✤ Traits de caractères  Rude. C'est le qualificatif qu'on emploie pour le décrire depuis son adolescence. Il n'est pas connu pour sa propension à arrondir les angles, et ça lui convient très bien comme ça. Néanmoins, on ne le blâme pas pour une quelconque inclinaison à pousser le vice jusqu'à l'excès. Sasha demeure un homme profondément réservé et discret sur sa vie privée, comme professionnelle. Fouilles-merde en tout genre, c'est le moyen de lever les voiles. Profondément pudique sur les dernières années qui ont marqué sa vie, il n'est pas bon de creuser là où il ne souhaite pas vous voir manier la pioche. S'il s'est toujours montré sérieux et responsable dans le cadre du travail, il s'en est fallu de peu que cette qualité indéniable ne soit gâchée par une tendance à envoyer chier un peu trop facilement ses supérieurs. En effet, son tempérament vindicatif n'a cessé de croître avec les années, le conduisant régulièrement à des accès de haine gratuite, jonglant avec une colère froide. Il n'est pas un grand adepte de l'humour, mauvais perdant, mais il manipule cependant le sarcasme avec une étrange facilité. Il aurait fallu bien davantage que les beignes de son père pour lui faire perdre cette sale habitude. Côté positif, on peut toujours évoquer avec espoir son incapacité à se décourager, sa ponctualité presque maladive et son amour des choses bien faites. Si sa volonté faillit souvent face à sa passion pour la bouteille, elle se rattrape par sa facilité à prendre des décisions et à s'y tenir.

✤ Occupation diurne Ce qu'il aime le plus, c'est son agenda en permanente évolution. Du moins, c'est ce qu'il aimait le plus. Habitué jusqu'alors à bosser à des heures indues et variables selon ses multiples employeurs, il grogne déjà à l'idée de devoir adopter un mode de vie plus "rangé". Le seul avantage, ce seront les horaires de nuits qui, deux semaines par mois, viendront agrémenter un quotidien trop morne pour que cela vaille la peine d'en parler. Sasha bosse, beaucoup. Son fléau, c'est l'inactivité. Une après-midi télé n'est même pas envisageable. Cesser de s'activer tout autant. Cesser, c'est penser. Et penser, c'est hors de question. Alors les heures supp' et douteuses, il les cumule, et il n'y a absolument pas de raison pour qu'il en soit autrement à Shreveport. Soucieux du détail et de maintenir ses affaires en ordre, il se préoccupe en revanche très peu des trivialités de la vie comme les courses ou le ménage. Sans pour autant laisser le bordel derrière lui, il tend à perdre assez vite pied avec la réalité, déphasé et déraciné de toute vie familiale ordonnée. Bosser, dormir, bouffer, s'entraîner. Le reste n'est qu'accessoire, éphémère. Sans importance. Ses corvées ? Les visites médicales de moins en moins rassurantes qu'il se doit de respecter et qui demeurent une source intarissable de stress.

✤ Manies, habitudes & goûts Niveau manies, on peut énumérer les plus simples, les plus classiques. Le paquet de clopes n'est jamais très loin, le zippo non plus. Et depuis un moment maintenant, un minibar bien rempli est devenue une condition sine qua none pour qu'il puisse se sentir à son aise quelque part. Pour compléter ce cocktail parfait, Sasha recourt régulièrement à des antidépresseurs, prescrits depuis longtemps maintenant par son ancien psy, mais qu'il continue à prendre afin de trouver le sommeil. Sans cela, c'est l'état de manque, l'insomnie ou les cauchemars, selon. La tragédie de son existence réside en sa détestation de la solitude, mais en son horreur de la compagnie. Il aime par-dessus tout traîner là où la foule demeure, tant qu'il peut s'en tenir à l'écart à loisir et surtout qu'il demeure anonyme. Un paradoxe qui demeure ancré depuis une quinzaine d'années maintenant. Lorsqu'il n'a pas d'autre choix que de rentrer "chez lui" ou de se poser un moment, il aime traîner sur le net. Mater un peu n'importe quoi, pourvu que cela lui fasse passer le temps... et surtout stalker régulièrement Facebook, le seul endroit où il peut vraiment voir ce qu'il en est de la vie de ses gosses, désormais ados. Les coups de téléphone ce n'est pas son truc, et pourtant il ne manque jamais d'appeler régulièrement sa fille ou de répondre aux messages de son fils, soucieux de leur bien-être, malgré la distance. En bon New-Yorkais d'adoption, il déteste la pleine nature, l'accent du Sud et la population des petites villes comme Shreveport. Autant dire que chaque excursion au supermarché ou dans ses rues lui procure un mélange entre fascination, agacement et effroi. Le paysage urbain lui manque, ainsi que l'ambiance vivante permanente à laquelle il s'était fait avant son déménagement.
Ses bonheurs simples restent les mêmes, quelle que soit son humeur : se lever à l'aube ou au contraire veiller jusqu'à tard dans la nuit.

✤ Convictions La Révélation a été un coup dur supplémentaire à encaisser. Les CESS lui ont permis de transférer toute la haine pure née des événements du 11 septembre. Les nouveaux ennemis des States, c'était eux. À quoi bon s'escrimer à faire la guerre ailleurs, si le vrai adversaire des Etats-Unis d'Amérique réside à l'intérieur, au risque de s'étendre comme la gangrène ? Il ignore s'il préférait l'ignorance à ses actuelles connaissances. Autrefois, la vie était plus simple. Pas de questions d'ordre surnaturel à se poser, pas de considérations à la limite de la métaphysique sur l'humanité et le rôle des autres races autour d'elle. Cependant, il ne peut nier que ce nouveau combat lui a probablement permis d'accrocher le fruit de son ressentiment quelque part, comme un canalisateur. Un mal pour un bien, mais dont il se passerait largement à ses yeux. Il méprise les vampires comme les loups, les sorciers et le reste de la racaille, sans faire de distinction. Il ne souhaite pas en savoir plus sur eux, ne s'est jamais laissé attendrir par les discours en leur faveur. Pour lui, il s'agit d'une porte ouverte à toutes les dérives, une matérialisation de tous les cauchemars.

✤ Signes particuliers Pas de tatouage, ni de piercings. Il ne compte plus les cicatrices semées sur lui un peu partout. Les plus importantes se trouvent au niveau de l'épaule gauche : une balle reçue alors qu'il était encore flic à New-York. Il s'est également récolté un coup de couteau sur toute la longueur de la cuisse droite, qui a laissé une balafre pâle mais dissimulée la plupart du temps.

Mardi 11 septembre 2001.
8h40.

« Alors, bientôt sergent à ce qu'il paraît ? »
« Les nouvelles vont vite. »

Le mois de septembre était mon préféré, depuis que je vivais à New York. Le ciel ne m'avait jamais paru aussi dégagé, aussi parfaitement bleu. Le matin était bon, agréable. Pour autant, on ne grillait pas en plein soleil, et on ne se caillait pas les miches à l'ombre. C'était une journée parfaite pour sillonner les avenues, un autre Midtown. Celui de Manhattan.

« C'est Julia qui doit être contente. »
« Ouais... Enfin une bonne nouvelle. »
« Ça s'arrange pas... ? »
« Pas trop. »

Alexander Perry n'a pas insisté et s'est calé plus confortablement contre son siège, portant son gobelet de café encore bouillant à ses lèvres. On était aussi blonds l'un que l'autre, lui et moi, et presque aussi Irlandais l'un que l'autre. Lui au moins, n'avait pas eu la malchance de se récolter une mère russkov complètement siphonnée de la toiture. Même si je ne reniais pas mon éducation ni l'accent pourri dont je n'avais heureusement pas hérité, je ne pouvais m'empêcher de sourire jaune en songeant au foutu mélange dont j'étais issu. Dans le genre cocktail explosif/molotov, je me posais là.

« J'espère que ça va être calme aujourd'hui. J'ai dormi trois heures à cause de la gosse. »
« Dieu merci, j'en ai fini avec ça. »
« Ça lui fait quel âge à Max maintenant ? »
« Le petit, il vient de faire ses 3 ans. »
« Tain, ça file. »

On roulait vitres ouvertes. C'est peut-être grâce à ça que j'ai entendu un son étrange, lourd et lointain à la fois, qui tranchait si bien au milieu du vacarme ambiant et habituel. Alex et moi, on s'est regardés, et on a pu voir dans nos prunelles respectives qu'on n'avait pas halluciné. J'ai levé le pied et j'ai décidé de garer la bagnole. On a attendu, comme ça. Deux longues minutes, pour voir si ça se reproduisait.

« Tu crois que c'était quoi ? »
« Je sais pas. »
« Tu crois qu'on doit appeler ? »
« Je ne sais pas. »

J'ai fixé la radio. J'attendais. Je savais qu'elle allait forcément résonner dans l'habitacle. Et ça ne manqua pas.
C'est comme ça que ma vie a commencé à partir en couilles.
Par une belle matinée de cette fin d'été, à 8h46 A.M.

On est arrivés sur place à 8h57. On était tout près, mais cela importait peu. Tous les pompiers de New York seraient tôt ou tard mobilisés, ainsi qu'une bonne partie des flics. Très vite, au pied des tours, une foule considérable s'est amassée. On y trouvait de tout. Les pompiers préparaient déjà leur matos, prêts à se lancer à l'assaut des flammes, à les attaquer par l'intérieur. Une vague d'officiers en uniforme bleu comme le mien se tenaient là également, à distance presque respectueuse et circonspecte des soldats du feu. C'est qu'on s'entend rarement entre flics et pompiers, ici. C'est une tradition, une vertueuse tradition que la plupart des gars des deux camps s'emploient à mettre en application comme des mômes jouent à la guerre. Moi, je voyais les choses différemment. Parce que je n'étais pas venu seul tenter ma chance à Big Apple. J'avais débarqué avec mon meilleur pote de toujours. Il s'appelait Amaury Binarovski. Un Polonais, dont la famille résidait pas loin de la nôtre à Boston, dans les quartiers irlandais. Ensemble, on s'était bougés le cul pour se motiver et ainsi décrocher les sésames de nos rêves. Moi, flic. Lui, pompier. Un rêve de gosse, qu'on avait réalisé en envoyant chier tous ceux qui voulaient pas nous voir réussir. Inconsciemment, je le cherchai parmi toutes les têtes casquées, sans le trouver. C'était logique. Il n'était pas censé bosser aujourd'hui, mais il ne tarderait pas à se voir réquisitionné d'urgence, comme tous les fonctionnaires de la ville. Au départ, j'ai cru comme beaucoup à un accident. Naïvement. Un accident, dans un ciel sans nuages ? Mais on est prêt à tout croire, pourvu que la réalité soit moins noire qu'il n'y paraît.

À 9h03, j'ai compris. J'ai compris que les prochaines heures seraient des temps d'apocalypse. Je n'ai pas eu le temps d'appeler ma femme, comme beaucoup d'hommes autour de moi. On était pris dans l'action, et il fallait réagir rapidement. Les ordres fusaient de partout, dans un bordel immonde. Alex restait à mes côtés tandis que j'observais les premiers bataillons de pompiers s'approcher de la tour Nord, en pleine évacuation des premiers étages par certains de nos collègues. Bientôt, ce serait à notre tour. Comment, par quel moyen ? Pourquoi faire ? Dans ces moments-là, on ne pense pas. C'est ce que j'ai appris. On ne pense pas. On bouge. J'étais sonné, comme une lendemain de St Patrick, comme un jour de grosse chaleur, comme...

« Y'a des gens qui sautent. »

J'ai tourné la tête vers Alex, dont le visage levé vers le ciel présentait une expression d'horreur stupéfaite que je ne lui avais encore jamais vu, et ce malgré toutes les patrouilles vécues ensemble.

« Quoi ? »
« Les gens. Ils sautent. »

J'ai levé les yeux à mon tour. J'ai vu. J'ai vu les corps désarticulés se jeter dans le vide, sans cri, sans rien que l'on puisse entendre depuis le sol. J'ai vu des hommes et des femmes préférer échapper aux flammes, au kérosène et à la fumée en sautant du 85e étage. 89. 92. La masse que constituait la foule pleurait, autour de nous. On entendait surtout des cris hystériques, qu'ils soient féminins ou masculins. Des exclamations, des jurons, tous plus futiles les uns que les autres face à une vision d'Armageddon que personne n'aurait pu prédire. Plus tard, on m'a raconté qu'un gradé parmi les soldats du feu était mort comme ça, sur le coup, victime d'une collision avec le corps d'un suicidé.

J'ai pas attendu les ordres. Je devais me remuer, avant de sentir mes genoux se dérober, avant de faire quelque chose de con ou de stupide. Alex m'a suivi. On a pris le parti d'ouvrir la voie à une escouade de pompiers. Pour nous, ce serait la Tour Nord. On est passé par l'esplanade. Beaucoup d'employés totalement choqués et effarés nous ont croisé, bousculé, nous ont remercié sans que l'on ne comprenne pourquoi. Certains, désorientés, avaient besoin d'être soutenus par les autres. Un bordel magnifique. Un chaos comme on en voit peu dans une vie d'homme. Je ne distinguais rien dans cette bouillie vocale. Rien d'autre que le cri d'un sergent, un cri d'alerte. Ne regardez pas la cour, qu'il hurlait. Ne regardez pas. Beaucoup ont regardé. Je n'ai pas raconté à Julia les morceaux de corps, le sang qui avait giclé sur les vitres.

Je ne suis pas monté dans les étages. Nos supérieurs ont refusé. Alors j'ai regardé les gars partir sans nous, pendant qu'on restait dans le hall désert. Régulièrement, je faisais des allers retours avec l'extérieur, incapable de tenir en place. La tornade blanche m'a beaucoup marqué, elle aussi. Ces milliers, ces millions de feuilles qui tournoyaient dans la brise du matin, dans la fumée noirâtre comme autant de colombes de papier, ballottées.
Il était presque 10 heures lorsqu'un grondement meurtrier a résonné partout autour de nous. Alex était resté au cœur du hall et m'a entendu lui rugir de se planquer derrière ce qu'il pouvait. Mais on ne s'est pas planqués. On était que des putains d'animaux, rendus à ce stade. On a couru, traversant toute la longueur du hall ensemble, de front, pour échapper à la fumée grise, au nuage de mort, fait de particules toxiques, de bois, de poussière d'os et autres saloperies. Je ne sais plus si on s'est jeté à terre ou si on est tombés, tout simplement. On n'était plus rien. Plus flics. Plus officiers. Que des pauvres types incapables de deviner comment la journée allait se terminer, si c'était la Guerre, la vraie, la fin du monde ou bien juste la nôtre. On a attendu, longtemps, avant d'émerger. La Tour Sud s'était effondrée.
Les flammes étaient toujours là, plus proches de nous. Des collègues sont venus nous ordonner de sortir. On évacuait. On n'attendrait pas les pompiers. J'ai cru entendre un « Qu'ils se démerdent. » Je ne crois pas l'avoir rêvé, et j'aurais voulu avoir le réflexe de coller une beigne à mon supérieur. À la place, je ne me suis même pas retourné vers les escaliers. On a cavalé comme des fous, perdant l'équilibre constamment, enfumés, les poumons pris dans une toux douloureuse. Rapidement, on a été couverts de poussière.
Y'avait plus rien à faire qu'attendre encore, qu'aider les gens qui étaient tombés, qui ne parvenaient plus à respirer et qui ne s'étaient pas réfugiés dans les bâtiments et immeubles à proximité assez vite. On allait à droite, à gauche, faisant tout et rien. J'm'étais jamais senti aussi impuissant avant ce jour. Jamais senti aussi... useless.
La Tour Nord est tombée, elle aussi. Moi, j'ai jamais revu Amaury Binarovski. On m'a dit qu'il avait fait partie des derniers pompiers à entrer dans la Tour Sud. Qu'il était mort depuis déjà près d'une heure, et que moi je ne le savais pas.

J'savais rien.
J'savais plus rien.
Le World Trade Center est devenu mon champ de bataille, mon Enfer de Dante.
Ma ville d'adoption s'était changée en bastion de guerre, en terrain d'attaque, en cimetière des larmes.

***

J'ai pas réussi à continuer longtemps. Moi aussi, je suis tombé, à ma manière. J'ai pas tenu le choc. J'ai pas sauvé mon mariage. J'ai préféré tout laisser pourrir. Julia s'est cassée. Elle a pris les gosses sous ses bras et elle est partie. Elle ne supportait plus mes réveils en pleine nuit. Choc post-traumatique, tout ça. Elle supportait plus non plus que j'arrive pas à retourner au taff, que j'arrive pas à encaisser la mort de mon meilleur pote, que j'arrive pas à piger que c'était fini, et qu'il fallait reconstruire. Reconstruire quoi, putain ? Y'a eu des moments lourds. J'dis pas que j'l'ai pas frappée. J'dis pas que j'ai jamais envie de lui coller une balle dans la tempe, quand le whisky parlait plus fort que moi. J'dis pas que j'aurais pas pu être dangereux pour elle. Et j'dis surtout pas que les finances commençaient à battre de l'aile avec la même régularité que notre mariage.
Elle est partie. J'ai fini par quitter les flics. J'servais plus à rien, j'étais une loque. Je me suis laissé aller, et je suis retourné à Boston un moment. New York m'était devenue presque étrangère. Il y manquait quelque chose. Le trou béant et purulent était encore trop frais. La poussière n'était jamais vraiment retombée, dans mon esprit. Plus que tout le reste, j'étais dégoûté de la manière dont nous étions traités, les années passant. Nous, les héros de la nation, les flics, les pompiers, les sauveteurs et tout le bordel... Pratiquement tous, nous tombions en morceaux. Dans nos têtes, mais pas seulement. J'ai appris la mort de beaucoup de gens, parce qu'ils n'avaient pas assez de thunes, pas une assez bonne mutuelle pour se payer des traitements à répétition. George Bush et ses promesses pouvaient bien aller se faire foutre.
J'ai renoué avec la famille, depuis le temps. Et je me suis découvert une cousine. Une petite Riley, une gamine qui a pris la place de la mienne, par défaut. Julia s'était arrangée pour que j'puisse pas approcher les mômes avant qu'ils aient au moins 16 ans. Moi, je pouvais bien aller me faire foutre, à ses yeux. C'est bien après que je me suis reconverti, dans la sécurité. J'ai essayé de me reprendre un peu, d'Oublier, comme ils disent. J'ai bossé pour des types en costard à 4000 dollars qui me demandaient d'aller casser la gueule du type qui leur devait du fric et qui payait pas. J'ai bossé pour des mecs véreux qui fricotaient avec la mafia de New York, de San Francisco, mais aussi celle de Chicago. C'est là que j'ai connu les Castelli. Parce que dans le milieu, tout le monde se connaît. J'ai vite pigé que la Révélation, qui jusque-là m'avait paru trop irréelle pour être réellement à prendre en considération, était un phénomène peut-être aussi grave que la guerre contre le terrorisme. Ici, il s'agissait du terrorisme intérieur, d'un cancer qui menaçait de tuer les cellules du pays. J'ai cultivé ma haine en silence, j'ai refourgué le ressentiment là où il y avait de la place. J'avais plus l'âge de cavaler en Irak. Mais je pouvais toujours envisager de dézinguer du CESS ici. J'ai appris, de près comme de plus loin, en fricotant avec les Ritals, et leur étrange conception de la chasse. Sans souhaiter me placer sous leur bannière. J'ai pas ce sens de l'honneur qu'ils arborent, pas cette vertu héroïque qu'ils défendent. Je voulais juste défourailler dans le cul d'un lycan, d'un vampire, quel que soit le monstre qui n'avait rien à foutre dans un texte de loi.

Au bout d'un moment, j'ai commencé à songer qu'il me faudrait peut-être me poser. Avoir un vrai boulot, plutôt que de passer d'employeur perso à employeur perso. Sans but. Pas de doute, ça payait bien, et j'avais au moins pas le temps de me poser trop de questions. Mais une opportunité bienvenue me sortit de ce cercle vicieux et sans fin. C'est en discutant avec les Castelli que j'ai capté que Shreveport était finalement une idée pas si mauvaise pour s'y installer. Même si la Louisiane... J'm'en serais bien passé. J'ai checké les offres, et j'en ai trouvé une plutôt intéressante, comme responsable de la sécurité au General Hospital. J'ai demandé conseil aux Ritals, trop heureux de me voir suivre des indications qui avaient un but. Un but nommé Valentia Castelli. Une dissidente, de ce que j'ai compris. Pas assez pour ne pas accepter de m'accueillir le temps que je trouve de quoi me loger correctement là-bas, mais suffisamment pour qu'ils me demandent de garder un œil sur elle. Moyennant des avantages non-négligeables, qu'il serait toujours bon de leur quémander plus tard. Il m'en aurait pas fallu beaucoup plus pour accepter.

Peu de temps avant le grand départ, j'ai lu tout ce que je pouvais trouver sur cette ville de seconde zone, n'occultant évidemment pas les Humains d'Abord. J'ai tout de suite accroché au mouvement. Une part de moi me disait qu'il s'agissait probablement d'une bande de débiles tout juste bonne à former une branche annexe du KKK. Mais quelque part, s'ils étaient les seuls, hormis les chasseurs, à vraiment se bouger le cul pour mettre un terme à ce qu'il se déroulait tranquillement aux USA... C'était peut-être l'embryon d'un possible vrai mouvement de résistance. Le début du dilemme pour moi. La porte de sortie bienvenue. J'attendrais de me rendre sur place. De voir de mes yeux ce rassemblement de freaks  déambuler parmi les nôtres. De prendre la température chez ces putains de sudistes. Pour la suite, on verrait bien.

Et God Bless America.