✤ Traits de caractères

Insaisissable. Le regard des morts, voilés et vitreux, semblent plus émotifs que tes yeux d'onyx, qui en ont désarmé plus d'un par leur froideur. Héritage d'une utilisation abusive de la magie ? Peut être. Néanmoins, on t'a toujours connue avec ce penchant étrange pour le mutisme et l'observation. Tu ne parles que pour ordonner, négocier, insulter, écraser. Un caractère impétueux mesuré par ton ambition ; régner dans l'ombre, c'est ton souhait le plus cher et tu ne le caches à personne, même si on s'accorde pour dire de toi que tu es énigmatique – à juste raison, une fois aux portes de la Tenebrae, tu as tu ton passé comme la plupart des aspirants. Au sein de ta famille, on n'a pu qu'affronter tes décisions parfois extrêmes et ta rancune inébranlable, ton opportunisme presque machiavélique. Tu es capable de tout. Un credo simple à assimiler pour tes comparses :  la première rencontre est un concours de circonstances, la deuxième une coïncidence, la troisième une déclaration de guerre (Ian Fleming) Et quand la guerre éclate, plus aucune règle ne compte.

✤ Occupation diurne

D'un côté, le recel d'armes et leur vente dans les culs-de-basse-fosse de Stoner Hill. Peu de gens savent qui est vraiment à la tête du Silver Bullet, mais beaucoup parlent d'une putain de yakuza sournoise et sourde au moindre compromis. Tu calcules finement les rumeurs sur la patronne de ce commerce, tantôt négatives pour apaiser la concurrence, tantôt positive pour attirer la clientèle. Les ficelles du métier. Et par ton ascendance mafieuse, tu es une excellente marionnettiste. Ils savent qu'il ne faut pas t'emmerder, et ceux qui ont osé t'affronter reposent aujourd'hui sans les honneurs dus aux mânes.
Enfin, tes activités sont aussi mêlées à la pègre locale puisque tu appartiens aussi au réseau tissé par Cinead Ó Súilleabháin. Et tu respectes scrupuleusement les ordres donnés par ce dernier. Dès le berceau, tu as observé les sbires de ton père courber l'échine. Tu as très vite compris que tu n'étais privilégiée que par la similarité votre sang – une bien triste mascarade, selon ta mère. Et tu ne comptes pas faire les mêmes erreurs que les morts.

✤ Manies, habitudes & goûts

Puisque tu n'es pas native du continent américain, tu as gardé un fort accent japonais. Ta langue natale resurgit souvent quand tu t'agaces, voire même dans ton sommeil. ● Depuis presque toujours, selon l'intensité de ton anxiété, tu te mordilles la lèvre inférieure et te frottes les mains. Cette habitude se manifeste rarement en présence d'autres personnes, mais une fois seule, tu t'y adonnes à cœur joie. ● En période de troubles, il peut t'arriver de trouver réconfort dans les clopes, mais ton véritable salut réside dans les bouteilles de whisky. C'est un peu comme tes somnifères les nuits où le sommeil te fuit, où les cauchemars te hantent. La culpabilité. Aussi incroyable cela puisse paraître, il t'arrive de l'éprouver. ● Souvent, avant de céder à Morphée, tu fais le tour de ton domaine au moins deux fois. Ta paranoïa s'intensifie les soirs de pleine lune. À trop rabaisser les bêtes, on accroît leur colère et s'il y a bien une chose que tu redoutes, c'est la perte de contrôle. ● Tu as gardé l'amulette de protection offerte par ta mère, et quand la peur te plombe l'estomac, tu ne peux t'empêcher de jouer avec elle.

✤ Magie utilisée

Depuis le berceau, tu baignes dans le mensonge, constamment à la recherche de la vérité. La première qu'on t'a murmurée au creux de l'oreille, loin de l'autorité paternelle, c'est le véritable patronyme qui constitue ton identité. Tu es née Hashimoto au regard de la loi, mais le sang, lui, il t'appelle, il te chuchote que tu te nommes Ikeda. Ce sont les derniers mots de ta mère avant qu'elle ne creuse sa propre tombe. Elle t'a avoué la réalité sur les étranges moments passés avec elle, qu'aucune mère humaine ne partagerait avec son enfant, sur l'héritage de ta lignée, sur cette capacité d'Ouïe partagée avec aucune une autre qu'elle, sur ton éloignement progressif avec les mâles de la famille. Tu es devenue orpheline à seize automnes, même si la rage du patriarche t'avait déjà éloignée de ta mère – et quand elle a émis son dernier souffle, elle t'a cédé le manuscrit de ses rituels, du pouvoir gigantesque entre tes mains frêles. Quand la pression broie tes épaules tremblantes, aucun homme ne doit t'effleurer. Si on pense que c'est par fierté que tu te cloisonnes pour déverser tes larmes, c'est surtout par peur de te créer un esclave non désiré. Mais tu préfères qu'on te croit forte. Invincible. Éternelle. Comme la Nature et les Anciens Dieux que tu pries les nuits où la magie rouge t'enivre, ta peau nue, glacée et mordue par les vents qui secouent la forêt. Quant à l'Extorsion, c'est un pouvoir complexe que tu utilises avec parcimonie. Tes questions sont rarement aussi précises qu'elles devraient l'être ; et la réussite d'un coup de maître passe surtout dans ta capacité de modeler les mots pour en arracher aux autres. Sans quoi, la spécialité des Ikeda serait un jeu d'enfants. Mais tu t'es promis d'arriver à la maîtrise de ce pouvoir. Au nom de tes ancêtres.
Si ton don héréditaire a peu de secrets pour toi, tu es aux prémices de ta maîtrise de la magie. Tu te saignes des fois sans trop comprendre la portée de tes actes, mais tu n'oublies jamais de remercier les démiurges pour leur générosité. Par crainte de devoir leur sacrifier ton âme, mais aussi par devoir, et par respect. Il y a dans la magie quelque chose qui te fascine au point que tu pourrais finir aliénée par tes propres rituels. Il n'y aurait pas de plus belle mort pour toi que de tomber au sanctuaire. Tu te confonds peut être dans la solitude à cause de ton pouvoir d'Inquisitrice, mais aussi pour préserver ton sang de vierge au bon vouloir de la magie car tu t'y es vouée corps et âme, au même titre que ton envie de te retirer du monde avec la couronne. C'est pire qu'une drogue, c'est un nectar que tu savoures et dont tu abuses parfois. Dans ces moments d'insouciance, cette passion dévorante te laisse alors comme une coquille vide, plus implacable et cruelle que Commode, plus épuisée que jamais. Parfois, tu es clouée au sol, inerte, sans la moindre possibilité de bouger.
Tu es liée à la fois à la Tenebrae, sans trop tremper dans leurs affaires de magie noire, mais aussi à Cinead Ó Súilleabháin. Ce n'est pas suite à son alliance avec ton clan que tu as rejoint ses rangs. La pègre, tu connais. C'est une seconde famille pour toi, où qu'elle se trouve, et qui elle porte comme chef. Alors, depuis que tu es en mesure de contrôler ta Main, tu exerces tes habilités pour avoir des informations, pour te protéger des menaces, assurer tes arrières, et toujours monter plus haut.

✤ Convictions

Tant que les affaires marchent... Qu'il y ait eu révélation ou non, tu penses qu'il serait temps que les CESS arrêtent de se taper sur la gueule. Tu souhaites une alliance fortuite pour bouter les humains, leur montrer les véritables maîtres du monde et le ridicule de leur existence. À quoi bon vivre si ta seule défense réside en la fuite ? Ils peuvent être mordus, griffés, maudits. S'ils méritent peut être de vivre, ils n'ont pas votre supériorité. Pour toi, la révélation n'a fait que mettre sous les feux des projecteurs les véritables problèmes de la société non-humaine. Aucun n'a été résolu, mais aucun n'a été vraiment créé, si ce n'est ces abrutis d'Humains d'Abord. Les ennuis fusent de partout, que ce soit entre les CESS ou avec les humains. Tout devient instable. Et si l'instabilité est bonne pour les affaires, elle l'est moins pour garder un pouvoir stable sur les populations. Pour ta survie, tu espères la fin des combats et la reddition de chaque camp. Pour mieux les écraser en retour. Tu ne crois qu'en toi, en ta Famille, et surtout en la Nature et la puissance de la magie.

✤ Signes particuliers

Tes yeux. Tes yeux noirs qui semblent dire Dis-moi la vérité..., en même temps qu'ils n'expriment rien. On y sent une menace froide et particulièrement dérangeante, inexistante au premier abord. Et si les doigts curieux consentent à délacer les robes dans lesquelles tu aimes te parer, on observe le déploiement d'une large cicatrice sur ton flanc gauche, souvenir déplorable d'un certain Croquemitaine.

Des lettres finement tracées. Alignées en mots songeurs sur un papier blanchâtre. Une écriture soignée. Plutôt masculine, même si la main qui tient la plume a la délicatesse d'une femme. Raven mâchouille nerveusement le bout de son stylo, les yeux perdus dans le vide. C'est toujours la même chose à l'approche de son anniversaire. Elle observe les aiguilles de l'horloge tourner, elle croit entendre sonner le glas sous les douze coups de minuit, et voir la Mort la saluer au bout du tunnel. Alors plus tôt, dans la soirée, elle s'est consacrée à quelques rituels pour apaiser ses angoisses, mais celles-ci persistent. Insidieusement.
Une voiture passe dans la rue en contrebas. Un rayon de lumière bleuté court sur le mur et s'évanouit quelques mètres plus loin, sur l'écriture soigneuse de Raven. Elle soupire. Tick tock tick tock. Le temps s'écoule plus vite que le sang d'une gorge ouverte. Ses doigts se crispent sur le stylo, et elle se penche de nouveau sur ses mémoires. Elle a déjà indiqué la date –  « Le 23 septembre 2014 » – et divagué longuement sur ses compétences magiques –  « failli perdre mon sang-froid, Ruben n'aurait pas apprécié de me lécher les pieds jusqu'à la fin de sa vie. »  « le rituel du Talion a fonctionné. Enfin. ».  Mais c'est un passé lointain qui la trouble et qui revient chaque année comme un refrain lancinant. Sa main tremble. Raye les premiers couplets de son ode à la magie.

Byakuren.
C'est le nom que tu m'as donné dans l'espoir que je me tourne vers la lumière, Maman. Lotus blanc, pureté. Une signification symbolique à tes yeux. J'ai été ta réussite dans la noirceur de la Famille jusqu'à ce que mon Ouïe se manifeste, et que tu comprennes avec horreur que la lignée Ikeda ne s'était pas éteinte dans ton sang. Tu ne pensais pas donner naissance à une Inquisitrice puisqu'elles disparaissaient, et qu'il n'y avait rien à faire. Tu ne t'en serait pas plaint ; j'aurais vécu sans ce que tu nommais un « fardeau » . J'aurais été saine et sauve. Alors, tu m'as couvée avec attention, rassurée de ne pas trouver une once de magie en moi.
Mais c'était juste un éveil tardif. Et quand il a eu lieu, tu t'es résignée à m'enseigner ce que ta mère et huit générations t'avaient transmi. Les secrets de notre sang, le culte des ancêtres, les rituels chamaniques. J'ai tout écouté, tout compris, tout retenu. J'ai été une bonne élève. Studieuse. Et toi, un bon professeur. Mais toujours résigné. Ma mémoire est un flot continuellement irrigué par l'Ouïe ; je me souviens de tout, la moindre nuance de ta voix, du chant de l'uguisu quand je m'éveillais près de toi. Je me souviens de tout. De tout.
Malgré ta préférence pour la magie blanche, quand j'ai exprimé mon souhait de découvrir la magie rouge, tu as cédé. Encore et toujours. Pour le bonheur de ton enfant. Tu m'as accompagné dans mes pratiques, serré les dents face à ta faiblesse et tout enduré jusqu'à ce que cela te consumme. Est-ce vraiment de ma faute...?
Puis, il y eu Raven.
Sans ton regard bienveillant, je pouvais enfin quitter mes plumes de colombe pour celles du corbeau. J'étais déjà pourrie par le sang de mon père mais j'avais toujours joué la mascarade face à toi pour voir tes yeux briller. L'adorable Ren, le beau lotus plus pur que la neige du Mont Fuji. Il n'y avait plus qu'à ajouter un A et un V à ce surnom pour devenir ce que j'étais vraiment. Mais jamais je n'oublierai l'éclat de tes yeux, comme les miens. Devenus vides et inexpressifs avec le temps. Comme les miens... Est-ce le destin de celles qui perpétuent les traditions des Ikeda ? J'aurais aimé être telle que tu aurais voulu que je sois, mais le pacifisme n'éternise plus la magie et ne servira jamais à ma survie. Cette fois, le pouvoir ne m'échappera pas. Il peut être instable, changeant, je le poursuivrai toujours. Il n'y a plus que la violence, la recherche de la vérité, le rouge des passions et la mer de ténèbres qui m'a noyée suite au sacrifice de Yōko. Pour la Tenebrae. Pour notre gloire, Maman.

« Et surtout la mienne » murmure la jeune femme en traçant ces dernières lettres.


« Pourquoi tu t'es mariée à Père si nous sommes si puissantes ? »
La question rompt le silence du rituel, déforme les traits graciles de sa mère en une grimace gênée. Elle baisse les yeux honteusement et penche la tête sur le côté, ses longs cheveux noirs caressant le sol dans un bruissement presque imperceptible. « Ne crois pas que nous sommes invincibles, Ren, répond-elle avec douceur. Quelques fois, nous sommes faibles et nous avons besoin d'une... aide. D'une protection. Ton père est un homme influent et dangereux. La gueule du loup peut être un bon asile quand on sait ce qu'on y trouve. » finit-elle avec un pauvre sourire.
Du haut de ses treize ans, Raven, si elle n'en a pas encore pris le nom, n'est plus toute innocente. Elle porte déjà le masque de la pureté pour occulter sa vraie nature. Elle connaît l'histoire de sa lignée et s'interroge souvent sur les raisons de ce mariage catastrophique, de ce métissage étrange avec un être dénué de toute magie. Mais ces explications la glacent. Ainsi, leurs pouvoirs ne font pas tout et leur race est peut être convoitée... Machinalement, pour se rassurer, ses doigts viennent caresser le petit sachet qui lui tient lieu de pendentif, et elle interroge sa mère de ses yeux intenses. « Je ne m'attendais même pas à ce que mon petit lotus soit comme... » « C'est pour ça que tu m'as donné ça ? Parce qu'on est en danger ? Je suis en danger, Maman ?  » coupe-t-elle vivement en fronçant les sourcils.
C'est la première fois qu'elle a peur. Ce sentiment, elle ne l'a connu qu'à travers les yeux des traîtres du clan Hashimoto venus réclamer la clémence de son père. Jamais elle n'avait pensé le ressentir à son tour. Par son sang, ses habilités et son rang social, elle se pensait à l'abri de tout et de tous. C'est une nouvelle qui tombe comme un couperet. Comme une menace à son ambition naissante. Sa mère se veut donc rassurante, au risque de voir se faner son petit lotus. Elle quitte sa place pour s'asseoir à ses côtés et presser avec douceur son épaule frêle. « Ce n'est pas vraiment un danger, ma puce. Il faut juste faire attention. Et si je t'ai donné ça... (Sa main glisse jusqu'à l'amulette et la caresse du bout des doigts.) C'est juste pour que je sois sûre qu'il ne t'arrive rien. » Raven ne cille pas. Le sourire de sa mère est plein de mensonges. « Tu n'as pas le droit de me cacher la vérité. Surtout toi, Maman. » Puis, considérant les cernes qui bordent son regard fiévreux, elle ajoute : « Tu vas bien ? Tu as toujours l'air malade après qu'on s'entraîne... » Les traits de sa mère s'affaissent en une moue chagrinée, tandis que ses mains pâles viennent jouer avec la cheveux noirs de Raven. « Toi, tu es certainement plus endurante que moi. Tu iras loin, j'en suis sûre.  » Elle vient encercler son visage poupin et embrasse son front. « Je suis fière de toi, Ren. » Ces mots sonnent comme un adieu, mais Raven n'y fait pas attention.
L'absence de sa mère dans la maison familiale la pèse. Elle se sent seule, là bas, portant le secret de leur identité et de leurs rendez-vous, attendant péniblement les dates convenues pour qu'elles se revoient. La fuite de sa génitrice a rendu son père fou de rage, et s'il a refait sa vie et un nouvel héritier au clan Hashimoto, il compte bien faire payer à son ancienne épouse le prix de son humiliation. La gamine scrute longuement le visage émacié de sa mère avant de lui avouer le poids de son absence. « Tu me manques... Sans toi, c'est différent à la maison. Et je déteste Ichirō. Il se moque toujours de mon prénom, et sa mère c'est... » Elle se tait, pour reprendre de vive voix : « C'est une pute ! » Lentement, la jeune femme lève des yeux sombres vers sa fille. Raven attend un sermon, un scandale pour ce vocabulaire indigne de la pureté du lotus blanc.
Pourtant, sa mère caresse sa joue avec un sourire triste. « Toi aussi, tu me manques, Byakuren. » « Si tu reviens à la maison et que tu présentes tes excuses, Père pourrait te pardonner. » Il y a de l'espoir dans sa voix. Toute son innocence n'a pas été dévorée par les desseins paternels. Mais sa mère secoue la tête, et c'est la rupture avec sa naïveté d'enfant. « Ça tournerait mal. » « Tu lui expliquerais tout ! » « Non ! Personne ne doit savoir ce que nous sommes, pas même le plus fidèle et amoureux des époux ! » C'est l'interdiction de trop, la déception qui explose. Raven se redresse et serre les poings. « Je le soumettrai s'il ose te faire du m... » Une gifle la fait taire. Elle titube sur le coup, puis, observe avec effroi l'air terrorisé de sa mère, une main collée sur sa joue douloureuse. « Ce n'est pas un jeu, Ren ! Ni un pouvoir de super-héros. Tu ne le maîtrises même pas correctement... Ne joue pas avec ça et encore moins avec... ton père. J'en ai la nausée. » Elle préfère fermer les yeux plutôt que de subir le regard effaré de sa fille, portant la main coupable à ses lèvres. Raven fronce les sourcils et éclate d'un rire froid, cynique. « Tu as peur de tes pouvoirs, maman ? » « Oui, avoue-t-elle en lui tournant le dos. J'ai peur de ce qu'ils peuvent faire s'ils étaient entre de mauvaises mains. Certaines formes de magie ont corrompu de nombreuses âmes, Ren. Je ne veux pas que cela t'arrive. »
Le rire de Raven s'évanouit. Sa mère s'est tourné vers elle avec un regard si tragique, si désespéré, qu'elle est partagée entre l'envie de rire de son inquiétude et de pleurer son âme déjà viciée. La gamine ferme les yeux un bref moment, le temps de rétablir la mascarade. « Je te le promets, maman... Je n'en abuserai pas. » Un sourire rassuré étire les lèvres de sa génitrice. Elle semble adhérer au triste mensonge que sa fille lui a servi. Sans un remords. Ses bras l'astreignent au giron maternel et la bercent lentement. « Je te crois, Byakuren. Tu n'es pas comme ça... »

Les doigts crispés sur sa coupe, elle observe Ichirō tituber parmi les sbires du sacro-saint parrain du clan Hashimoto. L'alcool a coulé à flots au cours de cette soirée, mais elle reste étonnement sobre. Comme si rien ne pouvait laver l'affront subi et, surtout, le lui faire oublier. Elle n'arrive pas à comprendre les décisions de son Père. Alors, elle a juste souri, juste félicité son demi-frère et embrassé sa belle-mère avec toute l'hypocrisie mondaine dont elle sait faire preuve.
Personne n'ose approcher l'aînée de la famille depuis déjà quelques années, plus précisément depuis la mort de sa mère, gardée secrète par son enfant chérie. Mais si on le murmure souvent, Raven ne s'est pas assombrie, en réalité ; elle a juste cessé de porter le masque, elle a juste brisé les derniers morceaux de pseudo-innocence qu'elle s'était créée. Si cela est nécessaire, elle recouve sa candeur passée pour minauder, faire la moue et manipuler autrement que par les regards froids, les rictus cruels et les menaces. Mais cela reste rare. Trop rare pour que certains s'interrogent sur la sexualité du sombre oiseau. « B... Bya... kuren » souffle Ichirō d'un air faussement ravi. La jeune femme le toise durement, posant sa coupe sur le buffet pour éviter les dégâts qu'elle pressent. « Ichirō... (Elle fait courir son regard de sa tête porcine à ses pieds, tremblants sous le poids de l'ivresse.) Quel honneur de pouvoir enfin discuter avec l'héritier du clan. Tu as réfléchi à l'affaire des gars descendus près de Kabukichō ? J'imagine que non... » Le bien-aimé fils émet un drôle de ricanement. Mi-amusé, mi-hargneux. « J'suis bien trop... bourré pour ça. » Une grimace de dégoût tord brièvement le minois de Raven. Elle s'écarte de quelques pas de cette loque imbibée de saké, prête à fuir si son sang se glace, si elle perd pied. « À ma mort, peut être que... tu hériteras du poste. » « Ne me tente pas, Ichirō. » gronde-t-elle en allumant une cigarette. Un lourd silence se prolonge entre eux tandis que l'orchestre entame une nouvelle valse pour les badauds ivres. « Je m'occuperai de ce petit fils de pute d'Akikazu demain. » « Tâche de ne pas être trop... cruelle. Il nous a... présenté ses excuses. » lui rappelle Ichirō. Un gloussement gras et répugnant lui échappe, pendant que Raven tire une nouvelle fois sur sa cigarette avant de l'écraser dans un cendrier un peu plus loin. À peine allumée, déjà éteinte. Ce rituel tient plus de l'ennui et de l'angoisse ; quand Ichirō est dans les parages, puisqu'elle ne sait rien faire de ses dix doigts, elle fume, elle boit, et arrête une fois son calme olympien retrouvé. L'évocation des excuses d'Akikazu a ravivé sa loyauté aux principes du clan.  « Ses excuses, il peut se les carrer au cul. Il paiera. C'est ce que Père veut. Tâche d'avoir la carrure et les tripes pour ce dont tu as été choisi, petit frère. » Elle ne peut retenir un soupir irrité en croisant ses yeux hagards. Un bien mauvais choix, selon moi, a-t-elle envie de dire. Mais elle se contente d'un sourire. D'une banale politesse. « Passe une bonne soirée, Ichirō. »



Akikazu crie, et une myriade de bulles remontent à la surface. Il n'a rien fait. Rien. Il le jure. Il a mal, il veut qu'on le lâche, qu'on lui foute la paix une bonne fois pour toute. Quitte à le coller contre le mur avec une bastos dans le crâne. Tout pour que ça s'arrête. On lui a déjà explosé les dents contre la faïence des chiottes, écrabouillé le nez contre la cuvette, et voilà qu'on tente de le noyer dans la pisse et dans son propre sang. Tout ça devant l'air songeur de cette salope d'Hashimoto et ses doigts négligemment serrés sur sa clope. « Ça suffit maintenant. » Sa voix claque comme un fouet parmi les glouglous d'Akikazu, tentatives pitoyables de plaider son innocence. Les griffes desserrent leur emprise sur ses cheveux poisseux de sang et d'eau croupie. Il halète, tente d'inspirer le plus d'air salvateur...  « Qu'est-ce que tu espérais en revenant ? La clémence ? La mort ? » interroge Raven d'une voix douce, lente. Akikazu frémit face à ses prunelles abyssales, si sombres qu'elles semblent absorber toute lumière. Il a toujours vu la petite Byakuren en démon, même quand un sourire d'ange illuminait sa frimousse. « Tu aurais mérité de succéder à ton père, Byakuren. » répond-il avec un rictus narquois. Un sourire fugace tord la bouche de Raven. « Laissez-nous. » ordonne-t-elle aux deux masses sombres contre la porte des toilettes.
Ils hésitent, mais son regard dur les obligent à céder à cette requête. « On murmure des choses sur toi, Akikazu. De très vilaines choses, si tu veux mon avis. » « Des rumeurs courent aussi sur toi, Byakuren. Sûrement plus vilaines que les miennes. » « Il n'y a rien de pire que la traîtrise. » siffle-t-elle soudainement. Quelle hypocrisie. Elle reprend soudainement sa contenance, chasse la furie qui a pris ses traits. « Tu aurais dû rester dans notre camp. Pourquoi cette descente à Kabukichō ? Qu'y as-tu gagné, sinon un dentier et une visite chez le premier chirurgien au coin de la rue ? » Akikazu a cet air pitoyable de proie, surtout de celles qui serrent les dents pour ne pas se pisser dessus. Ses yeux ont un éclat paranoïde. Enchanteur. Raven remonte le col de son manteau avec un soupir. « Tu ne veux rien me dire, Akikazu ? » Il secoue la tête. « Soit. » Sa main fine caresse sa joue meurtrie avec douceur. Une moue dubitative sur les lèvres.

Quand la porte s'ouvre toute grande sur la silhouette longiligne de Raven, les deux yakuzas sursautent. Derrière elle, Akikazu semble être devenu fou, alternant informations et suppliques pour les beaux yeux de la jeune femme. Ils échangent un regard étonné. Presque appeuré en tenant compte des habilités extraordinaires de l'oiseau. « Débarrassez-moi de lui. » Ils opinent du chef, obéissent aussitôt. En une détonation, Akikazu gît sur le carrelage, ses yeux vitreux ouverts, son crâne éclaté par une balle à bout portant. Raven scrute son cadavre un long moment. Songeuse. Ses dons d'Inquisitrice ont, encore une fois, permis la résolution d'une affaire en une journée à peine. Alors pourquoi reste-t-elle à croupir au bas de l'échelle ?


Lieutenant. C'est un grade honorable pour la bleusaille de Shreveport. Pourtant, les hommes de mon père ne semblent pas comprendre les subtilités de mon entrée au sein du clan Ó Súilleabháin. Ils sont avides de pouvoir – mais sûrement pas autant que moi. L'honneur de leurs petits culs de yakuzas prime avant tout mais sans alliés, nous ne tiendrons pas face à la pègre locale. Leur fierté leur mènera à leur perte. Moi, j'accepte de me ranger aux côtés d'un vampire. Surtout s'il reconnaît ma valeur, contrairement aux Hashimoto.
D'ailleurs, nous avons tous été gagnants dans la traque de ces abrutis de chasseurs... Ont-ils réellement pensé un seul instant s'en sortir sans que je lève le petit doigt ? Personne n'arnaque une Hashimoto. Encore moins une Ikeda. Quelques tentatives d'Extorsion, un sortilège de localisation grâce à leur sang, et le tour était joué. Liquidation rapide et efficace de la part d'Eikichi. Brave garçon. Il faut que je songe à augmenter ses honoraires, même si Père aboie encore. Seuls les anciens dieux savent à quel point il a grogné suite à l'attentat du Croquemitaine. La brûlure me lance encore. Une chance que j'étais seulement dans la rue... J'espère que ces salopards paieront pour leurs crimes. Louisa dit qu'on devrait les pendre sur la place publique. C'est une bonne idée. Tant que j'y pense, je dois la rejoindre près de Cross Lake demain soir. Penser à prendre les bougies, la poudre d'os et le carnet de runes. Elle apportera le reste...

*

Quand je repense à mon passé parmi mon clan natal, je m'interroge toujours sur le bien-fondé de la nomination d'Ichirō à la succession. C'est sans doute une ultime vengeance contre feue ma mère. Mais s'ils ont préféré les choux aux roses, soit, qu'ils assument ; ils affronteront mes épines.

note : J'avoue avoir eu du mal à placer l'Ouïe dans l'histoire de Raven, mais je  trouvais ça plus intéressant à jouer IRP. Puis, mon histoire commençait à être trop longue pour ma petite personne (mais si besoin est, je développerai dans le dialogue avec sa mère ?)