents d’un destin cruel même s’il n’avait qu’onze ans quand ils se sont fait assassinés.

Ayant vécu une grande partie de sa vie seul et sans aucun contact avec les CESS, il accepte très peu l’aide des autres et refuse de donner la sienne. C’est ce qui pourra poser un problème lorsqu’il découvrira le pard. L’intégration sera sûrement difficile, mais une fois dompté, il est d’une loyauté sans pareille bien qu’il ne soit pas évident de l’obtenir.

Alek est d’un naturel calme et tranquille à la surface, sur son visage flotte toujours un sourire amusé, comme si le monde entier n’était qu’une vaste blague. Il aime à cacher son esprit affuté et son sens de l’observation derrière un esprit léger, peu enclin au sérieux des magouilles politiques. Mais à l’intérieur de lui brûle une haine viscérale contre le meurtrier de ses parents. C’est sa quête secrète et l’une des principales raisons pour laquelle il a atterri à Shreveport. Alek est à la recherche constante de puissance dans ce seul but, venger ses parents du vampire qui les lui a arraché.

Séducteur invétéré, il n’hésite pas à user de son charme pour obtenir ce qu’il veut. Homme ou femme, Alek aime le sexe et ne s’en cache pas. Pas pudique pour un sou, il aime mettre mal à l’aise les gens avec ses allusions sexuelles constantes.

✤ Occupation diurne Depuis qu’il est arrivé aux Etats-Unis, Alek enchaîne les petits boulots. Même s’il est titulaire d’un master en communication, il n’a jamais voulu chercher un travail dans ce secteur là. Ca aurait voulu dire qu’il était prêt à s’installer, hors il n’a jamais trouvé d’endroit satisfaisant et il a quelque chose à accomplir. Il n’est même pas sûr de vouloir s’installer quelque part. Shreveport n’est qu’une étape dans son voyage, une grosse étape cependant.

Il n’est arrivé que depuis quelques jours, il ne connaît personne, vit encore dans l’auberge de la ville et cherche mollement de quoi subvenir à ses besoins. Les économies héritées de ses parents pourraient lui permettre de vivre normalement pendant quelques années, mais il veut s’insérer dans le système de la ville pour pouvoir mieux comprendre son fonctionnement, et  surtout pour pouvoir enquêter en toute discrétion.

Pendant ses quelques jours de liberté, Alek visite Shreveport mais surtout les lieux où les gens se rassemblent pour faire la fête. Ne dit-on pas que l’alcool délie les langues ? Il découvre les quartiers vampires, garous et humains et les bars et autres établissements dans lesquels ils aiment se détendre. Il sait déjà qu’il les fréquentera bien souvent, n’étant pas du genre casanier.

Ce qui lui permettra d’exercer son sport favori, le flirt. Gentillet ou sulfureux, il adore flirter autant avec ces dames qu’avec ces messieurs. Il se sait beau garçon et n’hésite pas à en profiter.

✤ Transformation Alek est un léopard des neiges. Grand félin aux muscles fins mais puissants ; pelage brun clair tirant sur le blanc taché de noir ; les yeux vairons, l’un d’un bleu similaire aux eaux tropicales qu’il n’a jamais vues qu’en photo, l’autre quasi blanc. Un sort jeté par l’aniota de la meute de ses parents lorsqu’il était encore un nourrisson, a scellé sa bête jusqu’à ses dix-huit ans. Ce sort a rendu sa bête quasi incontrôlable, et quelques fois elle semble avoir envie de se défouler. En ont découlés plusieurs effets propres à Alek.

Il peut se transformer à tout moment sous le coup d’émotions fortes négatives comme la colère ou la peur, partiellement ou totalement. Sa bête choisit toujours de se montrer dans les moments où il est le moins maître de lui-même, évidemment. Elle semble vouloir se faufiler dans chaque faille ouverte par ses émotions, comme si elle voulait rattraper ces années où elle a été scellée sans jamais pouvoir sortir au grand jour.
Au début, ses transformations ont été particulièrement difficiles et longues quand elles étaient choisies, pouvant aller de quelques secondes dans ses meilleurs jours à quelques vingt minutes les nuits de pleine lune. Elles sont d’autant plus douloureuses qu’elles durent longtemps.

Avec les années Alek a réussi, à force d’entraînements et de méditations, à diminuer le temps de sa transformation de quelques minutes sans jamais réussir à faire preuve d’autant de rapidité que les rares autres garous qu’il a déjà vus se transformer. Ses yeux vairons sous sa forme animale sont une autre preuve du sort qui a emmuré sa bête au plus profond de lui pendant des années.

Il n’a jamais appartenu à un pard, se contentant de se présenter au Nimir-Raj quand il y en avait un dans les villes dans lesquelles il s’installait.

✤ Convictions La Révélation a eu lieu alors qu’Alek avait seulement quatorze ans. De par son héritage culturel - sa mère serbe, son père écossais -, il a toujours entendu toute sorte de mythes concernant ces êtres de légende. Jamais il n’aurait cru que leur existence serait belle et bien réelle. Il a immédiatement été fasciné par les vampires, les premiers à être sorti dans l’ombre. Et évidemment il s’est demandé s’il en existait d’autres.

Jamais il n’aurait cru faire partie de ces créatures fantastiques, jamais il n’aurait imaginé être l’un d’eux. D’autant plus que la situation des CESS en Serbie n’était – et n’est toujours - pas aussi officielle que celle des Etats-Unis. Là-bas les CESS se cachent encore dans l’espoir de ne pas se faire attaquer et chasser même si cela fait des centaines d’années que les serbes savent plus ou moins que des êtres différents, pas tout à fait humains vivent parmi eux. On aurait pu attendre d’eux qu’ils se soient sentis soulagés qu’ils apparaissent au grand jour (enfin à la grande nuit pour certains) plutôt qu’ils restent dans l’ombre à hanter chaque recoin sombre des chaumières. Mais bien au contraire, vivre en Serbie en tant que CESS est plus dur qu’il n’y paraît.

C’est pour cela que dès qu’Alek a pu partir, il s’est exilé aux Etats-Unis, terre d’accueil de tous ces êtres issus de romans. Malheureusement, toutes ses belles utopies d’entente inter-races ont été détruites quand il est arrivé en Amérique. La mésentente est telle qu’en Serbie, les créatures surnaturelles sont recensées comme des troupeaux de bétails, les humains les attaquent tout autant que dans son pays mais avec bien plus d’organisation. Tout est pareil. Tout. Sauf qu’ici se trouve la plus grande communauté CESS du monde et donc beaucoup plus de personnes à interroger pour accomplir sa vengeance.

✤ Signes particuliers ◆ Il a une tâche de naissance en forme d’étoile sur la hanche et la date de la mort de ses parents tatouée sur la nuque comme sur un mémento, à jamais graver sur sa peau.
◆ Il est claustrophobe.
◆ Il sait très bien contrôler ses réactions et son langage corporel à défaut de pouvoir mentir.

J’ai toujours baigné dans les mythes et légendes, les créatures surnaturelles sans pour autant me douter que ce monde là était réel et, surtout, que j’en étais une moi-même.

Je suis né d’un père écossais et d’une mère serbe. C’était un couple uni, amoureux, à la limite du cliché. Ils étaient si différents mais s’aimaient tellement. Mon père était un professeur à l’université de Glasgow et enseignait la littérature folklorique écossaise. Il adorait son métier. Souvent il rentrait à la maison, les cheveux ébouriffés par le nombre de fois où il y avait passé les doigts, ses yeux verts brillants d’excitation derrière ses lunettes mises de guingois sur son nez. Il adorait son métier et nous en parlait toujours pendant les repas.
Certains soirs, il venait me raconter des histoires de faes, de dieux celtiques et autres créatures qui auraient peuplé l’Ecosse des siècles auparavant. Ses histoires me paraissaient si réelles à l’époque. Surtout quand ma mère nous rejoignait et commençait à me conter les légendes serbes que sa propre mère lui racontait. Sa voix douce et ses descriptions précises des loups garous, des vampires, des sorciers m’effrayaient et me fascinaient tout à la fois. Puis elle se penchait sur moi pour embrasser mon front, ses longs cheveux bruns venant chatouiller mes joues rebondies.
Ma mère était une femme douce, toujours souriante et très belle. Plus grande que mon père mais très menue, elle n’en était pas moins une femme étonnamment forte. Quand j’y repense aujourd’hui, je comprends pourquoi. Ses yeux… Ses yeux étaient les plus étonnants qui soient. Un cercle de gris fumée entourait sa pupille jusqu’à tirer sur le vert luminescent des plaines herbeuses d’Ecosse dans le cercle le plus éloigné mais le plus étonnant restait qu’à chaque fois que je la regardais droit dans les yeux, c’était comme si deux personnes me regardaient : ma mère et autre chose que je n’ai jamais pu décrire. Une impression diffuse qui disparaissait rapidement.
J’aimais mes parents autant qu’eux mêmes m’aimaient. J’ai vécu ainsi, à la campagne à une dizaine de minutes de Glasgow pendant près de onze ans croyant grandir dans une famille des plus normales, avec un père original et une mère que j’admirais.

2004
Cette année là, j’entrais au collège. J’étais excité comme jamais mais effrayé aussi, j’avais l’impression de quitter l’enfance et d’avoir des choses que je ne pouvais plus faire. Ce fut à ce moment là que mes parents commencèrent à agir bizarrement. A chaque fois que je rentrais de l’école, ma mère m’inspectait de haut en bas, guettant un signe. Mais lequel ? Lorsqu’elle était rassurée, elle m’adressait enfin un sourire et me proposait de goûter. Ils étaient de moins en moins enclins à me laisser sortir seul. Je surprenais des conversations chuchotées qui s’arrêtaient dès que j’entrais dans la pièce.

16 décembre 2004
Un soir d’hiver, je lisais après l’heure du coucher. Ma mère détestait que je fasse ça et me punissait toujours quand elle me surprenait. C’est pourquoi quand j’entendis le grincement des marches en bois de l’escalier, j’éteignis immédiatement la lumière pour me cacher sous les couettes et faire semblant de dormir. La porte grinça sur ses gonds. Quelques pas et je sentis une présence au dessus de moi. Silence pendant une minute entière puis la voix angoissée de ma mère.

« Alors ?
-Rien du tout. Sa bête est toujours ancrée au plus profond de lui, répondit une voix d’homme que je ne connaissais pas. »

J’entendis deux soupirs soulagés, quelques chuchotements plus ténus puis mes parents et la mystérieuse personne s’en allèrent me laissant seul avec mes pensées. De quoi parlaient-ils ? Qui était cet homme ? Et de quoi parlait-il en mentionnant ‘ma bête’ ? Ces questions me gardèrent éveillés pendant une bonne partie de la nuit mais je finis par sombrer dans un sommeil sans rêve.
Le lendemain, je posai mes questions à mes parents pendant le petit déjeuner. Nous étions tous assis autour de la petite table ronde de la cuisine près de la baie vitrée donnant sur notre immense jardin enneigé qui se terminait à l’orée d’un bois.

« Qui était l’homme qui est venu dans ma chambre cette nuit ? Et pourquoi j’ai une bête ? »

Le silence tomba comme une chape de plomb. Mes parents ne bougeaient plus, me dévisageant avec une expression qui m’était inconnue à cette époque là mais que j’ai plus tard identifiée comme de la peur. Ils ne parlèrent pas pendant une minute entière tandis que je les dévisageais, mon regard passant de l’un à l’autre en attente d’une réponse. Finalement, ma mère afficha une pâle copie de son sourire sur ses lèvres tremblantes et vint caresser ma joue doucement.

« Tu as dû rêver mon cœur, personne n’est venu dans ta chambre cette nuit. Avale vite ton déjeuner, tu vas être en retard pour l’école. »

Elle débarrassa les restes de son petit déjeuner qu’elle avait à peine touché et nous tourna le dos pour commencer la vaisselle. Mon père reprit contenance à ce moment là, reprenant les mots de ma mère avant de quitter la pièce, l’air secoué. Jamais plus je ne reposai de questions sur cet événement. L’attitude de mes parents m’avait mis mal à l’aise sans que je sache pourquoi.


23 décembre 2004
C’était enfin les vacances de Noël.  J’avais hâte de passer les fêtes avec mes parents mais mon père devait participer à un colloque d’historiens sur les mythes et légendes du monde entier et ma mère tenait à l’y accompagner. Ils me déposèrent chez une amie à eux qui devait prendre soin de moi pour les deux jours suivants et me promirent d’être là à temps pour la veille de Noël. C’était la première fois de ma vie que mes parents s’en allaient plusieurs jours de suite sans moi. Et en plus ils me laissaient chez quelqu’un que je ne connaissais même pas, bien qu’elle paraisse très gentille. Je me rappelle que j’étais déçu et en colère, je n’avais même pas voulu leur dire au revoir. Je me rappelle du sourire triste de ma mère et du bras de mon père qui l’avait serrée contre lui. J’ai tout de suite regretté mon attitude, sans savoir que ça serait la dernière fois que je les verrais.
Le lendemain, lorsque je me réveillai, l’amie de mes parents m’attendait dans le salon. Ses yeux étaient rouges et gonflés et elle serrait un mouchoir froissé dans sa main. Elle se leva quand elle me vit descendre les escaliers. Les mots qu’elle prononça alors me glacèrent le sang. Je n’arrivais pas à y croire. C’était impossible. Pas eux. Ils ne pouvaient pas… disparaître comme ça et me laisser seul. J’entendis distraitement qu’elle me parlait encore mais je n’entendais plus. Mes oreilles bourdonnaient et dans mon cerveau une phrase cognait violemment contre ma boîte crânienne. « Tes parents ont eu un accident. Ils sont morts. »
Je me souviens être tombé à genoux, un cri déchirant l’air. Le mien. Mon cœur explosa. Puis ce fut le noir complet.

Les jours suivant passèrent comme dans un mauvais rêve. Je ne mangeais plus, ne buvais plus, ne parlais plus. Un défilé de personnes passait dans la maison mais je ne sortais plus de ma chambre. Jusqu’à ce qu’un jour, un mois plus tard, l’amie de mes parents y entre, suivie d’une femme. Elle était grande, menue, avait de longs cheveux bruns. C’était ma tante, m’expliqua-t-elle, la femme avec qui je vivrais à présent, en Serbie. Elle non plus je ne la connaissais pas, mais je n’émis aucune protestation. J’étais totalement amorphe, extérieur à la réalité. Je voulais me laisser mourir, rejoindre mes parents. Ca prenait plus de temps que ce que je pensais.

La première année en Serbie fut éprouvante. Je ne parlais toujours pas. Les psychologues attribuaient ça au choc, tout comme ma solitude. Ma tante m’apprit le serbe même si je ne décrochais pas un mot. Tous les jours, elle passait des heures à me faire découvrir la langue, si bien que même sans le vouloir je fus capable de comprendre une conversation. Ma tante était comme ma mère : douce, gentille, compréhensive. Elle voulait m’aider mais je refusais son aide. Mes parents m’attendaient, je les voyais dans mes rêves, je voulais les rejoindre. Cela dura quatre mois, quatre mois où je vécus comme un fantôme.
Je finis par éclore en même temps que le printemps. Même si la douleur était toujours là, présente, indélogeable, je commençai à parler à ma tante d’abord en anglais, puis en serbe. Je m’ouvrais peu à peu à elle. Quelque part, je pense que j’avais peur de m’attacher. Mes parents m’avaient été arrachés si vite, qui sait si ça n’aurait pas pu arriver à la seule famille qu’il me restait. Cependant elle était toujours là, toujours douce malgré mon attitude exécrable. Je fis de tels progrès en serbe que je fus capable de retourner à l’école à l’automne.

Ce ne fut que des années plus tard que j’appris la vérité sur le meurtre de mes parents.

12 novembre 2011
Je venais d’avoir dix-huit ans. Cela faisait déjà sept ans que j’habitais chez Mila, ma tante en Serbie. Sept ans que j’avais réussi à vivre à peu près normalement malgré la mort de mes parents. Rien ne me différenciait des autres garçons de mon âge. Je sortais, seul ou accompagné, peu m’importait. La solitude m’allait bien. Je n’avais qu’un réel ami, pas dans la même fac que moi, mais je plaisais aux filles. Ma solitude ne me rendait que plus sexy d’après ce que me rapportait Janko. Ce n’était pas la raison pour laquelle je restais seul une grande partie du temps mais soit.

Je rentrais chez moi, un soir de novembre. Il était tard, je sortais de mon dernier cours de la journée. La fac ne se trouvait pas loin de l’endroit où j’habitais et je m’y rendais à pieds. Le quartier était relativement tranquille. La nuit tombée, peu de voitures s’aventuraient dehors à cause des routes qui commençaient à verglacer. Les écouteurs vissés sur les oreilles, je pris la route. Arrivés à quelques mètres de la maison, je reçus un message de ma tante me demandant où j’étais. Lorsque je levai la tête de mon téléphone, je me rendis compte que j’étais au milieu de la route. Deux phares m’éblouirent une seconde avant que je sois heurté de plein fouet par le véhicule. Ma dernière pensée fut que j’allais enfin rejoindre mes parents.

Lorsque je repris conscience, le visage de ma tante était penché au dessus de moi. Je clignai des yeux et essayai de bouger. Un éclair de douleur me traversa de la tête aux pieds et je ne pus retenir un cri. Ma tante caressa mes cheveux en me chuchotant des mots rassurants alors que la douleur s’en allait petit à petit. Ce ne fut qu’à ce moment là que je me rendis compte que j’étais dans la baignoire. Totalement habillé, mon corps était plongé dans de l’eau bouillante. Je la sentis vaguement réchauffer ma peau mais je restai frigorifié jusqu’à la moelle. Ce constat me fit claquer des dents.

« -A-a-accident… Hô-hôpital…
Ma tante secoua la tête, un air désolé sur le visage.
-Tu n’en as pas besoin Aleksandar. »

Je la regardai sans comprendre. J’avais été renversé par une voiture qui fonçait sur moi à toute vitesse, j’avais senti mes os se briser avant de perdre connaissance. Qu’est ce qu’elle voulait dire par « tu n’en as pas besoin ? » Evidemment que j’en avais besoin. Je levai un bras en réunissant toutes mes forces pour le poser sur le bord de la baignoire dans l’optique de me lever. Mais impossible. Mon corps entier était fait de plomb. Je regardai mon bras cinglé de dizaines d’égratignures. Je ne sentais plus mes jambes dont l’une de mes chevilles était tordue dans un angle bizarre mais mes bras si. Ils me picotaient d’une étrange façon. Ma tante me parla et je n’eus même pas la force de relever la tête.

« -Mila, je dois… y aller.
-Aleksandar, écoute. Il y a quelque chose que tu dois savoir sur tes… origines. »

C’était un moment bizarre pour aborder mes origines. J’avais besoin d’elle pour bouger, j’étais incapable de le faire seul. Elle était folle de ne pas m’emmener à l’hôpital, ou alors j’étais un miraculé malgré ma cheville tordue et mes jambes que je ne sentais plus. Je me demandais quelle option était la plus probable quand le plus improbable se produit. Sous mes yeux, l’une de mes égratignures venait de se fermer. Je fermai les yeux. J’avais des hallucinations.

«  -Tu n’es pas tout à fait humain Aleksandar. »

J’entendis à peine ce qu’elle me dit. La tête commençait à me tourner. ‘Je vais m’évanouir.’ Mon corps était passé de glacé à brûlant. Je me mis à haleter tandis que la douleur parcourait mon corps entier. Tous mes os semblèrent se briser en même temps et je hurlai de désespoir. Ma conscience ne voulait pas quitter le navire tout de suite cette fois-ci. Je sentis quelque chose de frais sur mon front, j’essayai de supplier ma tante de m’emmener à l’hôpital, elle me chuchota que tout irait bien. La douleur était insupportable, comme si chacun de mes os avait décidé de changer de place. Dans ma tête, les hallucinations recommençaient.
Je vis un léopard, blanc courir dans ma direction. J’essayai de fuir mais j’étais cloué au sol alors que l’animal s’approchait inexorablement. Il était magnifique et effrayant à la fois. Sa fourrure que j’avais cru blanche de loin était en fait d’un brun très pâle, dessous roulaient des muscles puissants que je ne pus m’empêcher de remarquer. Ce qui me frappa le plus furent ses yeux vairons, l’un d’un bleu aussi limpide qu’un ciel d’été et l’autre vert. Vert comme le vert des yeux de ma mère. Sur cette pensée, l’animal me frappa de plein fouet. Ce fut l’hallucination la plus réaliste qui soit. Au moment où le léopard bondit sur moi, une douleur éclata dans mon abdomen me faisant me cambrer dans la baignoire en hurlant de douleur. Tout mon corps sembla éclater puis ce fut terminé.
La douleur reflua doucement hors de mon corps. Les yeux fermés, j’entendis Mila enlever la bonde de la baignoire. J’entendais clairement l’eau qui s’écoulait dans l’évacuation, le frottement des vêtements de ma tante, chacun de ces gestes. Je sentais son parfum de savon propre et de cannelle, une légère odeur de sueur en dessous et une autre odeur plus douce comme… Mon cerveau interprétait cette odeur comme l’odeur du soulagement tandis qu’elle me tirait hors de la baignoire pour me poser sur le tapis de bain. Comme si le soulagement pouvait avoir une odeur.
Soulagée alors que je venais de vivre le martyr. C’était sûrement le calme avant la tempête. J’avais besoin de soins. Il fallait qu’elle m’emmène à l’hôpital, c’était quoi son problème putain ? Un grognement animal retentit dans la pièce et j’ouvris les yeux d’un seul coup en me redressant. D’où venait ce bruit ? Qu’est ce que-
Mon cerveau disjoncta à ce moment là. Le miroir que j’avais moi-même fixé derrière la porte de la salle de bain à la demande de ma tante m’offrait une scène incroyable. Mila était assise sur ses talons. Elle portait un jean et un chemisier trempé, ses cheveux bruns s’étaient échappés de son chignon lâche. Elle tenait une serviette à la main qu’elle passait sur la fourrure brun clair du léopard de mon hallucination. Léopard dont le reflet me regardait droit dans les yeux. Je me mis à paniquer. C’était moi qui étais devant ma tante pas un léopard. Ce devait être une autre hallucination, ça ne pouvait être que ça. Quand je baissai la tête, je vis deux pattes. Deux pattes couvertes de fourrure. J’essayai en vain de parler, seuls des coassements gutturaux sortirent de ma bouche. Mila se mit à caresser la fourrure de l’animal et je la sentis faire. Je la sentis. Ce n’est qu’à ce moment là que ma conscience se fit la malle.

Cette fois, je me réveillai dans ma chambre. Immédiatement, je levai un bras au dessus de mes yeux et poussai un soupir de soulagement. C’était bien le mien. J’avais fait un horrible cauchemar. J’étais rassuré mais inquiet également. Dans ce cas, qu’avais-je fait en rentrant la veille ? Je n’arrivai à me souvenir de rien. Mila entra à ce moment là avec un plateau rempli de nourriture. Mon estomac se mit à grogner ce qui l’a fit rire. Elle le posa près de moi et embrassa mon front. Elle ne faisait ça que lorsque j’étais malade. J’avais dû avoir une très grosse fièvre pour ne plus me rappeler de la veille au soir. Je commençai à manger tandis que ma tante me regardait en silence, les sourcils légèrement froncés comme si elle se posait des milliers de questions. Elle finit par rompre le silence.

« -Aleksandar… Comment tu vas ?
-Mieux, ma fièvre a l’air d’être partie. Par contre, je ne me souviens pas de ce que j’ai fait hier soir, je ne me souviens que des hallucinations que j’ai faites. Terribles. Je me transformais en léopard. »

Je ris en avalant une gorgée de café chaud. Mon rire mourut sans que ma tante ne fasse de remarque ce qui était loin de lui ressembler. Lorsque je lui lançai un coup d’œil, elle semblait ne pas savoir comment commencer sa phrase et mon cœur s’emballa. Elle finit par se lever et se placer au milieu de la pièce, retirant son peignoir en m’adressant un petit sourire triste.

«  -Une démonstration vaut mieux qu’un long discours, n’est ce pas ? »

Sous mes yeux, l’air se mit à onduler autour d’elle. Je sentis une vague d’énergie me frapper et l’instant d’après un léopard blanc comme neige se matérialisa en lieu et place de ma tante. Je restai figé par le choc, mes doigts serrant si fort la tasse que j’avais entre les mains qu’elle explosa littéralement, déversant son contenu sur mes draps. Je ne sentis même pas la brulure du café tandis que Mila se transformait à nouveau, enfilant son peignoir pour cacher sa nudité. Impossible. Impossible. Ce genre de créature n’existait que dans les livres. La fièvre n’était pas partie. Je portai une main à mon front. Pas de fièvre. Ma tante revint s’asseoir au bord de mon lit, les traits tirés par une fatigue qui n’était pas là quelques secondes plus tôt. Je la regardai, incapable de dire quoique ce soit. Mila en profita pour commencer.

« Elliott Aleksandar Labhrainn. Tu es un léopard-garou. (Je fis mine de parler mais elle m’interrompit.) Ecoute ce que j’ai à dire d’abord. Tes parents étaient des léopards-garous, j’en suis une aussi. Je sais que c’est dur à croire mais c’est la vérité. Tu l’as vu. Ce que tu prends pour des hallucinations s’est bel et bien passé. Tu as été renversé par une voiture hier soir, tu étais… très mal en point. J’allais t’emmener à l’hôpital quand tu t’es mis à guérir seul, comme un vrai garou. Tu t’es même transformé, c’est incroyable. (Elle avait chuchoté cette dernière phrase et devant mon air interrogateur, elle soupira puis reprit.)
» Tes parents étaient des fugitifs en quelque sorte. Ta mère devait être Nimir-Ra, la reine du pard de notre ville de naissance. Mais elle est tombée amoureuse de ton père qui était en Serbie pour une réunion d’historiens et ensemble ils se sont enfuis en Ecosse où ils ont rejoint le pard de Glasgow. Le Nimir-Raj, le roi du pard était furieux. Il a promis de la retrouver et de la tuer, ce qu’il n’a jamais fait. Il était trop faible et elle était très très puissante.
» Deux ans plus tard, tu es venu au monde. Tes parents étaient fous de joie. Mais ils ne voulaient absolument pas que tu vives dans cet univers, c’est pourquoi ils ont fait appel à un aniota pour sceller ta bête au plus profond de toi. Ils savaient que ça ne durerait pas pour toujours, mais ils voulaient te donner une enfance normale, une vie normale au moins pour un moment. Ta mère était effrayée à l'idée que son ex-roi léopard mette la main sur toi. Tu étais destiné à être très puissant. Elle ne voulait pas que tu sois dans la même situation qu'elle, forcé à faire des choses que tu ne voulais pas, à prendre la responsabilité de plein de gens. Le sort était destiné à rendre ta bête hors d'usage, à l'affaiblir. Ca a marché. Mais ils n’ont pas vécu assez longtemps pour t’expliquer ça par eux-mêmes malheureusement. »
» Tes parents ne sont pas vraiment morts dans un accident de voiture. Le soir où ils sont partis à ce colloque, en fait, ils se rendaient à une réunion au caern. Ta mère allait être couronnée Nimir-Ra étant donné que le précédent Nimir-Raj avait été tué. Cependant, un groupe de vampires a réussi à passer les protections du caern. Ils ont attaqué le pard sans raison. Tes parents se sont fièrement défendus, ils sont morts au combat. J’ai traqué chaque vampire de ce groupe pour les tuer avant de venir te chercher. Il m’en reste un que je n’ai pas encore réussi à localiser. Je sais que toute cette histoire peut paraître folle mais crois moi, c’est la vérité. »

Mila se tut. Le silence tomba entre nous. Dans mon esprit, les pièces du puzzle se remettaient lentement en place. Quelques notions m’échappaient et j’avais l’impression d’être fou mais je la croyais. Aussi incroyable que ça puisse paraître, je la croyais. Ses yeux brûlaient d’un feu sauvage, une vague d’énergie me frappa encore une fois. Une odeur de souffre l’accompagnait. ‘Haine’ me disait mon esprit. Tout était confus dans ma tête mais étrangement tout avait du sens. Dans tout ce fouillis d’émotions et de pensées, une seule se détachait nettement. La détermination. J’étais déterminé à appréhender ma nouvelle condition et surtout déterminé à tuer ce salopard qui avait tué mes parents. Je regardai ma tante dans les yeux, alors qu’un calme froid s’emparait de moi.

« On le tuera. »