Je retenais mon souffle, l'oreille tendue pour écouter la conversation. J'étais cachée derrière la porte entrouverte, avide de savoir ce que pouvait bien se raconter les adultes. J'avais douze ans, et c'était un soir où mes parents avaient invité des amis à dîner. Au départ, je ne voulais pas spécialement entendre leur discussion, j'étais bien élevée et je savais que ça ne se faisait pas. Il était tard, et j'aurais dû être couchée depuis longtemps. La soif m'avait fait sortie de mon lit , et en passant devant la salle à manger, j'avais surpris mon père prononcer mon nom. Ma curiosité l'avait emporté sur ma convenance.

« ... plus quoi faire. Nous n'avons pas beaucoup de moyen. » avoua mon père.
« C'est vrai qu'en ce moment, nous voyons plus Quinn comme une contrainte. Et puis … Cette enfant est spéciale, vous savez, dans le genre bizarre … »

La voix de ma mère claqua dans l'air, blessant mon coeur de plein fouet. Une contrainte ? Une enfant bizarre ? Etait-ce là tout ce que je représentais aux yeux de mes parents ? J'avais toujours eu l'impression d'être la moins aimée de la famille, mais je m'étais toujours convaincue que ce n'était qu'un effet de mon imagination. J'avais quatre autres soeurs, j'étais la benjamine, et contrairement à ce qu'on pourrait croire, je n'étais pas la plus choyée. Etre la dernière ne m'avait pas apporté plus d'affection, ou plus d'avantage. Et puis, qu'entendait-elle par " bizarre " ? Il me semblait être normale pourtant, c'est ce que mes grands parents me soutenaient en tout cas, c'est ce qu'ils ont toujours dit. Si je n'étais pas la fille préférée de mes parents, j'étais celle de mes grands-parents. Ils me répétaient souvent que j'avais quelque chose en plus par rapport à mes soeurs. J'étais certaine qu'ils me croyaient lorsque je leur racontais que je voyais de la lumière autour des gens Je ne sais plus très bien quand ce phénomène avait commençait, peut-être que j'avais toujours eu cette faculté. Mes parents ont d'abord pensé que j'avais besoin de lunettes, voyant que ça n'avait aucun effet, ils ont finis par croire que je disais n'importe quoi pour me rendre intéressante. J'étais persuadée que je n'étais pas folle, comme aimaient le dire mes soeurs. J'étais normale, il n'y avait que des gens normaux sur terre à près tout, non ? Puis, si mes grands parents avaient confiance en moi, je ne voyais pas pourquoi le reste de ma famille me rejetait ainsi. Quelque chose m'échappait, quelque chose que visiblement tout le monde était au courant.

Ses yeux … Je tournai une nouvelle fois la tête pour les observer, encore et encore. Ils étaient d'un bleu électrique, d'un de ceux qui captivent les regards au premier coup d'oeil. Je me mordis la lèvre inférieur, perdant la notion du temps qui s'écoulait. Je ne pouvais détacher mon regard de cet homme. Parmi la foule présente dans le bus, il avait su captiver mon attention, je ne voyais plus que lui. Il finit par remarquer que je le scrutais, il n'avait pas l'air surpris de me voir ainsi à le dévisager. Il me sourit, et mon coeur fit un énorme bond dans ma poitrine, le souffle coupé, je sentis mes joues rosirent sous l'effet de son sourire. Je voulais cet homme, je le voulais absolument, pour moi, seule. Et … je l'aurai. Je savais comment y parvenir. Son aura était belle, lumineuse, plus éclatante que celle d'un autre humain. Cependant, il n'était pas surnaturel, je pouvais le voir. Etre médium avait des bon côtés, au moins, je ne pouvais pas être piégée par un vampire ou je ne sais quoi. J'étais médium tout comme ma grand-mère, c'est elle qui m'avait révélé tout sur les médiums lors de mon seizième anniversaire. Même si je me doutais qu'il se tramait quelque chose depuis longtemps, je ne m'étais jamais douté de l'ampleur de ce quelque chose. J'avais une autre particularité aussi, j'avais le pouvoir de contrôler les gens. Je m'en étais rendu compte avec mes soeurs, et par la suite je m'étais amusée à les manipuler. Rien de bien méchant évidemment. Mais, malheureusement, il y avait des lois qui interdisaient ce genre " d'activité ". J'ai donc appris à me maîtriser, bien que ça ne soit pas facile. Ce don fait partie de moi, j'ai besoin de l'utiliser. Je m'étais toujours résignée, préférant rester raisonnable. Mais là ... Cet homme rendait la tentation tellement forte. Je me promis de ne pas aller trop loin, de contrôler l'impulsion, du moins, si cela était possible. Je décidais d'y aller doucement. De toute façon, qui pourrait être au courant si je restais discrète et raisonnable ?
Je descendis au même arrêt que lui, forçant le passage parmi les gens, oubliant la politesse. Je posais le pied à terre, pressée de poursuivre mon but.. La pluie tombait drue, et une aura de couleur rouge sang passa à côté de moi, je ne fis pas attention au vampire qui se trouvait près de moi et, sans perdre une seconde, je m'immisçais dans la tête de l'homme que je venais de prendre pour cible, lui ordonnant d'engager la conversation. Il se retourna brusquement vers moi, mon coeur battait à tout rompre dans ma poitrine. Qu'est ce qui me poussait à faire ça ? Qu'est ce qui me donnait le droit de croire que je pouvais lui faire une chose pareil ? L'impulsivité peut-être, ou alors l'égoïsme … Ou le coup de foudre, après tout pourquoi pas ? Il m'avait tapé dans l'oeil, il avait su toucher mon coeur avec un seul sourire. Le début de notre histoire était si romantique, dommage d'avoir tout gâché par la suite.



Ses yeux … Il avait peur, je pouvais lire la terreur dedans. Mes propres yeux lâchèrent une larme, c'était moi, la raison de son effroi. A force de trop jouer avec le feu, on finit par se brûler les ailes. Pourtant, j'avais fais attention, je manipulais mon mari le moins souvent possible, mais suffisamment pour le garder près de moi. Personne ne s'était jamais douté de rien. On s'était marié trois ans après notre rencontre, on n'avait pas de comportement suspect, vue de l'extérieur on semblait être un couple sain et heureux, j'avais réussis à duper tout le monde. Enfin, c'est ce qu'il m'avait semblait. Mais voilà que l'homme que j'aimais soupçonné quelque chose. A vrai dire, il m'avait carrément accusé d'être une sorcière qui lui voulait du mal. Je n'étais rien de tout cela. Evidemment, après la révélation, il a commencé à avoir des doutes sur moi, je l'avais bien sentie. Mais il ne pouvait pas deviner ce que j'étais réellement, vu que ma nature n'avait pas été révélée. N'empêche qu'il avait compris que notre histoire était basée sur des manipulations de ma part. Après un an de mariage sans aucun soupçon, il devait se rendre compte de quoi j'étais capable, et être ainsi trompé devait l'inquiéter de la suite. Après une longue conversation, où je lui avais tout raconté, ce que j'étais, ce que je pouvais faire, ce que je lui avais fais subir, la raison de mon acte, il restait toujours autant bouleversé. Tous mes gestes pour le consoler fut vivement rejetés. Aucun de mes mots non plus ne réussirent à le calmer, ma présence même l'insupportait. Et il finit par prendre la porte. Je ne fis aucun geste pour le retenir, prenant de le risque de le perdre à tout jamais. Je doute qu'après tout ça, il finisse par revenir vers moi. Mon coeur se déchira à cette pensée, je me retrouvais seule, abandonnée par celui que j'avais tellement aimé. Mais est-ce que je n'avais pas mérité tout cela ? On ne dupe pas ainsi les gens qu'on prétend aimer, on ne fonde pas une relation amoureuse sur du vent. Avec le temps, j'avais cru arriver à créer un sentiment d'amour de sa part. Mais ce sentiment était superficiel, loin d'être réel.



J'avais eu raison, il ne revint jamais me voir. Et pour cause, il mourut ce jour-là. Il avait pris la voiture, avait roulé trop vite, et l'inévitable était arrivé. Il se crasha sur la route aux alentours de Shreveport, mort sur le coup. Je l'avais tué, oui, c'était ma faute. J'avais poussé cet homme tout droit vers la mort, depuis le jour où j'avais été captivé par ses beaux yeux bleus. Si je n'avais pas fis irruption dans sa vie de cette sorte, il serait encore vivant, et sûrement heureux, avec une femme qui ne l'aurait pas manipulé. Oui j'avais tué l'homme pour qui j'avais eu le coup de foudre, il y a maintenant un peu plus de quatre années. Après cette incident, je me promis de ne plus jamais contrôler une autre personne. Même si mon impulsivité rendait la tâche compliquée, il était hors de question de revivre un autre drame que celui-là. Je me contentais maintenant de vivre normalement, de passer outre ma capacité, et même de faire comme si de rien lorsque je croisais une aura appartenant à une personne non humaine.
Etre médium m'apporte également la capacité à communiquer les esprits .... Imaginez ma situation. J'ai l'occasion de " garder contact " avec mon mari défunt. Mais quel est le mieux ? Lui parler ? Ou non ? J'en suis toujours à me poser cette question ...