-Slovanova ?
-Présente…
-Radek ?
-Présent…
-Novak ?
-Présent !
-Matthews ? …Arrêtez de rire, les enfants. Ça n’a rien de drôle. C’est très vilain de se moquer du nom de votre petit camarade.

Warren Matthews passa le début de son enfance à Karoly Vary, et toute sa jeunesse en République Tchèque. Il ne savait rien de ses parents biologiques, sinon qu’ils étaient probablement étrangers, anglais ou anglophones en tout cas ; quant à la femme qui l’élevait, c’était une certaine Aria Marinova, en couple lorsqu’elle l’avait adopté, puis rapidement abandonnée par son compagnon. Le petit garçon se considérait comme l’homme de la famille et veillait jalousement sur sa mère, qu’il aimait de tout son cœur. Elle souffrait d’une santé fragile et était infiniment reconnaissante à Warren de prendre ainsi soin d’elle. Alors qu’il avait six ans, son père refit surface. Ischander Marinovic était jadis un employé de banque sans histoires ; il s’était associé à un gang de malfrats pour organiser le hold-up de cette bande, puis avait été entraîné en cavale avec eux. Ils avaient changé de pays, d’identité, et il n’avait jamais pu revenir à Karoly Vary ou reprendre contact avec Aria. Celle-ci l’avait oublié, et en le trouvant radieux sur le pas de sa porte, elle faillit faire un malaise, croyant voir un fantôme. Inquiet pour sa mère, le petit Warren attaqua l’inconnu avec une violence qui fit rire ce dernier.

-Tu l’as bien élevé, à ce que je vois. Les affaires reprennent, mon petit. Papa est de retour !

Ischander avait régularisé sa situation, pris un appartement luxueux à Prague, et comptait y installer sa petite famille désormais réunie et à l’abri du besoin. Aria hésita à le suivre. Mais elle craignait de plus en plus de perdre son emploi pour raisons de santé, et surtout que l’enfant lui soit enlevé pour être confié à un cadre plus sûr pour la poursuite de ses études. Elle accepta, mais elle et Warren restèrent méfiants. Arrivés à Prague, ils firent la connaissance des amis d’Ischander, une troupe étrange qui venait dîner à la maison – Aria envoyait alors Warren se coucher – ou sortait au casino, au stand de tir, et autres destinations plus ou moins précisées. Warren était toujours invité à se joindre à eux, mais il n’y tenait pas, préférant rester avec sa mère. La troupe comptait un jeune garçon aux longs cheveux blonds, un peu plus jeune que lui : Dragan ; et il finit par comprendre qu’une des femmes du gang avait eu cet enfant avec Ischander au cours de leur cavale. Il était pour sa part complètement intégré parmi les bandits, et savait tricher au poker aussi bien que jongler avec un couteau.

-Dragan ?
-Tiens, le petit garçon modèle. Je croyais que tu quittais jamais les jupes de ta mère.
-Oh, ça va… tu te prends pour Al Capone, mais je parie que tu…
-Attention, ‘Ren. Ne parie pas avec moi. Tu te feras plumer.
-Je parie que tu saurais même pas retrouver la trace de mon vrai père !
Le gamin blond sourit comme un petit démon, et Warren sut que ça marcherait. L’autre tendit la main vers lui. Le brun le dévisagea sans comprendre.
-Tu paries, ok, mais tu paries combien ?
-Fixe ton prix.

Dragan éclata d’un grand rire un peu fou, puis s’éloigna en lui adressant un petit signe de la main. Trois mois plus tard, le jour où le clan s’était une fois de plus réuni, pour fêter l’anniversaire de Warren, le blond lui fit signe de le joindre et l’attendit dans sa chambre pour lui communiquer le résultat de ses recherches. Warren, certain qu’il allait recevoir le plus beau cadeau de ses quatorze ans, l’écouta expliquer qui étaient les Matthews. Ce couple de touristes américains était venu visiter Prague, alors que la femme était enceinte de huit mois. Ils avaient été abattus par un mec qui, dans le milieu, se faisait appeler ‘le chasseur’, sans doute un genre de tueur à gages. Dragan le connaissait d’ailleurs personnellement. Il semblerait que Warren soit né dans l’ambulance qui emportait sa mère à l’hôpital pour tenter de la sauver ; en vain. Pour le nommer, on avait repris le nom et le prénom inscrits sur le passeport de son père. Puis on lui avait cherché une famille d’accueil, et celle-ci avait décidé de respecter son identité et de ne pas le renommer, au cas où il veuille faire des recherches sur ses origines quand il serait grand.

Warren écouta religieusement, puis, extrêmement calme mais avec un froid inquiétant dans la voix, demanda qui était ce ‘chasseur’. Dragan sourit. Il le lui dirait quand Warren aurait payé son gage ; après tout, il l’avait peut-être oublié, mais il avait parié, et il avait perdu. Bien, ce n’était que justice. Warren, des images sanglantes dansant sous ses paupières, se roula en boule sur son lit pour tenter de digérer toutes ces terribles informations, et lui demanda ce qu’il voulait. A sa grande surprise, le petit prince du crime s’étendit à ses côtés et le prit dans ses bras, avant de poser ses lèvres sur les siennes. Tétanisé, Warren ne réagit pas.

-Tu as dit que je pouvais choisir mon prix !
-Oui… c’est ce que j’ai dit. Tu as raison.

Un peu amusé, et finalement pas si choqué que ça, Warren enlaça son camarade et lui rendit son baiser. Ce n’était pas désagréable. Il avait toujours apprécié les contacts physiques et les marques d’affection. Mais les images sanglantes l’obsédaient toujours. Alors que son cœur battait de plus en plus vite, il lui semblait que quelque chose s’éveillait en lui, une sorte de bête fauve qui ne demandait qu’à s’échapper. Il interrompit leur étreinte un peu brusquement et réclama d’une voix rauque de connaître l’identité du chasseur. Dragan avoua que c’était leur père. Dans un soudain éclat de rage, Warren se releva et se dirigea vers le salon où les bandits faisaient toujours la fête. Dragan tenta de l’arrêter, en le suppliant de rester avec lui, de ne pas faire de bêtise… il reçut une gifle qui l’envoya heurter un mur, la joue marqué de quatre stries profondes d’où le sang commença à couler. Warren regarda sa main. Elle avait l’apparence d’une patte velue et griffue. Son propre visage lui faisait mal comme si c’était sa peau qui avait été déchirée. Il se remit en marche vers le salon, terrifié de ce qui lui arrivait, mais incapable de réprimer le besoin de sang qui transformait sa colère et son chagrin en rage animale.

-Arrête ! Reviens ! C’est pas vrai, c’est pas lui ! C’est un mec bizarre, qui ne sort que la nuit, on a pas d’infos à son sujet. Papa a juste fait diversion pour l’aider, mais c’est ce mec qui les a tués.

Il n’écoutait plus la voix de Dragan qui criait depuis la chambre, ou plutôt la laissait glisser sur lui, comme si le langage humain ne lui était plus compréhensible. La première personne qu’il croisa fut Aria. Elle avait entendu du bruit, et venait voir si les deux garçons n’étaient pas en train de se battre. Warren la repoussa à son tour violemment, car il ne supportait pas le regard épouvanté qu’elle posait sur lui. Elle se cogna la tête, tomba au sol, et ne se releva plus. Mais il n’avait pas le temps de s’occuper d’elle ; sa proie venait d’apparaître dans son champ de vision. D’un bond, il sauta sur Ischander et lui ouvrit la gorge. Les invités s’enfuyaient en hurlant, et il songea qu’il ne pourrait plus jamais vivre en ces lieux ; il serait traqué, où qu’il se montre. C’est alors qu’il entendit le claquement d’une arme derrière lui. Il se retourna et attaqua aveuglément. Dragan avait essayé d’armer le revolver de son père. Il n’avait pas eu le temps de s’en servir, il n’était qu’un enfant chasseur. Lui aussi alla rejoindre les deux corps déjà au sol, et resta sans vie dans une mare de sang. C’est alors que Warren croisa le regard de son reflet dans une glace ; il prit la fuite et courut sans reprendre son souffle jusqu’à la sortie de la ville, s’enfonça dans la forêt et s’y cacha jusqu’à ce qu’il parvienne à reprendre ses esprits.

-Warren Matthews ?
-Présent.

La meute de Prague veillait sur ses membres avec une remarquable loyauté, qui séduisait l’esprit de Warren. Il avait repris pied dans la vie de tous les jours, laissé derrière lui son adolescence agitée, et trouvé une nouvelle famille. On l’aidait même à faire les longues études dont il rêvait, à condition qu’à chaque pleine lune il soit présent aux côtés de ses frères pour les parties de chasse organisées. Il n’avait pas occulté les drames qui avaient marqué la découverte de sa condition ; au contraire, il avait enquêté à leur sujet. Il semblait qu’en effet, Ischander n’ait pas été de taille à affronter deux lycanthropes dans la force de l’âge. Il devait avoir servi les intérêts d’un vampire. Désormais, on ne cacherait plus rien au jeune homme. Dès que l’on trouverait ce qui avait pu se passer, il serait le premier averti, et libre de se joindre à la traque qui s’ensuivrait pour venger ses parents. En attendant, il continuait ses études, principalement concentré sur les langues étrangères même si les arts en général avaient tout son intérêt. Un programme d’échange lui proposa un séjour aux Etats-Unis, qu’il accepta. C’est ainsi qu’il s’installa pour deux ans sur le campus de Shreveport ; il avait avec lui les adresses des personnes à contacter pour se mettre en sécurité, fasciné de constater que même de l’autre côté du monde, les meutes gardaient contact et s’entraidaient ainsi.



Dinah n’était pas venue en cours, cela faisait deux jours maintenant et elle ne répondait pas non plus à ses textos ; Warren se faisait du souci. Malgré son nom typiquement local, il ne parlait pas la langue aussi bien que la plupart de ses camarades, et avait peur d’avoir dit quelque chose qui l’ait vexée ; c’était une jeune fille douce et sensible, qu’il avait prise sous son aile dès son arrivée dans la classe, et avec laquelle il entretenait une discrète mais fidèle romance. Il ne parlait pas que le tchèque, l’allemand, le français et l’anglais, mais aussi un peu le langage des signes, et était à ce titre un des rares camarades qui pouvaient communiquer avec Dinah. Sans lui, il s’inquiétait de ce qu’elle avait pu devenir. A la fin du cours, il alla trouver le professeur et lui demanda s’il avait des nouvelles. L’homme lui apprit que Dinah abandonnait ses études pour raisons personnelles. En le questionnant un peu, Warren apprit qu’elle était enceinte. Le regard inquisiteur et sévère du professeur le mit en colère. Il n’y était pour rien, et ne supporterait pas qu’on l’en accuse !

Cela dit, il fallait qu’il retrouve Dinah. A force d’entêtement, il finit par mettre la main sur un étudiant qui savait où elle se cachait. Il s’y rendit immédiatement, en se promettant de ne pas s’énerver, d’être gentil et compréhensif, car après tout, c’est de cela qu’elle avait le plus besoin. Et il fallait aussi qu’elle continue ses études. Si elle voulait procéder par correspondance, Warren était prêt à lui apporter les cours et à l’aider dans ses révisions ; il ne fallait pas qu’elle sacrifie son avenir à un enfant certes innocent, mais aussi à un petit copain qui n’avait pas pris la peine de faire attention. Ce genre de type ferait un drôle de père…

Warren défendait les autres métamorphes, et il défendrait de même ce petit bout de femme si quiconque se mettait en tête de lui faire du mal. Il ne comptait pas tabasser qui que ce soit, mais au moins remettre les pendules à l’heure ; s’il pouvait tout régler par la négociation, ce serait préférable, mais il n’hésiterait pas à libérer une petite partie du trop-plein d’agressivité qui bouillonnait toujours quelque part en lui. Ce n’était pas à proprement parle de la jalousie par rapport à Dinah… Si, c’était de la jalousie, il fallait bien qu’il se rende à l’évidence. Il ne lui en voulait pas, elle avait choisi, grand bien lui fasse, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir blessé. Arrivé sur la terrasse où il voyait son amie boire un café, penchée sur un livre, le regard soucieux et le teint pâle, il se demanda ce qu’elle faisait dehors si tard, elle qui craignait tant le froid. Il s’avança pour la saluer, en se forçant à sourire pour la rassurer un peu.

Lorsqu’elle releva son regard, Warren s’immobilisa. La prunelle de ses yeux luisait dans la pénombre du soir tombé. Elle avait menti au professeur. Si elle quittait la fac, c’est qu’elle avait rejoint le monde de la nuit, et ce, à plein temps. Il n’était pas question de prostitution ici, mais l’expression était nettement plus sinistre ainsi pour Warren : Dinah était devenue ce qu’il détestait depuis presque dix ans maintenant. Pendant un instant, il sentit la force de l’instinct lui ordonner de bondir et d’attaquer la frêle silhouette qui se recroquevillait sur elle-même, apeurée en le reconnaissant. Elle aussi savait instinctivement qu’il présentait un danger, même s’il n’avait jamais fait son coming out en tant que lycanthrope.

-C’était un accident ? lança le jeune homme d’une voix glaciale, sans faire un pas en avant. Sans même poser la question, il était certain que désormais elle l’entendait parfaitement.

-Non… c’est ce que je voulais. Je suis comme les autres maintenant.

Warren se détourna et s’éloigna, le rythme de son pas accélérant graduellement jusqu’à ce qu’il se mette à courir de toutes ses forces. Il fallait qu’il s’éloigne, qu’il ne remette plus les pieds dans l’entourage de cette fille. Il fallait qu’il se change les idées.


Pour ce qui est de la famille Matthews, il ne la connaît pas ; il n’a que sa famille adoptive. Son père, Ischander, travaillait dans une banque. Alors que sa mère, Aria, qui était stérile, procédait à l’adoption de leur premier enfant, il s’associa à un gang pour braquer la banque et disparut. Pendant les premières années de sa vie, ce fut Warren qui tint le rôle de ce père inconnu et détesté ; puis, ce dernier refit surface, et offrit de reprendre sa place et de faire leur bonheur grâce à l’argent mis en sûreté. Les sentiments de sa mère restèrent ambigus, mais elle ne pouvait refuser cette chance d’échapper à la misère et aux services sociaux qui lui offraient de manière insistante de placer son fils dans une famille plus prospère. Ils allèrent s’installer à la capitale, où elle lui offrit une éducation complète, s’efforçant de le tenir à l’écart des mauvaises fréquentations de son père qui venaient fréquemment dîner à la maison ; Ischander les appelait ‘sa meute’, et tentait de convaincre son fils de les rejoindre, ne serait-ce que pour aller passer la soirée au casino et autres loisirs. Il découvrit rapidement que l’un des garçons qui accompagnaient une femme de cette ‘meute’ était son demi-frère, né pendant la cavale de son père, et donc à peine plus jeune que lui. Actuellement, toutes ces personnes sont décédées, à ce que Warren en sait.

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code du règlement. Eh bien je crois qu’il ne manque plus que le theme musical de Dracula Prince des Ténèbres, et on pourra commencer.
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