L’histoire de l’agent Hawking commence dans la plus simple des banalités. Fils d’un médecin généraliste et d’une libraire, il passe le plus clair de son enfance dans la ville de Londres. C’est une vie paisible qui se présente à lui, sans drames, ni malheurs et encore moins de larmes. Non vraiment, il avait tout pour réussir, et prendre la relève du cabinet de son père. Vif d’esprit, bon élève, il se détache pourtant des autres gosses pas son irrémédiable attirance pour l’ésotérisme. Il dévore des livres entiers, passe ses journées à traîner dans des boutiques pas très nettes, et se fait des amis peu recommandables qui se prônent satanistes, voyants, et autres marginaux en tous genres. Il est l’antithèse parfaite de sa sœur Julia, sa cadette de un an, qui succombe à tous les clichés inimaginables sur les adolescents. Elle sort, elle boit, elle fume, elle se rebelle, elle sèche les cours, elle traîne et accessoirement, elle se fout littéralement de la tronche de son cher taré de frère, qui préfère passer des heures à la bibliothèque plutôt que de se faire la moitié des filles de sa classe dans les toilettes du gymnase. Il n’est pas un rat de bibliothèque, et encore moins un intello mal dans sa peau. Mais s’intéresser aux mythes lycanthropes, aux légendes Mayas, et aux rituels de spiritisme, ça ne passe pas vraiment, pour un gars de son âge.

À l’aube de ses quinze ans sa vie bascule. Vraiment. Il est environs deux heures du matin un samedi, lorsque Julia appelle au domicile parental. Le père est absent pour une garde de nuit bénévole à l’hôpital, et la mère dort profondément. C’est Finlay qui se décide à décrocher le combiné, pour entendre à l’autre bout de la ligne sa sœur gémissante de peur et hoquetant de pleurs. Il ne comprend pas tout, tente de la rassurer, et surtout, de savoir où elle se trouve. Entre deux baragouinements de panique, et des reniflements intempestifs, il décortique le tout et part en trombes de l’appartement en enfourchant sa mobylette et filant droit vers la boite de nuit The Lightbox. Arrivé à destination, des voitures de police et deux fourgons d’ambulance bloquent la rue, et illuminent le périmètre de leurs lumières rouges et bleues. Il est aveuglé, inquiet, parque son cyclomoteur sans vraiment faire attention, et avance, hagard, dans la petite foule amassée devant l’entrée. Mais il est vite rassuré. Julia n’est pas là. Elle a du quitter l’établissement avant que la bagarre violente n’éclate. Il passe un long moment à poser des questions, et c’est finalement le videur, qui lui apprend qu’elle est partie une demi-heure plus tôt avec son copain. Okay. Attendez … quoi ? Quel copain ? Finlay n’aime pas ça. Evidement, sa rage de grand frère protecteur est légitime, mais il pressent quelque chose. Il enfourche à nouveau sa mob’ et prend la ruelle que l’armoire à glace lui a indiqué d’un signe de tête. Une longue rue qui n’en finit pas, à moitié noyée dans la pénombre à cause d’un problème de raccordement d’électricité provoqué par les travaux dans le quartier. Il plisse les yeux, roule à deux l’heure, et cherche le moindre mouvement dans l’ombre qui pourrait lui faire penser à la silhouette de sa sœur. Il y a bien un clochard emmitouflé dans ses cartons, mais lorsque Finlay l’accoste depuis son cyclomoteur, l’homme ne bouge pas. Mais un peu plus loin, il décèle vaguement la forme d’une cabine téléphonique. Et dans cette cabine téléphonique, quelque chose d’avachis, peut-être assis. Peut-être sa sœur ? Un espoir naît chez le jeune homme ; serait-elle enfin devenue raisonnable en l’attendant dans un lieu plus ou moins sûr et facile à repérer ? Sûrement est-ce depuis là qu’elle a passé son coup de fil. Il accélère sans se faire prier, se rapproche de plus en plus, et sent ses tripes se nouer. Il s’agit bien d’une personne. Il s’agit bien d’une fille. Oui, c’est elle. C’est Julia.
Les roues s’arrêtent, le pied se pose à terre, et le visage de Finlay se crispe d’un effroi glacé. Il n’est plus qu’à un mètre d’elle. Il a maintenant une meilleure visibilité. Oui, il voit mieux. Il voit tout. Cette position étrange du corps, plus affalé qu’assis. Cette immobilité morbide, et l’extrême torsion du cou qui paraît impossible à réaliser. Il lâche sa mob’ qui s’effondre à terre, son regard bleu figé sur Julia, s’avançant tel un zombi, le souffle de plus en plus irrégulier. Il sait. Il sait que la vie n’est plus en elle. Il sait qu’il arrive trop tard. Il sait aussi qu’elle a eu peur, et qu’elle a souffert. Sa main tremblante entrouvre la porte de la cabine et il s’y glisse à moitié vers l’intérieur, s’agenouillant bientôt, sans encore la toucher, déjà envahi par le traumatisme qui le laisse à la fois muet et amorphe.

Il se souviendra toujours de la pâleur de sa peau, de son regard écarquillé, statufié dans la terreur, et de ces deux marques sanglantes sur son cou. Ses ongles avaient étés arrachés, perdus dans la bagarre qu’elle s’était efforcée de livrer contre son adversaire.
Peine perdue.
Vie perdue.
Déjà hanté par les mythes et les légendes, noyé dans la littérature mystique, et croyant d’un monde surnaturel, le jeune Hawking ne mit pas longtemps à relier le meurtre de sa sœur à l’existence de créatures. Un vampire. Il s’agissait d’un vampire. L’assassin de Julia était un être dangereux, fuyant le soleil et vivant dans les ténèbres. Il s’en persuada à un tel degré, qu’il alerta son entourage. Pauvre gosse … traumatisé par la mort de sa jeune sœur, et qui se fabrique un monde onirique où les méchants monstres prennent vie pour tuer les gentils enfants. Histoire de le recadrer dans le moule parfait d’une société exemplaire, on lui fit voir une psychologue, qui s’attela mois après mois à formater son esprit pour ne lui laisser qu’une case vide dans laquelle on pouvait y verser des idées sensées et une imagination bridée. Il reprit dès lors le droit chemin, et entra à l’Université d’Oxford dans laquelle il fit preuve d’un acharnement incomparable envers ses études. Il sortit diplômé en Sciences Comportementales et fit la connaissance d’une jeune chercheuse dans le département des Science Humaines. Le coup de foudre. C’est du moins ainsi que la plus part des jeunes couples voient leur histoire d’amour. Dans les débuts.
Blonde aux yeux verts, Elizabeth fit rapidement chavirer le cœur de ce brave Hawking, qui jusqu’alors ne s’était lancé dans aucune relation sérieuse. Passionnés par leurs travaux à l’Université, fusionnels dans le travail, ils étaient un couple heureux, tout simplement. Elle s’y voyait déjà ; un petit appartement dans le centre-ville, puis un chien, et pourquoi pas un enfant. Tout était bon, sauf le gosse. Finlay n’était pas prêt. Surtout que ses recherches dans les archives et les dossiers de l’Université le ramenaient peu à peu vers sa passion première, celle que tout le monde croyait avoir karcherisé de son esprit. Ses nuits devenaient de plus en plus courtes. Il ne revenait que trois fois par semaine dans leur appartement, oubliait les dates d’anniversaires, les rendez-vous, les soirées au restau’. Il se plongeait corps et âme dans ses découvertes, ouvrant peu à peu cette fenêtre scellée qui donnait sur le monde surnaturel, tandis que la porte de sa vie réelle se refermait peu à peu derrière lui. La passion s’effrita. L’amour s’atténua. L’incompréhension prit place, et la colère ravagea les dernières traces de son couple. Deux ans après leur mariage, Finlay et Elizabeth divorcèrent, le laissant sans appartement mais avec un petit chien bâtard aussi paumé que lui.
Il lui fallait un nouveau départ. Il répondit à une offre d’emploi dans le secteur gouvernemental aux Etats Unis, et fut propulsé comme agent au F.B.I. dans un poste de profiler. Il fit rapidement en sorte de créer avec son chef de l’époque une section spécialisée dans les affaires non-classées, officiellement utile à gratter dans les archives criminelles pour tenter de résoudre des meurtres non élucidés, officieusement mise en place pour enquêter sur des faits étranges et inexplicables. Devenu un peu trop paranoïaque, et trop obsessionnel avec le monde du surnaturel, il fut naturellement évincé du poste de chef de la Brigade Régionale d’Investigation Surnaturelle lorsque cette section prit une ampleur légitime lors de la grande Révélation.




Stupide. Il avait été … stupide.


« Je ne suis pas ici pour plaisanter. Je suis sérieux. Où étiez vous la nuit de mardi à mercredi, Mademoiselle Delagarde ? »

Les traits de son visage marquaient le professionnalisme dont il faisait preuve lors de ses interrogatoires. Un calepin noir dans une main, un stylo dans l’autre, il était assis dans le précieux canapé pourpre velours de son hôte. Il ne convoquait que rarement les vampires lors de ses enquêtes. Il préférait se déplacer, quitte à faire preuve d’une certaine audace, pour ne pas dire penchant suicidaire. Mais il les savait susceptibles. Des êtres d’un grand âge, pour la plus part, auxquels il valait mieux faire preuve d’un respect disciplinaire tout en gardant une forme d’assurance inébranlable, histoire de rappeler que, okay, il était humain, mais qu’il était entraîné à affronter les C.E.S.S. C’était donnant - donnant, le respect, d’accord, mais pas la soumission, et cette technique marchait pour la plus part d’entre eux, même les sanguinaires.

« Allons, détendez-vous inspecteur, je vous l’ai dit, je prenais un bain de soleil. Loin de moi l’idée de me moquer … »

Elle était sublime. La blondeur de ses cheveux rappelait les rayons de l’astre solaire, son regard émeraude le transperçait littéralement de tout son être, et cette décadence langoureuse dans son timbre de voix le faisait atrocement succomber au charme du vampire. La suspecte s’était glissée dans une robe à dos-nus d’un noir abyssal, ne faisant que d’autant mieux ressortir la pâleur de sa peau, tandis qu’elle se prélassait dans son fauteuil en cuir beige, face à lui, dans une distance suffocante atteignant à peine les un mètres. Décidément, il en pinçait gravement pour les blondes. Et celle-là, en plus d’être une créature de rêve, lui rappelait subtilement le souvenir de son ex.
Un long soupir agacé s’extirpa de son torse, tandis qu’il se mettait à secouer brièvement la tête d’un signe exaspéré. En jean noir, chemise blanche et veste de serveur grise, il semblait étrangement dénoter avec la décoration vintage qui sublimait l’intérieur du manoir dans lequel il s’était invité.

« Ne faites pas cette tête. Même si c’est délicieusement adorable, je puis vous assurer d’une totale coopération de ma part. Mon sous-sol est entièrement réhabilité en salon d’u.v … que voulez-vous, la technologie, mon cher, peut faire des miracles dorénavant. Ne trouvez-vous pas que j’ai pris quelques couleurs … ? »

Elle dégageait un pan de robe pour dévoiler une jambe démesurément longue et sensuelle. Son regard antarctique s’attarda brièvement sur la chaire dévoilée, puis sur le sourire envoûtant de Miss Delagarde. Son visage décida finalement de se baisser, tandis que le stylo se mettait à tracer une ligne continuelle de mots sur le calepin.

« Disons que j’ai vu mieux, niveau bronzage. Pas de témoins je présume ? »

Il sentit un mouvement dans son champ de vision, mais à peine son menton se releva-t-il que le fauteuil en face se retrouvait vide. Pas le temps de s’inquiéter, que des mains féminines venaient glisser sur ses épaules en le ramenant lentement mais avec force contre le dossier du canapé. Un frisson ébranla l’entièreté du corps de l’homme, à la fois diablement agréable, et terriblement dérangeant.

« Que de questions inspecteur Hawking … pourquoi tant d’acharnement … ? Ne suis-je pas suffisamment innocente à votre goût … ? »

Ses lèvres venaient glisser contre l’oreille de Finley, tandis qu’une grimace de malaise venait tirer les traits de son visage. Un rire sec s’échappa, et un sourcil se rehaussa, aussi sarcastique que le ton employé pour la réponse.

« Mademoiselle Delagarde … vous me paraissez aussi innocente qu’un bulldog tenant un bras arraché dans sa gueule. Tous les indices convergent contre vous … et j’ai pourtant la politesse de venir faire mon interrogatoire dans votre demeure. »

La politesse. Façon de voir. Quelques semaines après l’incident il se traitera de couillon finit. Mais cela, il ne pouvait encore le deviner.
La pression sur ses épaules devint instantanément plus virulente, presque douloureuse. Sa réponse cynique venait d’agacer son hôte, et le long sifflement inhumain qui suivit déclencha enfin l’alerte rouge chez l’inspecteur de la B.R.I.S

« Seriez-vous entrain de me traiter de chienne, agent Hawking ? »

Nouveau mouvement imperceptible. Pauvre humain qui se retrouvait à la merci d’un vampire irrité. La blonde s’était déplacée dans l’espace comme seule sa race parvenait à le faire, bouleversant la vision humaine, et échappant aux lois régissant de la perception visuelle. À califourchon sur Finlay, elle tirait le col de sa chemise pour le rapprocher dangereusement d’elle. Le calepin chuta mollement contre le parquet, en même temps que le stylo roulant dans un cheminement hasardeux. Pour le coup, il faisait vraiment, vraiment moins le malin. Il n’avait pourtant pas l’habitude de sous-estimer les vampires, encore moins lorsqu’il s’incrustait chez eux pour les forcer à répondre à des questions dérangeantes. Il s’était fait avoir comme un foutu bleu, trop occupé à reluquer le décolleté et à jouer des phrases acérées. Il avait déchainée la bête. Le seul point positif qu’il pouvait trouver à ce démentiel tableau franchement ironique, était d’avoir effectivement trouvé le coupable du meurtre de deux étudiants de Shreveport.
Puis un baiser. Un … baiser. Okay. Dans le genre aveux de culpabilité, il avait connu pire. La passion déchainée le laissa complétement stupéfait, un bruit à peine mécontent s’échappant de ses lèvres tandis que ses sourcils s’arquaient d’ahurissement. L’instabilité des vampires, certainement, ou leur immuable érotisme charnel en quelque occasion que ce soit … Dans tous les cas, pas le temps de reprendre son souffle. Les lèvres se détachaient, et dans son épaule, une violente douleur vint meurtrir une partie de sa peau. Une morsure. Elle était entrain de le mordre, et il ne s’agissait visiblement pas de se nourrir de son sang, mais bien de lui arracher la chaire entière et de le dépecer morceaux par morceaux. Un hurlement de douleur scinda le silence. Oui, elle n’était qu’une chienne, et il était son repas du soir.

Son bras droit encore valide eu le temps de se glisser dans son dos, attrapant son Beretta 9mm caché entre le jean et la veste, avant de coller une balle en argent dans les côtes de la blonde aux longues dents. Nouveau cri, cette fois féminin. L’inspecteur de la B.R.I.S n’avait pas dit son dernier mot. Sans déconner. Il avait peut-être une gueule affable, mais il savait aussi jouer de la gâchette. Histoire d’être certain qu’il ne serait pas poursuivit, deux autres balles furent tirées pour se planter dans les jambes si délicieuses de la créature. Là au moins, il allait la lui colorer, sa délicate peau.

Il parvint à s’échapper, oui, mais qu’est-ce qu’il avait été … Stupide.



Mère; Margareth Willburn Père; Jhonn Hawking Soeur; Julia Hawking (d.c.d) Ex-femme; Elizabeth Berklins Chien; Cosmo.