« Dis, tu viens jouer avec moi.. ? » Le petit garçon observait la fillette blonde, assise en tailleur sur son lit couleur prune. « Je me sens seul, tu viens jouer ? » Les billes bleutées fouillaient l'obscurité en quête d'explications, mais ne rencontraient que le noir et la silhouette humanoïde. « Tu.. tu es qui ? » Une petite voix tremblante, voilà tout ce qui consenti à s'échapper des lèvres de la petite, plongée dans l'incompréhension la plus totale. « William. Maman ne s'occupe plus de moi.. tu sais, ça fait longtemps que j'essaye de te parler.. » Longtemps.. dans la vieille demeure, Morwynn se surprenait à avoir peur, car elle ne doutait pas qu'il s'agissait d'un intrus, ce qui signifiait qu'il n'avait pas sa place ici et qu'elle ne devait pas lui parler. On ne parle pas aux inconnus. Pourtant.. quelque chose d'inexplicable l'attirait vers lui. « C'est quoi ton prénom.. ? » Il insistait, s'approchait, se faisait gentil, et plus il lui parlait, moins elle avait peur. « Wynnie. Morwynn, mais on m'appelle Wynnie.. » Il avait quelque chose d'affreusement vide dans les prunelles, quelque chose de douloureux, et elle.. elle se trouvait ça attendrissant, sans toutefois le comprendre, car après tout, du haut de ses six ans, elle ne le pouvait pas. « Wynnie.. c'est joli.. on peut être amis.. tu verras, nous serons les meilleurs amis du monde.. » Elle allait répondre mais la porte qui s'ouvrit à la volée ne lui en laissa pas le temps. « Tu devrais dormir, à l'heure qu'il est.. à qui donc parlais-tu ? » Il lui fallut plusieurs minutes avant qu'elle ne parvienne à articuler une réponse, le garçon s'étant évaporé l'avait laissée perplexe. Comment avait-il fait ? « A William.. il se sentait seul.. » Il aurait sans doute été préférable que la petite s'abstienne d'évoquer ce détail, la réaction qui s'en suivit s'avérant plus violente que prévu. La froideur d'une mère est toujours douloureuse pour son enfant, surtout lorsqu'elle n'a aucune raison apparente, surtout lorsque la souffrance qu'elle cache reste inconnue. « Il n'y a pas de William dans cette maison. Maintenant tu dors, et ne t'avises pas de discuter. » Porte claquée, laissant la blondinette dans le noir avec pour seule compagnie son nouvel ami, cet ami qu'elle était la seule à voir.

« Joyeux anniversaire, ma Wynnie. » Un gâteau, dix bougies, une famille réunie et la demoiselle à l'honneur s'enfermant dans un silence lourd de significations. Elle était malheureuse, elle se sentait incomprise, sans cesse punie pour ce que chacun nommait 'imagination débordante'. Elle en avait fait, des bêtises, mais jamais elle n'avait été dotée de mauvaises intentions. C'était une bonne petite, son regard était simplement plus perçant que celui des adultes, que celui de ces ignorants qui refusaient de la croire lorsqu'elle parlait de son ami. De ses amis. « Allons, ne fais pas la tête et souffle tes bougies. N'oublie pas de faire un vœu. » Une moue sur les lèvres, elle détournait le visage, faisant parfaitement comprendre qu'il était hors de question qu'elle obéisse. « Tu n'as pas invité Will, alors je fêterai pas mon anniversaire. » Une sacrée tête de mule, comme n'importe quelle enfant frustrée. « William n'existe pas, je te l'ai déjà expliqué ! Ne nous fais pas une scène, pas ce soir, et souffle tes bougies. » L'oncle et la tante étaient habitués à ce genre de situations, ce n'était d'ailleurs pas la première fois qu'ils entendaient parler de l'ami imaginaire de leur nièce, les cousins/cousines trouvaient même cela amusant, se plaisaient à songer que la petite deviendrait une romancière de talent. La mère, elle, le prenait très mal. C'était à ses yeux un peu comme un remake d'un Secret de Grimbert, mettant en scène le fantôme d'un frère mort avant la venue du second enfant, un frère pesant lourd sur les épaules de l'autre. Le poids du secret. Chacun savait autour de cette table qui était William, mais aucun n'osait, comme Marie, faire le lien. Sujet tabou jamais évoqué en présence de Morwynn. « Non. » Refus catégorique. Caprice d'enfant. « Je suis là.. dis-lui, toi, que je suis là.. » Apparition de plus en plus sombre, colère toujours plus grande. Deux enfants, deux mondes, une mère. Cauchemar diurne. « Parle-lui et après je souffle les bougies. »

« Regarde ce que tu fais à ta mère.. tu es fière de toi, Morwynn ? » Douze années, deux enfants, deux malheurs, deux malédictions. Un vrai roman, une histoire digne des meilleurs films. Mais Morwynn n'aimait pas ce film, et tout comme William, elle ne désirait plus que vengeance, un mot qui à vrai dire, n'était pas de son âge. Pas de leur âge. Seulement elle était de chair et de sang, lui n'était plus; essence et matérialisation du passé. « Ce n'est pas ma mère. » Pour la première fois, Henri ne reconnaissait pas la petite qu'il avait de nombreuses fois consolé. Au fond de ses prunelles bleutées semblait briller une lueur nouvelle, mauvaise mais attirante, puits de souffrance. « Toi aussi tu as fais du mal. Toi aussi tu as été méchant. Tu ne peux pas me punir. C'est toi qu'il faut punir. » La mort accidentelle de William n'en était pas réellement une, l'enfant retrouvé sur le sol, deux étages plus bas que le niveau de sa chambre, avait malencontreusement été poussé suite à une violente dispute. Jamais il n'y eut de preuves, seuls les deux adultes gardèrent ce secret pour eux, les deux adultes et ce petit fantôme hantant les lieux, enfermé dans l'incompréhension de sa situation. La Mort, il ne l'avait saisie qu'avec l'intervention de Morwynn, petite fille fouineuse qui avait lentement déterré dissimulations et souvenirs. « Qu'est-ce que tu racontes... ? » Il n'obtint jamais la réponse.

« A présent que vous savez que je ne suis pas folle, j'imagine que je peux être dispensée de ces visites, mh ? » Assise sur le siège face au bureau du psychiatre, elle attendait patiemment une réponse. Voilà des années qu'elle était forcée de venir voir cet homme.. cela avait commencé lors de sa treizième année, après que sa mère se soit trouvée en dépression profonde et que son père ait plongé dans une crise momentanée de délire. Enfin, son père et sa mère, tout était relatif sachant qu'elle avait été adoptée après la mort accidentelle de leur premier enfant. Accident dont Morwynn savait tout et dont personne ne voulait rien entendre. « Etant donné votre passé, je préfèrerais que vous continuiez à venir quelques temps. Vous avez encore énormément de choses à régler avec vous-même, mademoiselle McAshton. » Elle n'était absolument pas d'accord avec ce fait et ne se gêna pas pour le faire savoir dans un soupir d'agacement sonore. « Je ne crois pas utile de vous rappeler qu'il est presque plus probable de croiser un esprit dans la rue qu'un lézard doué de parole mais puisque vous insistez.. » « Ne jouez pas à cela avec moi. Vos petits tours d'hypnose ne fonctionneront pas, ça n'a pas été le cas durant votre enfance, il y a peu de chances que ce soit probant à présent. » Le rire cristallin était venu envahir le petit bureau tandis qu'elle se recalait confortablement sur son siège. Décidément pour un psychiatre, il ne comprenait vraiment rien à rien. « Ce n'est pas de l'hypnose, monsieur.. je nommerais plutôt ce petit tour, comme vous dites, 'justice'. » Haussement caractéristique des sourcils. Il le faisait toujours quand il était surpris, dubitatif ou franchement déconcerté par les paroles de la blonde. « Justice ? Vous prétendez être la justice ? » Une fois de plus, le rire fut provoqué par la stupidité des dires du médecin. Quel imbécile il faisait. « Non, je ne suis pas la justice mais je peux infliger une forme de justice.. là n'est pas la question. Tout ce que je veux c'est un papier assurant que je ne suis ni sociopathe, ni psychopathe ou atteinte d'une toute autre folie. C'est si compliqué pour vous, d'apposer une petite signature ? » Bras croisés de la part des deux partis opposés. Duel visuel. Il croyait la connaître, la petite blonde qui s'était retrouvée internée suite à un drame familial mais finalement.. il avait un doute. Peut-être était-ce plus grave que ce qu'il pensait ? « Vous ne me parlez plus de William, pourquoi ? » Froncement de sourcils.. à quoi jouait-il ? Gagner du temps pour mieux l'analyser ? Perte de temps, elle n'aimait pas ça. « Il y a onze ans déjà qu'il est en paix. Signez-donc ce papier, s'il vous plaît. Il s'agit de mon passeport pour Shreveport. Là-bas, j'y trouverai sans doute un oncle, une tante.. un membre de ma famille biologique. Vous avez toujours prétendu que c'était la clef. » « Vous êtes encore trop instable. » Le regard bleu s'est éclairé de cette même lueur étrange, plongeant jusque dans l'âme du psychiatre. Il l'énervait. Il était injuste. Il l'avait faite souffrir, elle et tous les autres enfants qu'il avait jugé cinglés.. il devait payer, et si elle avait tenté de lui permettre de se racheter, il avait laissé passer sa chance. Ce n'était en aucun cas mortel, mais ce regard lui faisait subir certaines douleurs infligées au cours de son existence.. une sorte de punition pour lui faire prendre conscience de ses erreurs. La respiration difficile de l'homme, cette sorte d'attaque de panique permit à la jeune femme de prendre le tampon du médecin pour apposer la fameuse signature dont elle avait besoin pour s'envoler loin d'Edimbourg.
Quelques jours plus tard elle arrivait à destination et se fondait dans la masse.