Chapitre I : Une longue journée d'épouvante



« On juge l'arbre à ses fruits. » Déclara sombrement mon paternel. Ses deux billes verdâtres glissèrent sur elle, la jaugeant de bas en haut. Son père, le pasteur du quartier, n'appréciait visiblement pas sa tenue. Suzie avait osé porter une robe unie, bien loin de ses uniformes fleuries qu'elle affectionnait tant. Elle voulait changer un peu, juste pour une fois. Bien évidemment, ses parents n'étaient pas du même avis. Chez les Haylings, la liberté n'existe pas. Disons, que chaque membre de la famille est relié au reste de la famille. Comme une sorte de cercle vicieux où ils se croisent tous. On ne peut y échapper. Et si l'un des membres de cette famille sort quelque peu du moule, il est du devoir du patriarche de le remettre sur le droit chemin. « Que penses-tu que les fidèles penseront de nous, s'ils voient la fille du pasteur Haylings habillée comme une dépravée ? ». Tirant légèrement sur sa robe blanche, elle tentait de couvrir ses genoux nus. Son père la considérait toujours avec cet air faussement agacé, mais surtout las. Suzie était l'enfant du milieu. Elle n'était ni l'ainé, qui se chargeait de chaperonner ses benjamins, ni la cadette, qui était la plus choyée et la plus cajolée. Elle avait tout juste la considération de son père et l'attention de sa mère. Son paternel, trop occupé à former son grand-frère à le remplacer, et sa mère à faire de sa petite benjamine la future soliste de la chorale de l'église.

Sa mère, leva sur elle des yeux ennuyés. « Suzie, il est bientôt l'heure de partir, tu ne vas tout de même pas nous faire attendre. Ta sœur a sa répétition pour les nouveaux chants qui seront entonnés dimanche prochain, elle ne doit pas rater cette répétition, alors, enlève-moi cette robe et pars au lycée. Tu vas être en retard. ». Hochant vaguement la tête, la jeune Suzie Haylings se confondit en excuses, toutes aussi inaudibles, les unes que les autres. Voyant l'air exaspéré de sa famille, elle se précipita à l'étage, pour retirer cette tentative d'intégration. En soi, la robe blanche n'avait rien de vulgaire. Elle était juste très différente de ce que portait ordinairement la jeune fille. Légèrement échancrée, elle dévoilait ses clavicules et ses épaules, la longueur n'était pas aussi scandaleuse que cela, le bas de sa robe s'arrêta aux prémices de ses genoux. Rien de bien provoquant ou aguichant. Même, cela lui seyait à merveille.

Suzie voyait les filles populaires de lycée arborait des mini-jupes, des t-shirts décolletés, et j'en passe.. Alors qu'elle se couvrait autant qu'un esquimau vivant en Antarctique, avec ses longues vestes mises au-dessus de ses traditionnelles robes à fleurs. Elle voulait pour une fois qu'on n'arrête de la torturer ainsi, de se moquer d'elle. Elle voulait arrêter de pleurer tous les soirs en revenant des cours à cause des moqueries, des petits surnoms dégradants qu'on lui donnait, ou encore des farces qu'on lui faisait. Le lycée était sans doute plus horrible que tous les Enfers que ses parents lui lançaient à la figure à chaque fois qu'elle osait faire une chose un poil trop.. libre.

C'est dans son uniforme habituel que Suzie alla finalement au lycée. Une de ses robes à fleurs pastels, tombant à mi-mollet, bien loin des standards actuels de mode. Sans surprise, une fois entrée dans la périphérie du lycée, les moqueries fusaient. En premier, c'était des moqueries indirectes. Les lycéens la reluquaient comme une espèce d'extra-terrestre, les messes-basses, les sourires en coin ou encore les rires faussement étouffés par des mains manucurées. Le cauchemar recommençait. A chaque pas qu'elle faisait, une remarque jaillissait, provenant de nul part. « Allô ? Les années 50 ont appelées, elles voudraient récupérées leur robe. ». « Elle se croit dans Happy Days ! ». « C'est quoi cette coupe ? Son coiffeur est en prison ou quoi ? ». Et les remarques, réflexions, moqueries, railleries fusaient dans tous les sens. Suzie tentait, comme d'habitude, de ne pas y prêter attention. Elle avait entendu bien pire. Que ce soit pour son goût pour les vêtements des années 50 ou encore ses cheveux bouclés, ou le fait qu'elle soit fille de pasteur – ce qui était le pire des trois.

Elle baissait la tête, et simulait une surdité. La suite vous la connaissez déjà, humiliée, raillée par ses camarades de classe, trop faible pour réagir, trop invertie pour répondre, trop fermée pour lever la tête. Suzie était une proie facile, comme un petit lapin offert dans un plateau d'argent. Elle était le genre de personne contre qui on pouvait s'acharner et être toujours sûr d'être à l'abri de quelconques représailles.

Chapitre II : Un Mal pour Un Bien



Pleurer, pleurer et encore pleurer. Si on comptait le nombre de fois où elle avait succombé aux larmes, où elle avait passé des heures et des heures à larmoyer. Je pense qu'elle a dû passé un quart de sa petite vie à pleurer. Elle ne faisait pratiquement que cela. Après les cours, avant les cours, sous la douche, à chaque fois qu'elle ressassait les hontes passées. Mais cette fois-ci, ses lamentations étaient plus fortes, étaient plus ardentes. Elle voyait enfin la réalité, la vérité. Elle serait à jamais cette bonne vieille Suzie Haylings, fille de pasteur et également jeune fille en fleur tout droit sortie de Happy Days écoutant du Taylor Swift dans sa chambre, on chantonnant les chansons contant l'amour et toutes ses fables que la jeune chanteuse interprète.

Mais même Love Story n'arriverait pas consoler son petit coeur meurtri. Elle avait subi, ce soir, l'une des pires humiliations de sa vie. Et pourtant, elle était devenue une spécialiste dans cette discipline qu'était l'humiliation personnelle. Elle y excellait même. Mais cette fois fut la fois de trop. Elle était fatiguée de tout ça, des moqueries, des railleries, des sermons de son père, des réprimandes de sa mère, du désintérêt total de sa famille.

Suzie avait été pour la première fois de sa vie invité à une soirée. Soirée donnée par son ancienne amie Candice Presley. Bien qu'elle était devenue son bourreau depuis des lustres, Suzie faisait parti des gens qui croyaient à la bonté humaine. Elle se disait, qu'au fond, Candice était une gentille fille et qu'un jour, elle redeviendrait comme avant, et qu'elles pourraient reconstruire leur ancien lien. Alors, lorsque Candice était arrivée, tout en fleur, avec une invitation pour Suzie, ladite se laissa bernée.
C'est avec une robe à fleurs offerte par Candice pour l'occasion, qu'elle se rendit à la fameuse sauterie. Cependant, elle n'eut même pas profité quelques minutes de la fête, qu'elle fut brutalement taguée par les sbires de Candice. « Si tu veux me ressembler, fais-le mieux la prochaine fois, pauvre tâche ! » Avait lancé méchamment la blonde perfide. En effet, Candice avait donné une robe identique à la sienne, à l'exception près que celle de Candice était rose, tandis que celle de Suzie était avec des fleurs.

Les rires tourbillonnaient encore dans sa tête, une trace nette et rosâtre persistait sur la robe. Mais la honte n'avait pas encore atteint son paroxysme. Gênée, et vexée par l'énième coup bas de Candice, Suzie s'enfuit de la fête, et se réfugie dans un bar obscur de la ville. Perdue, et désorientée, elle ne vit même pas où elle avait mis les pieds : Le croquemitaine. LE bar à vampires. Et LE seul bar dans lequel elle n'aurait jamais cru entrer un jour. Reprenant ses esprits, et voyant sa mégarde, elle s'échappa une seconde fois.

Et elle prit finalement une sage décision en rentrant chez elle. Trouvant refuge au plus profond de son lit, où sa honte ne se ferait pas voir.

C'est alors qu'elle entendit un raclement de gorge. Effrayée et pantelante, elle releva légèrement sa couverture douillette pour jauger l'intrus se trouvant en face d'elle. C'était indéniable. Un vampire. Elle ne rêvait pas, non, elle cauchemardait. Clignant plusieurs fois des yeux et même se pinçant le bras, rien n'y faisait, cette lugubre silhouette se dessinait encore dans sa chambre. Se repliant sur elle-même, et serrant sa couverture contre son cou, elle l'observait, mutique. Après quelques minutes à se regarder, Suzie prit enfin la parole.

« -Qu.. qui êtes vous ? Que.. que me voulez-vous ?
- Je suis Alessandro, tu dois être.. ?
- Suzie, Suzie Haylings.
- Pourquoi pleures-tu Suzie ?
- Je.. je ne vois pas en quoi cela vous concerne. D'ailleurs, vous.. vous n'avez pas répondu à ma seconde question, je ne vois pas pourquoi je.. je répondrais à la vôtre.
- C'est très juste Suzie. Ce que je te veux ? La délivrance peut-être.. Tu sais Suzie, quand je t'ai vu dans ce bar tout à l'heure, toute abîmée, toute déboussolée, tu m'as fait penser à moi. Oui, à moi. Je me vois à travers toi. Et bien que tu sembles penser le contraire, je suis certain que derrière ce petit agneau blessé se cache un loup inébranlable. Tu peux tout changer. Tu peux prendre ta vie et ton destin en main, afin que ton passé ne se répète plus dans l'avenir. Tu peux briser ses chaînes qui t'étouffe. Veux-tu.. me suivre ? »

Bouche-bée devant sa déclaration, Suzie se contenta de hocher la tête. Après tout, qu'avait-elle à perdre ? Son impopularité au lycée ? La réaction indifférente qu'elle suscitait à sa famille ? Ou encore, la solitude qui l'étreignait tous les jours ? Mais en prenant cette décision, Suzie n'avait aucune idée des changements qui allaient opéraient en elle, jusqu'à devenir irréversible.

Chapitre III : La nuit t'appartient


En quelques mois, Suzie était devenue la marquée Alessandro. Elle ne savait pas grand-chose sur lui, juste qu'il s'amusait d'elle et n'avait pas l'intention de la transformer en ce qu'elle rêvait à présent : un vampire. Exit les rêves de prince charmant et les chaudes larmes sur fond de country. Suzie changeait de jour en jour depuis sa rencontre avec le Maître de la ville. Elle s'affirmait et se découvrait de nouveaux traits de caractère, jour après jour. Elle ne se laissait plus marcher sur les pieds, car sa vie valait mieux que cette pathétique existence qu'elle s'était acharnée à sauvegarder. Elle n'était plus faible, elle n'avait plus peur, bien au contraire. Et pour parfaire sa nouvelle personnalité, elle commença à fréquenter ses futurs comparses, d'autres vampires. Elle amusa certains, jusqu'à se lier d'amitié avec eux.

Les moqueries, elle les affrontait en face, ne baissant plus la tête. Elle gardait la tête haute et le corps, avançant dans la vie sans peur ni crainte. Qu'avait donc fait le vampire pour la rendre aussi téméraire ? Rien.. Absolument rien. Mise à part qu'il avait inconsciemment ouvert les verrous qui mettait une barrière entre elle et le monde extérieur. Elle était libérée.

Quant à ses parents, elle les défiait, n'ayant plus peur de leur opinion. Elle se pavanait dans des robes courtes, se montrait de plus en plus extravagante et épanouie. Jusque là, la jolie Suzie avait évoluée dans le bien. Jusqu'à ce que sa soif de vengeance révèle en elle son côté le plus sombre. Sa jalousie, sa possessivité, sa rancune, et surtout sa manipulation.

Pour saisir le destin qu'elle espérait, elle devait convaincre Alessandro de la transformer. Ce qui n'était pas une mince affaire. Mais, elle fut vite surprise de son talent de persuasion. Comme quoi, l'envie et la détermination ouvrent toutes les portes ! Au bout de six mois, son sire se décida à faire d'elle un vampire. Et les ténèbres croisèrent en elle.


Epilogue : Bienvenue au Paradis, Arabelle.



« Quel est le programme aujourd'hui Arabelle ? » Demanda le candide Sam, son acolyte vampire depuis quelques mois. « Hum.. ya une fête ce soir, c'est Shelly Pomroy qui régale. » Déclara Arabelle avec un petit sourire mutin aux lèvres. « Encore une de tes meilleures amies du lycée ? » Demanda, sarcastique, Sam. « Naturellement, tu me connais, j'étais une vraie reine ! » Renchérit-elle. « Que va-t-on faire cette fois-ci ? Saccager ? Piller ? Se nourrir ? Ou encore nous amuser ? » Questionna le vampire centenaire. « Pourquoi pas tout à la fois ? » Proposa la jeune vampire.

Les deux partenaires partirent à la fête nocturne d'une des subordonnées de Candice, Shelly. Elle lui en avait fait voir de toutes les couleurs, et dans tous les sens du terme. Arabelle avait été transformée après l'obtention de son diplôme, elle avait quitté le lycée, et n'avait plus jamais ressurgit. Elle avait coupé les ponts avec sa famille mais aussi avec son ancienne identité : Suzie. Elle refusait d'être appelée ainsi, elle s'était rebaptisé par son premier prénom : Arabelle. Cela sonnait beaucoup mieux n'est-ce pas ? Suzie sonnait comme de la guimauve, quelque chose de glucosé, et mielleux à souhait – pour ne pas dire niais. Elle n'était plus cette petite chose sans défense qui arborait des robes immondes à fleurs et des cheveux aussi bouclés que la parure d'un caniche. Juste quelques boucles. Elle avait littéralement changé.

Elle ne mettait que des vêtements courts et sexy, avec le plus souvent des couleurs sombres ou flashy. Elle n'était pas dans la provocation, mais cela ne saurait tarder. Elle avait brûlé tous ces disques de country et l'avait remplacé par du rock, pur et dur. A quand le heavy métal ? Je me le demandais aussi..

Mais ce n'était pas tout. La jeune femme perfectionnait son art de la manipulation en se servant des humains. Elle enchaînait les conquêtes, mais aussi les victimes. Atteinte d'une soif insatiable, elle ne pouvait rarement s'arrêter lorsqu'elle commençait. Elle avait donc développer sa collection de cadavres cacher dans sa nouvelle demeure. Mais bon, à Shreveport, quel vampire n'avait pas de cadavres dans la cave ?

Ne vivant plus chez ses parents, elle loge dans l'appartement de son complice, Sam, à la Côtelette. N'ayant pas d'emploi, elle vit aux crochets de Sam, qui semble satisfait de cela. Arabelle n'a aucun but pour le moment, elle veut juste profiter de sa liberté et de l'anarchie persistant à Shreveport pour faire ce qu'elle n'aurait jamais imaginé faire pendant sa vie humaine.

Sous le reflet de la Lune, Sam et Arabelle entrèrent en douce dans une énième soirée, prêts à faire un malheur. Et surtout à enrichir le mobilier du grand appartement de Sam, et oui, ils s'étaient récemment trouvés une vocation pour le vol.. Cela aurait pu être pire..

« Gandhi disait : Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. Je serais le changement que je veux voir à Shreveport. »

Arabelle est, naturellement, carnivore. Pour ce qui est du repas, elle n'a aucune préférence. Enfin si, une, elle aime les jeunes. De lycéens jusqu'à étudiants, tout lui va. Peut-être est-ce dû à ses souvenirs ? Qu'importe, elle aime ses repas jeunes, frais et vigoureux. Elle les chasse généralement dans les endroits bondées d'étudiants. Comme les fêtes universitaires, ou les fêtes sportives ou encore les salles de jeux. Arabelle n'est pas du genre à traquer, ce n'est pas son truc, trop bizarre, trop glauque. Non, elle, elle préfère nettement la rapidité. Lorsqu'elle voit une proie à son goût, elle n'hésite pas à lui sauter dessus. Car, oui, Arabelle n'aime pas attendre, de nature impatiente, elle veut tout, tout de suite. La chasse, ce n'est pas son dada, préférant de loin l'effet de surprise que prodigue sa technique à elle.

La révélation ? Honnêtement, Arabelle s'en tamponne. D'une parce qu'elle a renaquit après la révélation et deux car elle ne voit pas l'intérêt de tant de bruit. Bien au contraire, cette anarchie constante, la nuit, à Shreveport, elle en profite. Devenue vampire, elle s'est découverte une vocation pour la fête et les folies. Elle n'hésite pas à aller au plus loin de ses limites. C'est bien simple, elle n'a aucune règle, aucune mesure. Et dans un chaos comme celui-ci, elle peut agir comme bon lui semble, en étant certaine qu'il n'y aura aucunes représailles. N'est-ce pas une belle vie ?