“ J'ai pas besoin d'un thérapeute. „
“ Pourquoi pensez-vous cela ? „
“ J'en ai pas besoin c'est tout, je vais bien. „
“ Je sais que vous ne venez pas de votre plein gré et que c'est e force qu'on vous amène ici, mais s'il vous plait, c'est aussi dur pour moi que pour vous. „
“ Comment ça peut être votre métier alors ? „
“ C'est... je veux dire... ce n'est jamais facile. „
“ De toute façon c'est ce que je veux faire aussi, psy, donc autant que je sache ce que ça fait. „
“ Arretez de hausser les sourcils, et parlez-moi plutôt de ce qui s'est passé. „
“ Hey c'est pas ma faute si ce mec a tenté de se suicider. „
“ On a retrouvé des carnets et des carnets remplis de votre nom. Il était de toute évidence amoureux de vous. Vous n'êtes pas un peu au moins un peu émue de voir que votre petit ami ait essayé de se suicider ? „
“ D'abord, c'était pas mon petit ami. Et si vous voulez savoir, on couchait même pas ensemble. Je sais pas quelles idées il s'est mis dans la tête, mais j'étais pas amoureuse de lui. Il avait qu'à passer à autre chose. „
“ Justement, il ne pouvait pas, c'est comme si vous l'attiriez à lui, comme une femme fatale, comme un serpent, selon ses propres mots. „
“ Hey, c'est un interrogatoire, un procès, ou une thérapie ? J'me casse si c'est comme ça. „
“ Non, non, mais j'essaie juste de vous faire comprendre l'étendue de vos agissements, de vous faire prendre conscience de la gravité de vos actes. „
“ J'ai rien fait pour qu'il s'acroche à moi ! Vous allez quand même pas m'accuser de l'avoir envoûté, hypnotisé ou je ne sais quoi ? Je ne suis pas un de ses monstres ou sorciers où tout ce que vous voulez. „
“ Il y a de la colère en vous. De la peur, de la haine née de cette colère, non ? Vous le savez très bien mais ne pouvez pas mettre le doigt dessus, ou ne voulez pas. Cette colère c'est ce qui vous tient en vie aujourd'hui, non ? D'où vient-elle cette colère ? S'est-il passé quelque chose dans votre jeunesse qui vous a rendu ainsi ? „
“ J'en sais rien. „
“ Vous êtes en Psychologie, vous devriez vous en doutez, non ? Vous n'avez qu'à remuer vos souvenirs. Mais... peut-être que vous ne voulez pas m'en parler. Je vous promets que cela ne sortira pas de cette salle. „
“ Je... Je me souviens de choses étranges qui se sont passées quand j'étais petite. Je... Il y a aussi que je viens d'apprendre que mon père n'était pas mon vrai père, et... „
Daisy se tait, il y a peut-être quelque chose qui veut sortir de ses yeux mais elle n'en laisse rien paraitre. Elle prend son sac, et le visage fermé, laisse un ferme “ Au revoir „ à sa thérapeute avant de quitter la salle.
“ Hey Daisy ! Ca a pas l'air d'aller beauté, tu tires une de ces tronches d'enterrement ! „
C'est un gars qui l'accoste alors qu'elle marche dans les couloirs de la fac, avec aucune envie ni d'aller en cours, ni de discuter, et encore moins avec lui.
“ Tu peux aller te faire foutre direct, j'ai pas envie de me fatiguer à te parler. „
“ Doucement Daisy, je te veux pas de mal. „
Il atrappe sa main, dans un geste qui se veut doux, mais Daisy violemment la retire.
“ Casse-toi parce que si je mets cette main dans ton calebute maintenant ce sera pas pour te la toucher, mais pour te la faire rentrer si profond qu'elle osera plus jamais sortir, compris ? „
“ Hola, Daisy, qu'est-ce qui t'arrives ? Un regard noir plus tard. Je... je vais te laisser, t'as besoin d'être seule, non ? „
Il y a des choses que Daisy préfère faire seule en effet, dans sa chambre, comme remuer ses souvenirs.

D'aucuns penseraient qu'il s'agit d'une punition que de se retrouver à l'Université de Shreveport, surtout quand on vient d'une ville à la réputation autrement plus grande telle qu'Atlanta, d'un résultat qu'on regarde de façon dédaigneuse alors que Yale vient de nous rejeter. Mais pour Daisy, l'University of Lousiana, cela correspond bien à ce qu'elle voulait : tout sauf Atlanta, tout et surtout très loin. Même si l'on est encore dans ce vieux Sud qui se souvient du temps où les noirs étaient réduits en esclavages avec presque nostalgie, et où le racisme et la ségrégation sont encore vus comme un bien pour le monde par certains, les rivières, les plaines et les centaines de kilomètres que Daisy a mis entre sa ville natale, sa famille, et sa nouvelle vie sont tout ce qui lui suffit. Shreveport donc, un hasard, une université pas si mal finalement, et une vie peut-être à construire ici.
Le seul inconvénient franchement, c'est de devoir partager une stupide chambre avec une stupide coloc. On peut vraiment pas faire plus con que cette pétasse blonde de psycho, pas capable de différencier Freud de Jung, mais autrement plus capable de reconnaitre les différents tons de blonds de Britney dans ses magazines débiles. Dieu, s'il existe lui a mis un doigt d'honneur à la place du cerveau, tout adressé à Daisy. Mais bon, la coloc avec une inconnue sur le campus, les maigres ressources de Daisy ne lui ont pas permis d'y échapper. Espérons qu'au moins elle pourra échanger sa blonde écervelée contre quelqu'un d'un peu mieux, ou la persuader de se jeter par la fenêtre - avouons que cette idée lui a traverser l'esprit.
Mais à part ça, l'université à Shreveport, c'est franchement l'éclate. Plus qu'Atlanta. Dans le fond, elle n'avait rien contre la ville ou l'Etat, mais c'est trop de mauvais souvenirs, trop de mauvais climat, qui font que cette nouvelle page blanche dans le trou du cul de la Louisiane apparait comme une opportunité salvatrice. A Atlanta surtout, il y avait la famille, et maintenant qu'elle repense au conseil de sa thérapeute, elle comprend qu'elle repense à eux avec colère, à son père surtout. Ce n'est pas pour rien qu'elle est partie presque sans prévenir, presque en courant, sans vraiment dire au revoir, ou plutôt adieu, et que de fait sans un sou, elle a dû faire du stop jusqu'en Louisiane. Son père la hais, et elle le lui rend bien. Elle ne sait pas d'où c'est parti, mais c'est ancien, très ancien. Elle le sentait quand elle était petite, alors même qu'il ne s'en rendait pas compte. A chaque instant que sa peau frolait la sienne, un réflexe les faisait trembler et s'éloigner aussitôt. “ Tu n'es pas ma fille „ a-t'il fini par comprendre. Et au lieu de haïr sa femme pour son aventure extra-conjugale, c'est son fils et sa fille qu'il a préférer haïr viscéralement. Alors voila Daisy sur le pas de la porte, un doigt d'honneur et puis s'en vont.
Daisy n'a plus de père, au fond, et c'est un évènement surement assez traumatisant. Elle doit pourtant bien en avoir un quelque part, gentil peut-être et qui l'attend, ou qui ne sait même pas qu'elle existe. C'est peut-être mieux comme ça après tout. Comme ça Daisy peut définitivement effacer la case parents de ses préoccupations - parce que même sa mère, superficielle à en crever et qui n'ouvrirait pas la bouche pour la défendre devant son père, elle préfère l'oublier. Son frère peut-être, c'est le seul qu'elle regrette. Ils n'ont pas une relation au beau fixe - c'est plutôt l'orage -, mais c'est le seul avec qui elle se sente vraiment liée sur cette Terre.
Assise sur le lit de sa chambre, profitant de la solitude dans laquelle l'absence de sa coloc la laisse enfin, Daisy passe ainsi en revue ses souvenirs, cherchant d'où vient cette colère que la psy lui a trouvé, et qu'au fond elle a toujours su avoir. C'est ce qui la fait se tenir fièrement, avec presque un air de défi devant chaque inconnu, chaque personne qu'elle connaisse même, droite et assurée, sans flancher comme une pauvre petite fille. C'est quelque chose qui l'a endurcie, un souvenir qui surement a été pétrifié dans sa mémoire, tellement qu'il ne peut même plus la faire pleurer. Elle l'a peut-être même oublié, à force. Il n'y a que quelques images, quelques sensations qui lui parviennent à mesure qu'elle s'enfonce dans la mer du souvenir. Un regard plein de terreur, le sien ou peut-être pas. Une course. Des bonbons. Un homme qui lui promettait des bonbons. Il avait un air gentil, et puis non. Et puis c'était Daisy la méchante, car dans ses yeux elle peut voir la terreur pure juste avant qu'elle ne prenne ses jambes à son cou. Ineffable. Ineffable passage de son enfance.
Mais il n'y a pas que ça, pas que ce souvenir en morceau, Daisy le sent alors que, prête à remonter à la surface, une main lacroche et la plonge plus profond encore, lui faisant craindre de se noyer. C'est un souvenir plus récent encore, un souvvenir qui choisit de rester voilé. Un souvenir de croc et de sang. Sur la route de Shreveport. Il s'est passé quelque chose, qui l'a rendue plus froide, plus aigrie encore, plus méchante, dirait-on même. Quand elle était petite, elle avait su s'enfuir, elle avait su insuffler assez de terreur à un pédophile, mais ce jour-là, face au monstre de ses cauchemars, elle n'avait pas pu le repousser suffisamment. Et le souvenir s'était voilé, dévoilé légèrement, couvert par son envoûtement ou par la mémoire de Daisy elle-même. Vengeance, vengeance crie un spectre au fond de la mémoire de Daisy. Mais comment peut-on se venger d'un fantôme dont on a préféré oublier même le visage ? Il vaut mieux peut-être tout oublier. Refaire surface. Et refaire sa vie.

“ Il parait que vos consultations sont fantastiques. „
“ Oh, vous allez me faire rougir. „
“ Non non, j'insiste, on parle de vous en termes très élogieux, alors je me suis dit que je devais voir ça de mes propres yeux. „
“ Vous savez que je ne suis pas diplomée ? „
“ Ca n'a pas d'importance, surtout aujourd'hui, il n'y a pas besoin de diplôme pour faire des choses fantastiques de nos jours. Regardez tous ces sorciers, ces réanimateurs, il n'y a pas encore d'Université Magique que je sache. A part Poudlard bien sûr ! „
Ils échangent un rire, mais celui de Daisy n'est pas si franc, car elle frissonne un instant à la pensée de rencontrer un jour un sorcier. Ca doit être sacrément quelque chose quand même, de pouvoir commander aux forces de la nature, et c'est avec un mélange de crainte et d'excitation qu'elle espère en rencontrer un un jour. Mais l'heure n'est pas à ça. Daisy est là pour travailler, et elle reprend son visage assuré, afin de le rappeler à son interlocuteur.
“ Pouvons-nous commencer ? „
“ Oh bien sûr, entrez. „
Daisy fait des consultations à domiciles, parce que le campus et sa coloc insupportable, ce n'est pas vraiment un endroit calme pour le travail. Et puis ça lui permet de visiter la ville, de visiter des appartements, de se croire un instant assez riche pour habiter sur les grandes avenues, et à l'odeur des parfums et de la nourriture parfois se croire Southern Belle, blonde à en mourir, organisant fêtes sur fêtes pour se divertir. Ici, c'est un intérieur bourgeois, mais pas aristocratique et étouffant, quelque chose d'agréable. Beaucoup de livres, remarque-t'elle, nous sommes chez quelqu'un de cultivé, et qui à l'occasion, pourra lui prêter son édition Pléiade de Shakespeare, ou autres services.
“ Qu'est-ce que vous faites dans la vie ? demande-t'elle, touchant délicatement la tranche de quelques livres sur l'étagère, avant de venir s'asseoir d'un côté du canapé, son patient ayant pris place de l'autre. Attendez, laissez-moi deviner. Ecrivain ? Non, je dirais plutôt éditeur, parce que vous avez beaucoup de livres, et beaucoup de livres récents, tous de la même édition, ceux que vous avez éditée, non ? „
“ Touché. „
“ Nous pouvons commencer. Y a t'il un évênement particulier dont vous voulez me parler ? Quelque chose qui vous trouble, que vous ne comprenez pas, une agression, une historie d'amour, un rêve peut-être ? Qu'est-ce qui vous a fait me solliciter ? „
“ Et bien je vous ai appelé parce que je voulais savoir si ce que l'on me disait de vous était vrai - et je peux vous le dire, votre ramage est égal à votre plumage, votre esprit me semble égaler votre beauté. Echange de sourire. Mais plus sérieusement. J'ai l'impression de me trouver face à un mur. Voyez-vous, je n'arrive pas à m'engager, je... je suis dans l'incapacité d'avoir des relations qui durent plus d'un mois. „
“ Que se passe-t'il au bout d'un mois ? „
“ Je me bloque, je me crispe, je suis soudainement jeté dans une peur panique, et j'ai peur de ma petite amie, alors je la quitte, et c'est reparti pour un tour. Quand j'étais petit, on m'a toujours dit que si je restais trop longtemps avec quelqu'un, je finirais par lui ressembler. „
“ Qui vous disait cela ? „
“ Ma mère. „
“ Hum. Vous avez peur de la fusion, de ce moment ou vous seriez trop proche de quelqu'un et que vous deviendriez son miroir. Vous avez une forme de narcissisme. vous vous aimez trop pour laisser quelqu'un entrer dans votre monde. Vous êtes, de fait, un homme à femmes. „
“ Et qu'en pensez vous ? „ commence-t'il, alors qu'il se rapproche d'elle.
“ Sont-ce des avances ? „
“ Peut-être bien. „
Il pose sa main sur sa cuisse.
“ Bas les pattes. „
Un regard noir et subitement, l'éditeur se sent pris de peur, ce qui le fait retirer sa main. Mais c'est Daisy qui la lui reprend, jouant avec ses sentiments comme on jouerait d'un instrument de musique, fey virtuose avec les hommes. Il n'en faut pas plus pour qu'il soit amoureux.
“ Quoique. Ca peut être intéressant. Le sexe, ça peut même aider pour votre thérapie. Néanmoins. Je ne vous l'accorderait que... si vous m'obtenez une rencontre avec Bret Easton Ellis. „
“ Tout ce que vous voudrez. „
Daisy sourit, de son sourire de sirène, et s'approche pour l'embrasser.