« Descend d'ici tout de suite Jason ! ». Le gosse regarde son père de haut, avant d'admirer le paysage magnifique, une étendue de champs et de rondins de pailles à perte de vue. Bien plus agréable à admirer, que l'idée qui s'est incrustée dans sa tête, à l'annonce qui venait de lui mettre une claque. Muni seulement d'une chemise sale et d'un short retenu par une paire de bretelles, signe notoire du peu d'argent qu'ils avaient, il gratte furieusement avec un couteau suisse sur le bois, perché sur le mini moulin. Son père a le vertige, un avantage pour lui qu'il utilise sans le moindre scrupule dès qu'il lui prend l'envie de bouder. « Jason Edouard Tsarks ! Reviens maintenant avant que les choses ne deviennent plus graves ! Je te jure que si je t'attrape, je te fout le cul à l'air ! ». Insensible, le gosse tourne le dos. « Edouard ! Tu crois que c'est les bons mots pour lui ! Il a reçu un choc ! ». Il entend sa mère le défendre, plantée là, en bas elle aussi, avec sa robe à fleur et ses cheveux courts et bruns coupés courts qui forment des boucles sur son visage ovale. Elle est jolie sa maman, elle est douce, elle. « Il faudra bien qu'il descende d'ici ! ». Braille le paternel avant de tourner les talons, Jason laisse ses yeux dépasser de la passerelle de bois pour voir son père tourner les talons, furibond. Il soupire de soulagement, sûr à présent qu'il ne se prendra pas de belle branlée. Non pas qu'il soit mauvais, mais c'est comme ça. Quand tu fais une bêtise, tu t'en prends une, quand tu dis des gros-mots, tu t'en prends une aussi, et quand tu ne fais pas tes devoirs, tu te prends des coups de règles sur le bout des ongles. « Chérie, s'il te plaît. Tu sais que je n'aime pas te voir là. ». Dit ensuite sa mère d'une voix inquiète en se tordant les doigts. « Mais vous m'aviez promis que les monstres, ça existent pas. ». Couine-t-il. Il le sait maintenant qu'il n'est pas fou. Les choses effrayantes qu'il avait vus cette nuit-là, ces choses, que ses parents appellent vampires.

1973 - 14 ans - Je ne comprends pas.

« Tu nous emmènes où p’pa ! ». Jas’ ne comprend pas vraiment ce qui se passe, il sent la brise fraîche de l’heure matinale, il fait complètement nuit, et l’heure doit tourner aux environs des trois heures du matin. Le gosse cligne encore des yeux sous le coup de la fatigue, trop épuisé, trop assommé par les rêveries qu’il n’aurait jamais dû quitter. « Tu verras. » Et la seule réponse satisfaisante qu’il a le droit d’avoir. L’homme d’une trentaine d’années et occupé à ranger des tas d’objets étranges dans un sac de cuir marron, abîmé par le temps. Il a tout le même le temps d’entrevoir une arbalète entre deux bâillements. Etrange, il n’utilise pas cette arme pour la chasse des oiseaux, et jamais la nuit. Jason tente d’en voir plus derrière le dos carré de son père, il a presque la taille d’un homme maintenant, et ses premiers poils poussent enfin. C’est un grand mec, et il commence à se poser plusieurs questions sur l’étrangeté de la situation. « Met ça. ». Lui ordonne Edouard en lui tendant une veste toute faite de cuir marron, tout comme le sac qu’il garde pour lui. Le jeune garçon hausse les épaules et obéit, prenant le vêtement qu’il passe par-dessus ses épaules avant de suivre son père hors de la grange. Les étoiles sont nombreuses, la nuit incroyablement calme et le silence seulement brisé par de nombreux criquets, le chant s’intensifie quand ils passent à côté du champ de blé. Jason sourit, il adore ça. Son père passe à côté de la voiture, sans même s’arrêter et longe le long d’un vieux sentier qu’ils prennent très rarement. D’ailleurs, il n’a jamais eu l’autorisation d’y aller. « Mais … ». La main rude qui se tend devant lui, lui fait signe de se taire, son poing se plie et son doigt se tend devant ses lèvres dans un « chhhuuuut » troublant. L’intensité du regard Tsarks père et quelque chose de nouveau pour lui.


Ils continuent leur route, le sentier devient une fournée d’herbe, il découvre avec effarement une forêt qu’il n’avait jamais vu avant. Il n’a plus besoin qu’on lui dise de se taire, l’angoisse lui noue l’estomac. Il n’a jamais vue l’endroit, il en a entendue parler. Ses copains, à de nombreuses reprises, lui avaient dit qu’un vieux cimetière datant du dix-huitième était placé ici. Le garçon ne dit rien quand son père sort deux arbalètes et lui tend une, il prend l’arme lourde, ne sachant pas comment s’en servir, il attend les instructions. La tension monte et un bourdonnement grimpe dans ses oreilles, les criquets arrêtent leur chant à l’entrée du cimetière. Jason comprend. Impossible de faire demi-tour ici maintenant. Il se mord les lèvres, se souvenant des nombreuses discutions que ses parents ont sans pudeur devant lui maintenant. Le silence, le froid, l’endroit si onirique, les armes. Il n’ose prononcer un mot, l’instinct lui apprendra à se servir de son arme. Son père savait d’avance qu’il ne le suivrait pas, il savait qu’il n’oserait jamais tourner le dos sans être sûr d’être couvert. Il lui a tendu un piège mortel. Il profite que celui-ci le fixe pour lui lancer un regard plein de reproche, il se sent trahi. CRAC. Il pivote, lève l’arme qu’il colle à sa joue, fermant un œil et fixant droit devant lui. Un lapin. Juste un lapin. Jason souffle, soulagé. Puis une masse le percute, le faisant tomber à terre, des mains froides le plaque, il y a un craquement, le corps tombe. C’est le visage d’un monstre, un monstre qui éclate, qui lui gerbe une flopée de sang, le souille. La flèche de son père transperce son cœur, il le repousse violemment et reprend son arbalète. Tout s’est passé trop vite, les yeux injecté de sang, les canines trop longues. Alors c’est ça, un vampire ? Sa respiration le trahi, risque d’en ramener d’autre, les goûtes de sueurs salés glissent sur le sang qui coule le long de son visage et ses vêtements. CRAC. Il pivote, cligne, tire. Un vampire à terre.

« C…Comment j’ai fait ça ! ». C’est plus fort que lui, il brise le silence, mai son père se contente d’approuver d’un hochement de tête. « Tu as le sang de ta famille qui coule dans tes veines. ».

1975 - 16 ans - Nous ne devons pas prendre le même chemin.

« Jason, qu’est-ce tu fais ? ». Le garçon serre des dents et des poings, fixant longuement l’homme qui se tient devant lui. « Non, qu’est-ce TU as fait ! ». Il l’a entendu hurler, supplier, serrer l’enfant dans ses bras. Pourquoi devait-il la tuer ? « C’est un monstre, mon fils. Nous tuons chacun d’eux, sans exception. ». Il tourne la tête, regarde la jeune femme interloqué. Il ne voit pas un monstre, ses mains qui semblent fragiles, enchaînées dans le métal d’argent et qui brûle sa peau. Ce châtiment lui semble soudain parfaitement injuste. Ils sont dans cette ruelle, le bébé est dans son panier, à gémir, réclamant les bras d’une mère qui n’avait peut-être jamais demandé à être ce qu’elle était. Le garçon sert son arme, qu’il pointe vers son père et non vers elle. « Je… J’ peux pas faire ça, Papa. JE PEUX PAS ! ». Il hurle, serrant l’arme qu’il agite du bout de son bras tendu et tremblant. Il la revoit, pleurant, n’attaquant absolument pas les deux chasseurs qui pointaient leurs armes vers eux. Il l’a laissé faire, tandis qu’il l’enchaînait pendant que lui tenait l’enfant. C’est tout ce qu’elle voyait, ce bambin aux joues rouges. Jason doute alors plus que jamais, un loup-garou, selon les dires de ses parents. N’est qu’une créature vile, sans âme, ne désirant plus que l’âme et la chaire de ses victimes. Alors pourquoi celle-ci s’est contentée de supplier qu’on lui rende l’enfant sans lui faire de mal ? Qui était le mauvais dans cette foutue histoire, hein ? « Elle n’est pas ce que tu en décris… toujours, elle n’a rien à voir. ». Le regard d’un bleu pur de son géniteur le gèle sur place. « C’est un piège. ». Mais lui n’y croit plus, il sait ce qu’il a vu, il n’y a pas de pièges là-dedans. Aucun. Le gosse recule, laissant tomber son bras trop lourd. Il n’a que quelques secondes pour réfléchir et … Disparait. Invisible, tel le foutu « don » qui lui a été transmis.
Il voit son père cligner des yeux, le chercher dans toutes les directions sans baisser ses deux mains tendues au-dessus de sa tête. « Jason ? ». Il voit le monstre, non, la femme. Et pourtant, elle fixe l’enfant de ses yeux embuées de larmes, implorante. Il n’est pas d’accord avec les principes de cette si noble famille ancestrale de chasseurs. Non, il ne croit qu’ils soient tous des monstres. Son pied droit part en arrière, puis le gauche. L’arme tombe à terre. « JASON ! Si tu fais ça, ne reviens jamais ! ». Il sait ce qu’il doit faire. Jamais il ne pourra suivre ce type, despotique, impitoyable. Il le cherchait depuis des mois, laissant des indices, faisant des réflexions. Ses lèvres murmurent un adieu, ses yeux s’excusent. Ses talons pivotent et tournent dans le sens inverse de cette ruelle puante. C’est à son tour de laisser une larme perler le long de sa joue, tandis qu’il tourne les talons à une vie qui jamais ne sera la sienne.

1977 -18 ans - Viva Las Vegas !

Ville des lumières, voilà un Paradis qui lui plaît. Jason se faufile parmi la foule, il est comme une ombre, ayant l’habitude de se déplacer en toute discrétion, les gens ne font presque pas attention à lui quand il croise leurs chemins. Son objectif du jour, se faufiler dans la chambre d’Elvis Presley. Ouais, vous avez bien compris, le King ! Comment il compte s’y prendre ? Comme il le fait depuis deux ans maintenant. Il serre son appareil photo contre lui, prêt à disparaître de la vue de tout le monde. C’est comme ça qu’il s’y prend pour obtenir les plus gros scoops. Bien entendue, il fait attention à ses angles de vues, il sait que si jamais les photos sont trop nettes, les questions fuseront un peu trop. Alors il s’arrange pour ne prendre de bonnes photos qu’une fois sur dix, suffisamment pour que le Daily Comet le garde comme un pilier. Il en jouait, et on lui demandait souvent comment il s’y prenait pour obtenir de pareils clichés. « Le talent man ! Le talent ! ». Bah quoi, ce n’est pas vrai ? Le sorcier s’engage dans une rue étroite où personne n’hiberne, comme un clodo par exemple. Il connait la vie dans la rue lui, il a fait ça pendant des mois avant d’obtenir un boulot. Sauf qu’il s’arrête net en voyant un ange. Oui, un ange. Cette petite blonde qui s’égosille contre le contrôleur de ticket. « Puisque je vous dis que j’ai payé ma place ! ». Mais l’homme à la casquette semble ne pas vouloir en entendre plus. Jason sent des ailes pousser dans son dos quand il s’avance pour réclamer deux billets. Il entend un à la fille qui le regarde étrangement. « Je vais voir le même film. ». Il ment, riant comme un couillon. Seigneur, il perd les pédales.

Et le voilà assis une rangé non loin d’elle, se demandant bien ce qui lui avait pris. Et son scoop ? Il est complètement dingue. Mais l’impulsion, il lui obéit bien souvent. La preuve, il loge dans un taudis dont la porte doit être soulevée pour être fermée et où il partage son repas avec les cafards, à cause d’une impulsion. En tout cas, ce film est un vrai navet. Et quand il en sort enfin, se demandant bien ce qu’il a pu gagner et non perdre, il entend une voix dans son dos. « Vous aimez le café ? ». Jason se retourne aussitôt, un sourire naissant sur ses lèvres. La petite blonde le fixe avec un sourire rayonnant. « Je vous en doit une ! Et puis, un homme qui vient voir un film comme Tristana … ». Ah, ahaha. « Oh … Oui, oui. Intéressant ce film ! ». Autant que la fois où il s’est coupé le doigt avec une enveloppe. En voyant qu’elle attend, il reprend avec précipitation. « Mais, j’adore le café. Hum, oui, c’est délicieux. ». Et c’était pas gagné.

2009 - 50 ans - Tu vois, c'était pas si compliqué.

« Je veux ça sur mon bureau demain, ok ? ! ». Encore un appel d'urgence, pour qu'un idiot lui annonce que : C'est pas possible, le scoop arrivera pas ce soir ! Jason prend un autre appel, et encore un autre, renvoyant tous ceux qui s'amènent dans son bureau. Pourquoi tant de vacarme? Parce que les Japonais viennent de sortir une drôle de Potion. Du sang synthétique. Mais le pire n'était pas là, non, le pire, c'était les raisons. Des vampires, les rumeurs couraient à présent. Oui, les vampires sortaient de l'ombre et, les polémiques commençaient. En tant que fils de chasseur, ils auraient peut-être dût s'en inquiéter, mais pas moyen. Il était maintenant à la tête du Daily Comet qu'il avait réinvestie est innové complètement, la boite marchait mieux que jamais. Et ça, c'était bon pour les affaires. De plus, pas mal de vampires allaient se calmer. Tant mieux. En revanche, certain iraient totalement contre. Et vous pariez combien que cette histoire allez foutre un bordel pas possible ? Bienvenue à Shreverport !