➽ date et lieu de naissance. 17 novembre 1993 ➽ nationalité. ukrainienne ➽ état civil. célibataire ➽ lieu d'habitation. district ➽ métier. danseuse et prostituée aux 7 Péchés Capitaux ➽ étiquette qui vous est collé. Un trésor valant une fortune, un corps presque mort, une muse venue d'Europe de l'Est. La gamine va de mains poisseuses en mains obscènes. Orpheline, on raconte que tout est la faute de son père. On chuchote qu'elle ne mérite que ce qu'elle a, la petite garce. On la jalouse, on l'envie, on la dévore des yeux. Angel, on ne veut que la posséder, un peu plus, chaque fois. Dans le milieu, personne n'ignore quel est le potentiel de ce diamant de sang. Triste petite poupée blonde, qui ne demande plus grand chose à l'existence. Elle vit, et c'est déjà bien assez. Impuissante, elle voit son destin filer entre ses doigts, glisser comme de l'eau glacée, et elle n'essaye même pas de le rattraper. L'enfant regarde, sourit faiblement et se balance nonchalamant sur cette scène. Offerte tel un festin. Elle est belle dit t'on, pourtant l'adolescente se sent terriblement laide. Perdue, elle attend, elle part en cendres. On la touche, on la caresse. Angel se laisse faire. Objet, plus qu'autre chose, on assouvit ses fantasmes sur cet être si pur et merveilleux, à l'odeur enivrante qui ne laisse aucune âme indiffèrente. Parfum subjuguant, irréel, attraction immédiate et dangereuse pour ne pas dire mortelle. Des ancêtres feys, qui n'ont laissé leur marque sur elle qu'en la faisant devenir une sorte d'aimant à vampires. Le petit ange s'endort, disparaît, elle veut tout simplement s'oublier.

Angel est le rayon de soleil, qui avec le temps s’efface de l’horizon. Une heure, lui suffit à s’évanouir. L’enfant disparait, à petit feu. Devient de la cendre, que l’on pourrait lancer au gré des vents du Nord. Elle s’éteint, la tristesse étouffe les derniers espoirs qui la faisaient tenir debout. Feuille d’automne, qui chute, chute, et suit les courants d’air avant de finir à terre. Et de s’y décomposer sans que quiconque ne s’en soucis outre mesure. Un beau rêve, qui ne serait lui être attribué. Puisque personne ne veut la laisser s’en aller, elle est trop précieuse, trop unique, trop merveilleuse. Les saisons s’enchevêtrent, les années s’amoncellent, les souvenirs s’affadissent. Et le petit ange se perd, délicatement, dans les méandres d’une mémoire qui se meurt. Qui ne hurle pas, qui ne pleure pas non plus. Elle est taciturne, la douce enfant. Elle se laisse aller, marche derrière cette existence qui lui échappe. Résister ? Et pour quoi faire ? Traumatisée, sans doute. Sa famille a été massacré sous ses deux grands yeux chocolats. Et elle ? Ce n’est que son minois, cette aura, cette inhumanité pourtant si fragile et transcendante, qui lui a valu de demeurer sur cette planète infectée jusqu’à son noyau. Angel se déteste, ne comprend pas l’attraction qu’elle provoque, ne maitrise pas cette obsession qu’elle amène, dès lors que l’on pose un regard sur ce corps… Ce corps qui n’est plus le sien depuis trop longtemps. Vendue, rachetée, volée. Arrachée, déchirée, violée, abusée. Trop de terreur, trop de peur. Comme anesthésiée face à l’horreur du monde, elle a ce visage de poupée innocente et naïve. Pure, et lunaire, ses hanches se balancent, son buste se tord. Elle est magnifique, muse offerte aux monstres de cet univers.
Elle sait, connait et saisit les intentions de ses tortionnaires lorsque leurs lèvres s’humidifient de désir, lorsque leurs doigts se serrent et leurs muscles se raidissent. La gosse baisse les yeux, mordille sa bouche charnue et tente d’oublier, de disparaitre. Juste avant, juste assez vite. De s’endormir tandis que sa dépouille avance, agit, fait chavirer les consciences et les logiques. Hors de contrôles et cependant soumise à l’extrême. Elle s’échappe, grâce à sa jolie tête. Son cerveau lui autorise une déconnection quasi-totale, lorsqu’elle l’ambitionne. Ce qu’elle fait lui semble plus facile, davantage agréable. Réservée, si ce n’est grande timide. On l’approche aisément, on la caresse adorablement tandis que les pensées sont atrocement écœurantes. Mais on ne parvient à la faire parler qu’avec une adresse de spécialiste, si l‘on veut l‘atteindre on se doit de marcher sur des œufs. Muette face à ces mains et ces corps qui souhaitent la posséder, l’écraser, l’écarteler. Angel ne leur en veut pas, elle sait que ce n‘est pas vraiment de leur faute, qu‘ils ne le font pas exprès. Elle pardonne, le petit ange préfère s‘enfermer dans son monde intérieur et se dire que tout va s‘arranger. Elle s’est faite à l’idée, elle dépérit, et puis continue à sourire. Il ne faut pas les apeurer, tout va bien. Elle le jure, tout va bien.
Courageuse dit t’on. Angel est simplement désenchantée, peut être également désœuvrée. Passablement pessimiste. Elle se fiche de ce qu’il adviendra d’elle à présent. Elle survit, chancelante. Reste digne, droite et obéit à ce qu’on lui demande. La mort ne l’effraye pas. Toutefois décédée sans s’être un minimum battue la répugne. Son éducation, lui a inculqué des règles qu’elle a retenu. Et pour sa famille, pour leur honneur, elle a ce devoir de résister jusqu’à son dernier souffle. Qu’il se fasse dans un fond d’une cave, dans un caniveau ou dans une chambre. Cela importe peu, elle refuse de se laisser complètement engloutir par les ténèbres. Du moins, elle tente de s’en convaincre. Le petit ange s’en persuade jour après jour. Mensonges ! Si on lui offrait une porte de sortie qui la laisse s’écrouler une bonne fois pour toute, sans aucuns doutes y céderait t’elle. Sans réfléchir préalablement. Le chaos l’absorbera, le malheur se dissipera. Et la paix, enfin l’enveloppera.
Observatrice et maligne, elle préfère de loin écouter, essayer de percer les secrets. Pas de curiosité chez elle, pas de commérages non plus. Ca lui donne seulement l’étrange impression de vivre une autre vie. Une qui n’est pas la sienne, mais qu’elle s’approprie. Qu'elle sublime ou qu'elle modifie à sa guise. Silencieuse, Angel aime se faire discrète. Peine perdue, il est exact. Malgré tout, l’attention qu’on lui porte la met extraordinairement mal à l’aise. Romantique et fleur bleue, on pourrait croire que son innocence l’a quitté depuis un bon moment. Et c’est tout le contraire, nostalgique, elle réussit à préserver les joies autant que les chagrins et tragédies. Ca l’aide à tenir, à ne pas s’effondrer. Puisque si elle avait décidé de garder dans son cœur le besoin de vengeance et l’unique haine qui aurait dû la ronger, pour sûre que le petit ange aurait perdu ses ailes et se serait désagrégé. Elle a mal, sa poitrine la fait affreusement souffrir. Sa gorge douloureusement gémir. Néanmoins, elle ne se plaint pas. Jamais ! Le sang pourrait bien couler, et les larmes rouler. Elle ne réclamerait rien. Elle attendrait que ça finisse, qu’on la laisse tranquille. Ou qu’on la console, en s’excusant de lui avoir fait subir les atrocités qui pourtant ont fait jouir.

19 ans. Mais Angel n’a jamais fini le lycée, n’a pas commencé des études supérieures. Non, Angel est une danseuse exotique et une prostituée que l’on prétend de luxe dorénavant. Ses journées ? Souvent elle dort, blottie contre sa maîtresse, contre sa colocataire, contre celle qui guide sa vie et lui offre des sensations qu’elle ne serait pas précisément déterminer. Abigaël est sa raison d’exister. Sans elle, pour sûre la gamine serait déjà six pieds sous terre, s‘étant donnée la mort d‘une manière ou d‘une autre. Evoluant au rythme des vampires, puisque travaillant aux 7 péchés capitaux. Le petit ange est un trésor, celui que l’on paye très cher pour obtenir une heure ou deux. Et que l’on accorde qu’a une gamme élevée, à des privilégiés. Les hommes observent ses courbes, s’excitent à la regarder se trémousser et gémir. Et ils n’abiment pas la marchandise ! On ne mord pas ! C'est une règle établie sur le petit ange, par le meneur des vrais. On peut toucher, caresser et… moyennant finance, pénétrer.
Peu de congés lui sont accordés, et après tout, l'enfant divine ne sait pas ce qu'elle ferait de ce temps libre. Angel ne sait pas lire l’anglais, elle est ukrainienne et est arrivée sur le continent il n'y a pas si longtemps. Du moins pas assez pour qu'on ait réussi à lui inculquer une compréhension correcte des lettres et de la phonétique. Elle évite ses semblables, car son accent très prononcé lui fait honte. Elle rougit, quand on la force à ouvrir la bouche. Elle trouve les sons saccadés et hachés que sa langue natale pose sur la langue américaine, sensiblement déplaisant. Amusant, quand on sait que ceci amplifie pour beaucoup son charme inimaginable.

  ▬ Angel reste innocente et fragile, même avec ce qu’elle a enduré et a surmonté. Incapable de méchanceté réelle, sauf pour protéger ceux qui lui sont chers. En soit, très peu de personnes aujourd’hui. Deux, pour être exacte. Si l'on attenté à leur existence, la frêle petite humaine se battrait comme une tigresse. Un vampire. Une sorcière. Une étrange lumière qui paraît s’affaiblir. Une ombre qui ne cesse de s’agrandir.
▬ Pessimiste et désillusionnée, le petit ange a trop vu pour un âge si bas. Elle a trop subi, pour une âme si pure.
▬ Elle renferme une tristesse intolérable, qu’elle cache. Qu’elle emprisonne et ne veut sous aucunes raisons laisser sortir. Ce serait signer sa perte, Angel sait qu’en la laissant la submerger, elle sombrerait.
▬ Suicidaire d’un certain côté, elle ne répond pas quand on lui demande ce qu’elle serait prête à faire pour se sauver. Le pire est de toute façon à envisager. L’existence lui pèse, son corps et son esprit sont une prison. Sa réalité est une prison. Et son unique moyen de s’évader reste sa cervelle qu’elle force à ne plus fonctionner ou ce palpitant que l’on se plait à massacrer, qui devra à un moment donné se stopper. Elle ne désire que se reposer.
▬ Angel ne parle pas beaucoup, en contrepartie elle a une capacité exceptionnelle à cerner les gens qui lui font face. L’empathie dont elle est pourvue lui assure un reste d’humanité qui déjà aurait dû lui être ôté.
▬ L'enfant apprécie le silence et le calme, qui lui sont trop souvent refusés. Angel peut passer des heures assise sur un canapé avec rien d’autre devant elle qu’une pièce vide, sans télévision, sans musique.
▬ Toutefois, la présence de quelqu'un d'autre qu'elle même lui est nécessaire. La solitude peut la rendre pratiquement hystérique.
▬ Survivre. C’est l’idée qui la berce et l’obsède. Mais au plus le temps avance, au plus la difficulté de ne pas céder s’accroît.
▬ Elle n’est pas attirée par une chose en particulier, pas de hobbies spécifiques. Elle vit en fonction d’Abigaël. Peut être est-ce ça, finalement, son rôle sur cette terre. Rester à ses côtés, ne jamais s’en séparer. Demeurer son petit ange. Son ange gardien. Aussi impuissant et vulnérable soit t’il en apparence. Ce n’est pas de force physique dont Abigaël a besoin, et Angel le sait, le sent. Le devine.
▬ Si on lui retiré Abigaël, Angel ne pourrait le surmonter. Emporté en pleine détresse et dévoré par un absolu désespoir. Enchaînée par un chaos renaissant. Sans plus de repères, sans plus rien. Son monde s'écroulerait une seconde fois, et ça lui serait fatal. Angel est dépendante de sa dominatrice.
▬ Alessandro est cependant devenu son petit bout de lumière. Un échappatoire, qu’elle n’est pas certaine de vouloir attraper. Car si elle prend cette porte de sortie, elle a peur de voir encore plus clairement le monde. Et l'aveuglement dont elle fait preuve est son unique manière de se protéger. La présence du jumeau dans son existence lui est cruciale, capitale. Elle voit sa peine, comme il voit la sienne. Elle le devine, sans réussir à complètement le définir. Elle désobéit aux ordres qui lui sont donné, pour le voir. Le toucher, lui parler ou l’écouter.
▬ Le vampire la rassure, et l’apaise. Elle ne comprend pas pourquoi, ni même comment. Mais elle l’aime, à sa manière. Elle sait qu’elle est devenue son obsession. Toutefois, elle ne s’y formalise pas. Puisqu’il n’est pas le seul, à éprouver de telles pulsions envers ce corps. Angel ignore que l’obsession est plus ancrée, plus profonde, plus destructrice. Elle redoute ce qu'elle devra lui donner en échange. Elle pressent qu'il pourrait lui faire mal. Alessandro ne doit pas l'abandonner, elle l'en prie - muette -. Car sans lui, les ténèbres pourraient bien l'avaler définitivement.

Angel n’en a pas vraiment conscience. Cela n’a rien changé à sa vie. La môme comprend juste un peu mieux l’attraction qu’elle provoque sur certaine personne, plus aigue et ravageuse, que sur d’autre. Mais la différence est tellement infime, qu’elle n’y accorde qu’une vague importance. La timide mortelle est perdue. Avant ou après la révélation, où est le but ? Quelle est sa voix dans ce sordide manège ? Cela fait trop longtemps qu’elle n’a pas rit aux éclats. Cela fait trop longtemps qu’elle n’a pas éprouvé une joie immense. Cela fait trop longtemps qu’elle se sent presque morte. Ces sujets politiques ne l’atteignent pas. Angel est hors du temps et de l’agitation alentour. Ecoutant les dires de sa maîtresse, elle acquiesce. Réfléchit un bref instant. Et puis l’enlace de ses bras, en blottissant son crâne au creux de sa nuque. L’enfant clot ses paupières et s’endort sans plus se poser de questions.

  Angel a un ancêtre Fey. La lignée remonte à si loin que son sang n’est nullement nocif aux vampires, que du contraire, ils s‘en ravissent et s‘en délectent. Un élixir aussi rare qu’exceptionnel. Elle n’a aucun pouvoir, aucun don en particulier. Si ce n’est cette beauté subjuguante, cet aura effroyablement attractive. Et cette odeur, ce parfum qui enivre et exalte les sens. Agnia, ressemble à un ange, à une créature en rien comparable à cette vulgaire humanité. Par besoin de la faire sienne, de la garder unie à elle sans possibilité de casser le lien ; Abigaël lui a tatoué à la base de la nuque une rune de localisation. Sans lui demander son avis. Une marque de possession, de territoire. Impossible pour Angel de la semer, de disparaître, de s’échapper. Et puis… Elle ne le veut pas, elle n'y survivrait pas. Ainsi, le tatouage est là pour sa simple sécurité, pour qu'on ne puisse pas la perdre, pour qu'on ne puisse l’enlever à ses propriétaires.

La nuit vient de tomber sur l‘Est de l‘Europe, le voile aux lumières argentées scintille sous ses yeux sages. La petite blonde observe par la fenêtre ce miraculeux tableau, dont elle ne se lasserait pour rien au monde. Là, assise sur l’encadrement de bois, ses bras sont tendus et ses doigts agrippent la bordure. Un équilibre précaire, qui ne l'empêche pas de se balancer dangereusement d'avant en arrière. Ses jambes au dehors, elle sent la brise nocturne et légère lui chatouiller la peau. Son joli minois scrute les étoiles et les astres, avec cette fragilité et naïveté qu’ont les adolescents. Ils évoluent, se cherchent et se construisent difficilement. Tournant son visage d’ange vers son cadet qui s’est endormi dans son lit, Agnia sourit. La tendresse qui la submerge pour ce corps malingre et assoupi, la transperce de part en part. Elle voudrait le protéger, toujours veiller sur ce trésor qui lui appartient. Cette soirée marque la fin d’un rêve, d’une famille et d’une vie. La sienne.
En bas, des voitures se garent, font crisser les pneus sur l’allée gravillonnée. Une femme surgit de derrière en ouvrant la porte de la chambre à la volée, et dans un soupir elle appelle ses adorables et magnifiques enfants. La panique fige ses traits en un affreux rictus, qui effraye aussitôt la poupée aux cheveux d‘or. Agnia se retourne, regarde sa mère, ne comprend pas. Elle ne veut pas. Tétanisée, elle est désorientée. Ses iris vrillent sur la scène qui s’amorce sans qu’elle ne puisse rien arrêter. Tout va trop vite, tout est terriblement rapide. Contemplant ce spectacle inquiétant, ses prunelles ne quittent plus le manège sanglant qui s’annonce. La violence ne serait tarder à éclater, car déjà, elle entend son père hurler. Les sons sont confus, plusieurs voix s’élèvent. Il est sorti, et fait face aux monstres cagoulés. L’un d’eux l’agrippe aux épaules, et le met à genoux. Agnia devine qu’il est condamné. Un bruit retenti, explose l’atmosphère et fait s’écrouler l’univers tout entier de la gamine. Le patriarche grisonnant s’affale sur le sol, et une tâche sous sa tête s’élargit, lentement. Elle s’étend, imbibe la terre et devient bientôt une marre. Une immense auréole noire autour du cadavre, se forme. Sa génitrice l’attrape, la tire hors de portée, hors de sa torpeur. L’ange chute, réagit, et bouge. C’est instinctif, elle ne réfléchit plus. Ses jambes tremblent, mais elle court. Sa mère lui cri d’emmener son frère, et elle obéit. Ne se pose aucune question, avec la menotte tiède accrochée à la sienne. Les deux enfants s’élancent haletants sur le pallier du premier étage, ils s’enfoncent dans le couloir. Les fenêtres de la haute demeure encouragent leur fuite, les aidant avec la lumière ensorcelante et précise de la lune vengeresse. Il ne faut pas se retourner, sa mère le lui a strictement interdit. Ils doivent courir, s’enfuir, sortir de la maison quoi qu’il en coûte.
Les paroles de sa génitrice au loin, deviennent des supplications. Elle geint et prie les bourreaux. Son souffle obstrue ses tympans, Agnia veut écouter, et s’en aller. Un second coup s’envole dans l’air. Une mélodie étrange, envoûtante, abominable. Et un bruit sourd, d’une masse qui tombe sur le parquet luxueux. Se mordant la lèvre, elle a saisit, qu’elle n’y échappera pas. Ses yeux descendent sur la tête blonde qui trébuche et continue à suivre les longues guibolles de son ainée. Elle ne peut pas abandonner, elle a le devoir de le sauver. Appuyant sur la poignet de la bibliothèque, elle agrippe le petit bout d'humain dans ses bras, presse le corps essoufflé contre sa poitrine et se précipite aussitôt dans l'endroit à l’odeur de renfermé et de moisissure. Sa cheville se tord, et ses genoux frappent le plancher. L’ange gémit, se relève sans lâcher son trésor, qui s’est attaché à elle, en encerclant - terrorisé - la nuque endolorie. S’accroupissant, Agnia dérape et ils se faufilent sous le large bureau en chêne ; encore encombré de paperasses diverses. Des feuilles s’envolent à son passage. Poussant son chérubin dans le renfoncement, elle lui intime de se taire. L’index posé sur ses lèvres charnues, il faut que le silence s’étire. Il les protégera. Il est le dernier à pouvoir les sauver du cauchemar galopant. Sa gorge se serre, ses sourcils s’arquent d’inquiétude. Agnia retient ses larmes, et sourit tendrement au garçonnet. Tout ira bien, lui assure t’elle. Elle est là, ils sont à deux. Ils n’ont rien à craindre. Se hissant jusqu’au rebord du meuble de rédaction, sa figure observe l’entrée. L’ange retient sa respiration, et ses tremblements d’effrois. Elle ne peut pas être faible, elle doit se battre pour l’être dont elle à la charge. Elle est son ultime chance.
Des pas qui s’approchent, elle blottit son chérubin contre elle, pose sa bouche sur le sommet de son crâne et le berce. Agnia attend son heure, la peur au ventre. Pressant un peu plus le chétif organisme encore palpitant, ses paupières se scellent. Ils vont mourir, la certitude lui étreint la raison.
Le bureau, leur tanière, dégage brutalement sur le côté. Agnia lève ses prunelles vers les tortionnaires, et laisse un couinement naître dans sa trachée. L’un d’eux la choppe à la gorge, manque de lui briser la nuque en la soulevant. Ses mains ne lâchent pas son frère, elle résiste et plisse les yeux. Ca fait mal, et les gestes de l’homme sont hargneux. Une gifle, et la gosse desserre la prise qu‘elle avait sur son cadet. Aussitôt ses ongles s’enfoncent sur cette serre, cette énorme patte qui manque de l’asphyxier. Il prenne le petit, le malmène, joue avec lui et pose sur la tempe le canon du revolver. Ses billes chocolats s’écarquillent, elle se débat comme une tigresse, griffe et tente d’hurler. Sa voix est sourde par la pression des phalanges encerclant sa peau rougie. Elle pleure, les larmes dégoulinent sur ses joues. Une seconde, et la balle vient creuser un sillon dans la boite crânienne de son trésor. La cervelle se répand sur les livres, l’armoire et le mur. Ca asperge de morceaux de chairs et de jets sang l’ensemble, des bouts d‘os s‘incrustent dans la tapisserie. Dénuée de tous sentiments, Agnia est inerte. Amorphe, son cerveau ne réagit plus. Ses bras ballant sur ses côtés, ses pieds patinent sur le sol lustré, et l’homme enrage. Vociférant quelques insultes dans une langue qu’elle ne comprend pas. Il l’étrangle ? Et alors. Ils viennent de la briser, de la supprimer radicalement. Rayée de la carte, rayée de ce monde, rayée du conte de fées qui a viré à la mascarade aux horreurs.
Une main prend des mèches de ses cheveux, et tire dessus. Sa nuque se tord, elle ne crie pas. Une seconde gifle. Elle ne réplique pas. Il lâche, son corps avorte sur le parquet. Un flingue dans sa direction, une voix la somme. Non. Agnia ne crèvera pas si facilement, ce bâtard qu’est le destin lui réserve un avenir démesuré. Des mains la soulèvent par les bras, ils la tirent dans le labyrinthe qu’elle ne saisit plus. Déconnectée de la réalité, la voilà à l’air libre. Libre ? Un joute, une décharge électrique qui l’a fait s’agiter. Remuant pareil à un asticot, elle appelle à la miséricorde, elle supplie qu’on la lâche. Qu’on l’a tue. Les bêtes masquées ricanent, aimeraient pour la plupart lui foutre un coup de pied dans les entrailles. Toutefois ils ne peuvent pas, elle doit rester intacte. L’enfant est merveilleuse, l’infant est inhumaine. L’enfant va servir à couvrir les dettes de sa famille déchue.

La salle est remplie de créatures en mal de sensations, d’esprits qui ne désirent que se perdre. Les mémoires s’effacent dans le fond d’un verre d’alcool, et dans l’observation insensée de corps se mouvant sur des musiques langoureuses et affables. Angel déteste cet environnement, hait cette existence sordide. Elle veut mourir, qu’on lui ouvre les veines, qu’on lui brise la nuque. Qu’une balle traverse sa petite tête blonde et se loge au milieu de son cerveau. Elle veut s’éteindre, disparaître, se dissoudre dans ce merveilleux univers, elle a pour ambition de se transformer en poussière que l‘on souffle au dessus d‘un océan. Ce serait si bon, de s’en aller. Pour toujours, le néant l’aspire tandis que ses hanches commencent à tanguer. Droite, gauche, un pas en avant. Et elle s’évade, dans son monde à elle. Intime, mystérieux, sans aucunes accroches avec réalité. Elle-même ne sait pas ce qu’elle y fait, ce qu’elle y engendre. Mais elle s’oublie, elle valse autour de la barre et perd la notion de bien ou de mal. Son cadavre amorce sa descente en enfer, alors que sa conscience s’envole, se disperse dans l’atmosphère infectée par la fumée de cigarette, l’odeur de sueur et l’aigreur des liquides enivrants. L’enfant gémit, se tord, se détend et s’excite. C’est beau, c’est atrocement attirant. Quiconque l’observe finit hypnotisé dans les premières secondes. Le petit ange est un spécimen à part, d’une grâce et d’une fragilité surréaliste. Angel est l’oeuvre d’un monstre sans cœur, qui a décidé de lui offrir un destin aux fragments tranchants. A peine en prend t’elle un entre ses doigts blancs, pour reconstituer le puzzle détruit, qu’elle s’y coupe. S’y blesse et pleure de douleur et de détresse.
Un diamant de sang, que l’on veut. Que l’on s’accapare, ou que l’on vole. Angel passe de mains en mains. Les propriétaires de sa carcasse, elle ne les distingue plus. Ils sont identiques, tous avec la même idée derrière le crâne. La baiser ou se faire un paquet de fric sur son dos, ses fesses et ses miches. Et Angel ? Angel ne dit plus rien, elle baisse les yeux et fait ce qu’on lui ordonne. Elle n’a plus mal, depuis une éternité. C’est plus facile, avec le temps. Les minutes s’amoncellent, la soirée ne fait que débuter. Shreveport est un endroit étrange, l’Europe ne ressemble en rien à cette Amérique frémissante, bourdonnante et cependant au bord du déclin. Ca se sent, dans l’oxygène. Trop de violence, trop de rancœur et de désir de vengeance. Elle ferme ses grands yeux noisettes, et entrouvre la bouche. Son organe palpite sous sa peau d’ivoire, dont aucune imperfection n’est visible. Non, ils font attention à ce petit ange qui rapporte tant. Et quand on la blesse physiquement, on le soigne. Inlassablement, avec du sang de vampire, du désinfectant ou une claque. La douleur psychique, n’a aucune importance. Elle avale, elle toussotait au début. Plus maintenant. Comme toute chose, avec la durée des actes, cette brisure au fond de l’être, et ces désordres qui ne l’a dérange même plus. Elle s’y habitue. Elle s’y habitue. Elle s’y habitue. C’est une litanie, qui s’allonge à travers son espace. Elle s’accommode de tout, la poupée blonde.
Soufflant, elle se laisse tomber, agrippe la bar de métal froid, et puis remonte. Doucement, indolemment. L’objet épouse ses formes, la fait devenir naïade, sirène, muse ou déesse. Puis son visage se tourne, et la gosse demeure. Une enfant brisée, dévastée, désenchantée. La tristesse l’a enseveli, les épouvantes d’un passé répugnant ont définitivement effacé l’espoir et la naïveté.

Angel se réveille, et ne veut pas. Elle résiste mais son cerveau se remet en marche. Alors elle le voit. Lui et nul autre. Parmi la foule d’hommes qui la contemplent avec leur sale appétit. Elle se confie à ce regard céruléen, à ces iris qui n’ont plus rien d’humaines. Et qui pourtant lui montre une âme hurlante derrière ces deux yeux de mort. L’adolescent qui se cache est eternel, désœuvré et surement perdu, il a l’âme et la raison d’un écorché, d’un condamné à vivre. Et le petit ange ne veut pas, désespérée, elle ne comprend pas découvrir cela. Non, il ne doit pas plonger, pas la laisser. Elle manque de s’égarer, elle désire qu‘il persiste dans son horizon. Angel refuse de s‘y lier, et le supplie de toujours rester là, devant elle, à l‘aider à s‘échapper de l‘effectif moment. Les êtres de ce monde ne sont pas bons, et le vampire lui demanderait en échange de quoi la briser, il va lui faire mal et la faire s‘écrouler implacablement sur le tapis. Et pourtant, son regard chocolat ne peut plus le quitter. C’est trop dure, trop cruel, elle sent son malaise. Elle perçoit et touche son désastre. Angel n’est plus seule. Lui n’est pas vraiment là, mais il la voit, et c’est la seule chose qui compte. Elle rive sa raison sur sa lumière. Elle la distingue en lui, mais la flamme vacille, les minutes s‘écoulent. Trop tard, ou trop tôt. Sa douleur est la sienne, elle ne déchiffre pas mais s‘en fiche.
Elle le voit, le veut, il est sa porte de sortie. Son échappatoire, sa douce mélodie qui infiltre sa poitrine et berce ses troubles. Un éclat au bout du tunnel, une chimère à la beauté qui ne devrait pas être donnée d’apprécier à l’humanité. Sa gorge se serre, et les larmes roulent sur ses joues. Pourtant, elle continue de danser, d'exhiber ce corps qui n’est plus le sien. Angel est fatiguée, elle veut simplement dormir, et qu’on la laisse au centre de ce silence qui la rassure. Plus de cri, plus de rage, plus de tristesse ou d’amour. Juste un rien, parfait et dénué de tensions. Elle enchaine les vagues, grise les cervelles et les morts de son parfum. La poupée blonde s’accroche au visage, qu’elle grave dans sa mémoire. Ca l’aide à continuer, a ne plus cogiter.
La musique stoppe. La belle enfant s’arrête, perchée sur ses talons hauts et ses guiboles tremblotantes. Elle revient à la réalité, sa bulle hermétique a pété. Lui offrant un faible sourire, elle le rassure, Angel souhaite lui dire que tout ira bien maintenant. Qu’elle sera là. Elle voudrait lui caresser la joue et saisir la douceur et la froideur de sa chair, ou se blottir dans ses bras et s‘assoupir en sécurité. Elle ignore ce qui la pousse dans une telle hallucination. Le petit ange ne veut plus s’attacher a des espoirs vains, elle ne désire plus appartenir à quelqu’un, immolée par une union, et se faire ensuite piétiner. Revendre. Racheter. Tout se volatilise, elle n’a pas le temps de s’enfuir. Pas le temps. Elle doit avancer, les yeux fermés. Aveugle, muette, sourde. Alessandro, s'appelle t'il. Pas le temps. Plus la force.