Suivre assidûment leur débat ne manque pas d’intérêt. Peut-être n’avais-je effectivement rien à dire sur ce sujet très formel, mais il est intéressant d’observer leur rhétorique, la pertinence de leurs idées sur tous les plans. Il s’agit de données que je me dois d’assimiler au plus vite. Alors je me borne à rester discret sur ce tout premier échange, conscient qu’il me faudra être plus bavard par la suite. C’est une évidence, maintenir ce comportement attisera la méfiance de mes compères.

Mais la discussion est interrompue par une livraison, des plus inattendues. Les doutes et méfiances s’éveillent, tandis que le Docteur Landgraf ouvre et étudie le colis avec précaution. Il ne semble pas s’agir d’une bombe, ni d’un objet magique selon le vampire, mais je ne quitte pas le contenu de la livraison du regard. Il est évident que tout cela n’a rien d’une livraison ordinaire. Dès lors que la boîte est atterrie au Shreve College, en pleine séance, l’affaire revêt une importance primordiale. Etape par étape, la menace se précise, semble ne viser qu’une seule finalité.

La fin du Consistoire.

Après les mots, les actes : un téléphone portable envoyé avec le tout renvoie sur une vidéo, qui avertit l’assemblée d’une menace de mort sur une femme, retenue en otage. De toute évidence, je ne la connais pas, puisque mon arrivée en ville, en Louisiane est certainement trop récente ; mais un regard sur quelques Camerlingues semble indiquer que le choix d’otage est soigneux. Les esprits s’échauffent, le sang bouillit, mais certaines voix, tout à fait sages, essaient de faire entendre raison. En effet, le Consistoire ne peut abandonner si vite. Et ce n’est pas moi qui lâcherai l’affaire. Mon engagement est sans faille, envers chaque cause que j’ai désignée au travers de ma campagne. Alors, nous n’avons pas le choix. Il nous faut tenir, ignorer les menaces et faire ce pour quoi nous avons été élus. Et pour ce faire, le sang-froid est de rigueur.

« Bien que l’on ne sache pas qui est le responsable, il est aisé de constater, de par la vitesse d’action et les moyens employés, qu’il s’agit de professionnels, au moins derrière l’élaboration. »

J’affiche une moue, gêné, mais je continue néanmoins.

« En effet, puisque ni l’abandon, ni l’auto-justice, ne sont des solutions envisageables, il ne nous reste qu’à rester. Nous avons des charges à assumer, des voix à représenter. »

Toute la susceptibilité de la jeunesse a résonné lorsque ma langue a violemment claqué contre mon palais. Non mécontent de mes précédentes interventions, mon orgueil avait été piqué au vif lorsque mes collègues avaient pris le parti de remettre une discussion concernant les non-CESS à plus tard. Et puis, après le vote des binômes qui avait bien entendu obtenu mon approbation, tout s'était bousculé.

Une puérilité importune m'a alors fait lâcher des mots qui n'avaient pas lieu d'être. Que j'ai aussitôt regrettés. « Ca va ? Vous êtes contents, maintenant ? On ne s'est pas trop éparpillés ? » Alexey Miroslav Kovalevski éructerait de rage à l'entente d'une telle impulsivité. Les yeux encore rivés sur l'écran désormais noir, mon jeune âge me fait succomber malgré moi aux affres de la colère, ravageurs. Ce n'est pas à mes collègues que j'en veux, en réalité. C'est à ce genre de groupuscule qui prétend détenir la vérité absolue, et qui pour se faire n'hésite pas à employer des moyens indignes de l'humanité.

Inspirant profondément, j'attends que les battements de mon cœur s'apaisent légèrement pour reprendre la parole. « Je suis navré, pour votre amie… » C'est sincère. Je ne peux m'empêcher d'imaginer quelqu'un de mon entourage, à la place de cette femme. Mon oncle. Austyn. Ou même Niklaus. Je tente toutefois de faire preuve de sang-froid afin de poursuivre, avec cette fois plus de maîtrise. « Si nous avons été espionnés, il va falloir en faire de même. » Lorsque Zečević a mentionné l'hypothèse que la taupe puisse se trouver parmi nous, mon regard s'est arrêté sur Landgraf. Trop lisse, trop bien taillé pour ce rôle pour n'avoir rien à se reprocher. Mais la rancune m'aveugle.

« Je connais du monde. Dans certains milieux, avec un peu d'oseille, les informations circulent vite. Attaquer frontalement un ennemi invisible serait ridicule. Monsieur Peterson a raison. Nous avons des voix à représenter. »

Les camerlingues oscillent entre consternation et colère, et Zaganov, constate Landgraf en haussant un sourcil, se fout de la gueule du monde en montrant une compassion inattendue. Le Cainite préfère s'en détourner, plutôt que de ressasser de vieilles colères peu au goût du jour.  Les prémières ébauches de théories sont prononcées. Le Tzimisce n'y répond pas car les éléments dont ils disposent sont bien trop minimes pour s'essayer à découvrir la vérité.

- Louise est une puissante nécromancienne. Quiconque ait fait ca a la capacité de se dissimuler aux yeux de la magie, déclare-t-il à l'intention de la lupa. La magie ne dévoilera pas la vérité. Je suis en revanche parfaitement d'accord avec Kole. Mais enquêter n'est plus entre nos mains. Et cela me ramène à cette conversation mise en suspens. Le rôle des humains. La BRIS est à mon sens bien taillée pour mener l'enquête, avec cette neutralité dont nous avons besoin pour éviter l'auto-justice. Bien entendu cela supposerait franchir ce pas qui nous sépare des humains, mais nous pourrions leur demander de rester discret.

Il bouge et sa main se pose sur l'épaule de Freyja, dont il a déjà vu la colère faire trembler les ombres les plus coriaces.

- Crois-tu que nous pouvons mêler le passé de Louise à une enquête officielle?

Chacun y allait de sa petite idée, de sa petite théorie, comme s’ils savaient ce que c’était. Et elle, savait-elle seulement? Il lui semblait que oui. Fut un temps. Dans une autre vie. Parfois les souvenirs s’effaçaient, et plus elle tentait de les faire revenir à elle, plus ils disparaissaient, comme une goutte absorbée par la rivière ou un rêve dont on tente de se souvenir. Elle observa chacun d’entre eux, les écoutant, presque d’une oreille. Seul le vampire eu pleinement son attention. Lui, elle le connaissait. Un immortel sait parler d’expérience. D’un immortel à un autre, l’on sait estimer les dégâts, prévenir les dommages collatéraux, du moins, essayer. Toutes leurs idées semblaient vaine. Et pourtant… Freyja ne savait au fond que voler un autre corps, une carcasse dont elle s’emprarait, tel un vautour. Sauver les autres n’avait jamais été dans ses habitudes. Avoir des amis était un luxe qu’elle ne s’était jamais permis jusqu’à présent. Tout d’un coup, elle se demanda ce qu’elle foutait là. Pourquoi avait-elle accepté cette stupide idée de les représenter? Savaient-ils seulement qui elle était? Ce qu’elle avait fait? Si seulement… Stupide Louise! Comment avait-elle pu se laisser avoir aussi facilement? L’allemand avait raison, Louise n’était pas une débutante. Ceux qui ont fait cela savent comment déjouer la magie, et surtout déjouer la méfiance d’une nécromancienne, quelqu’un capable de lire les âmes.
« Quoi que nous fassions, ils ont un train d’avance sur nous, n’est-ce pas? Si le traître est parmi nous, toute tentative de feindre une reddition sera perçue comme du fouttage de gueule et les conséquences pour mon amie serait catastrophique. Quand à vos contacts, Monsieur Zaganov, seraient-ils capables de se frotter à ce genre d’individu? Votre cher BRIS en est-elle capable? Au moins, eux sont extérieurs, et donc par conséquent les plus à même de procéder à l’enquête. Si nous sommes, chacun d’entre nous, des suspects potentiels, alors remettons nous en au jugement d’éléments extérieurs qui n’ont aucun intérêt dans l’histoire. Faites donc circuler l’info, mais avec le moins d’interprétation possible s’il vous plait. Quand à vous, cher ami, fit-elle en se tournant vers le vampire, pensez-vous que la BRIS saurait rester neutre dans une telle affaire? »
Après tout, ils étaient sous les ordres du gouvernement. Et c’est le gouverneur qui a lancé cette stupide idée de consistoire. Certes, le foutre en l’air à peine avoir commencé serait stupide, excepté si l’on savait l’affaire inévitable, alors pourquoi ne pas s’en charger soi-même, et ainsi pouvoir infiltrer son propre espion, et tuer l’affaire dans l’oeuf, et ainsi prouver que l’existence d’une telle instance n’est que pure folie? Tout le monde pensait que le gouverneur était un sorcier blanc, mais son aura ne trompait pas quelqu’un comme Freyja. Elle se méfiait de ce type comme de la peste.

Freyja est l'immortelle à l'âme noire et au courroux légendaire, et sa colère est noire.

- Je crois que la BRIS pourrait en effet rester neutre.

Il jette un regard à ses collègues qui le dévisagent. L'idée qu'il avance est un sujet à controverse. Et il en est bien conscient. Il faut pourtant faire un pas en avant.

- La police a un code de conduite dicté par des lois puissantes. Je ne suis évidemment pas naïf au point de croire que tout sera idéal, mais nous faisons partie de cette société, et nous devons dorénavant nous conformer aux règles des hommes. Votons, ajoute-t-il. Je suis à faveur, j'ai rencontré le Capitaine Murphy et je crois à son intégrité.


INTERVENTION : chacun répond maintenant en se concentrant sur l'idée de la BRIS. Vous pouvez ajouter une solution alternative quand la réponse est contre. Le choix se fera donc sur le nombre de votes. La majorité l'emportera. L'idée d'utiliser la BRIS peut ne pas l'emporter, et dans ce cas-là on continuera pour trouver une solution.

— Cela me semble l'option adéquate. La BRIS est plus apte que nous à enquêter sur cette affaire. Dans ce cas, cependant, il faudra qu'elle opère avec discrétion pour garder les journalismes à distance. Bien que ça puisse faire office de problème mineur comparé à l'enlèvement de Madame Thibodeaux, un scandale médiatique est une chose dont nous n'avons absolument pas besoin.
Les détracteurs du Consistoire sauteraient sur l'occasion pour ramener plus de sceptiques dans leurs rangs. L'affaire n'est pas seulement de prouver la ténacité et l'intégrité des Camerlingues, mais aussi d'éviter que le Consistoire ne crée plus de problèmes qu'il n'en règle.

Le paradoxe. Conflit intérieur. Saisir cette perche tendue pour renouer une humanité décousue. Ou au contraire, écouter sa nature magique et se méfier comme de la peste de la BRIS. Croire en une quelconque neutralité, d'une quelconque instance, serait un leurre. Mais je dois bien admettre que Landgraf a raison. Même si je reste attaché à la conviction que nous avons, chacun de nous, des ressources internes propres à la résolution de cette affaire. Un représentant pour chaque race surnaturelle autour de cette table, et pourtant l'affaire est déléguée. Suis-je trop jeune pour ne pouvoir étouffer mon zèle, contenir mon désir véhément de m'investir moi-même dans cette enquête ?

« Je vote également en faveur de cette proposition. » Je garde le silence quant à cette fougue qui me brûle les membres. Le temps n'est pas aux revendications de cette trempe. « Et portons le front haut. Soyons soudés. Des fuites, il y en aura — il y en a toujours. Tâchons de montrer que nous maîtrisons la situation. » Mascarade politique, jouée sur la scène du monde pour un public avide de savoir quel personnage chutera le premier.

En d'autre temps, Freyja n'aurait compté que sur elle seule, mais les temps ont changés. Elle savait que ses propres outils en matière de magie lui seront utile afin de savoir qui avait pu faire cela, mais son enquête à elle ne sera jamais aussi abouti que ceux qui se sont spécialisé là dedans. Jamais encore elle n'avait envisagé de faire appel à la police, les enquêteurs privés oui, mais la police? Freyja avait toujours accordé sa confiance en ses amis et l'allemand en faisait parti. Aussi décida-t-elle de lui faire confiance une nouvelle fois. « Je vous fait confiance mon ami, et je vote également en faveur d'une enquête remise entre les mains de la BRIS. Comme le souligne monsieur Zaganov, nous devons montrer un front unis, et donc fournir aux enquêteurs tous les éléments qui leur seront nécessaire. » Quand à la discrétion, Freyja avait bien des outils pour s'en assurer mais n'était pas certaine que les camerlingues comme la BRIS accepte de se faire envoûter dans ce sens, aussi se contenta-t-elle d’acquiescer.

Mener moi-même l’enquête sur la question était, je l’avoue, une perspective qui m’avait traversé l’esprit. Mais les honorables Camerlingues autour de cette table ont vite fait de proposer une solution, plus raisonnable et légale. Relater notre problème à la BRIS prouvera à l’opinion le souci de transparence et de bienséance de ce mouvement auquel est promis d’innombrables critiques. Alors ma voix portera à son tour une réponse positive, vers une décision qui tend vers l’unanimité.

« En tant que juriste, ce serait malvenu de ma part de ne pas croire en l’efficacité d’une telle institution. Qui plus est, je crois en la bonne foi des quelques camerlingues qui accordent leur confiance en leur capitaine. Je partage donc votre opinion, la BRIS saura résoudre notre problème. »

L’affaire est très troublante, il faut l’admettre. Cet enlèvement est clairement le début d’un ensemble de problèmes, bien que la personne concernée ne te soit absolument pas familière. Tu ne verrais même pas le problème dans sa mort, en fait. C’est plutôt ses conséquences immédiates qui te gêneraient. Cela créera indubitablement des tensions, des remises en question, qui ébranleront profondément les engrenages déjà bancals de cette institution toute fraîche. Et ça, tu ne veux surtout pas. Alors tu cherches comme eux une solution à la question, à ta manière, en silence. Comme tu l’as toujours fait. Mais il te suffit d’écouter, car ils proposent une idée très simple : se fier à la BRIS. Tu n’es pas tout à fait convaincu, mais pour des raisons qui s’appliquent tout autant à tout autre corps d’investigation, public ou privé. Alors tu donnes ton approbation, d’une voix qui s’était faite discrète pendant quelques minutes déjà.

« Je suis aussi de cet avis ; laissons-leur l’affaire dans les mains. Ils ont davantage les compétences requises pour ce genre de mission. Quant à leur neutralité, elle se fragilisera d’autant plus si nous choisissons un autre biais, qu’ils l’apprennent ou non d’ailleurs. »

Le vote fut procédé à l'unanimité. La BRIS sera contactée et chargée de l'affaire. Kathleen répondit elle-même au téléphone que tenait Edgar sous l'oeil suspicieux des camerlingues. Le haut parleur permit à chacun de s'assurer de la bonne marche de l'affaire. Mademoiselle Murphy leur assura qu'elle prenait en charge l'affaire, et qu'elle se chargerait elle-même des interrogatoires. Bien sûr, la discrétion sera de mise. Seuls des inspecteurs en qui elle a entièrement confiance seront sur cette affaire sous sa houlette. Elle demanda à chacun de rester à sa disposition, et de s'assurer, que les légats soient également disposés à répondre aux questions, bien sûr, elle contacterait Godric et ses employés qui se sont chargés de la création et constitution du Consistoire y compris ce cher Edgar afin qu'ils répondent eux-aussi à ses questions. Ce dernier parla pour tous en répondant que tous avaient à coeur de voir l'affaire conclue et le coupable trouvé au plus vite. Quand l'employé raccrocha, un long silence s'imposa dans la vaste salle de réunion. L'atmosphère était pesante. Les mines graves s'enfonçaient dans de sombres pensées. L'avenir semblait si sombre. Qui donc était en train d'assassiner leur assemblée de l'intérieur, qui donc voulait avorter le Consistoire avant même qu'il ne soit en état de fonctionner correctement? Il était évident que cette manoeuvre visait à une destruction complète. Aussi chacun se sépara en se saluant sans joie. Quelques mots gentils furent dit à Freyja Njörd-Völsunga, et ce fut tout. Une fois la salle vidée, Edgar s'attarda pour s'assurer que personne n'avait rien oublié puis il contacta le gouverneur afin de lui faire son rapport.