⊰ 1931 – Asile Psychiatrique de Covasna

On pourrait blâmer un tas de personnes pour ce comportement irrespectueux envers l’être-humain. On pourrait blâmer ses parents qui ont préféré isoler leur fille cadette dans une chambre, au profit de deux autres enfants en bonne santé. On pourrait blâmer toute sa famille pour ne pas avoir vu ce changement s’opérant sur Šensa. On aurait pu la diagnostiquer avant afin de l’aider à mieux évoluer dans la société. Mais on avait honte. Alors on l’a fait trop tardivement.

❝ Psychotique. ❞ Les yeux lâchent le dossier, se posent sur une enfant dont le regard bleu semble vide de tout ressenti. Surpris, le psychiatre ne laisse pourtant rien paraître. Il toussote légèrement, essayant d’attirer l’attention de sa patiente admise dans l’asile il y a à peine quelques heures. Mais peine perdue. ❝ Bien. Sensa. Sensa ? Est-ce bien comme cela que se prononce ton prénom ? ❞ Un hochement de tête en signe de négation, la petite ne le regarde toujours pas dans les yeux. ❝ Chansa. Je m’appelle Šensa, et mon prénom se prononce Chansa. ❞ Un soupir las s’échappe du gosier de l’homme, une pensée fugace lui traverse l’esprit, comme quoi il lui faudra du temps pour soutirer des informations à cette gamine butée. Mais une voix enfantine brise le silence oppressant, anéantissant également le programme que prévoyait le psychiatre pour la faire parler. Un programme très drastique.

❝ J’avais cinq ans. Cinq ans quand j’ai parlé pour la première fois. On venait de m’annoncer la mort de mon petit-frère Mika. Un nouveau-né qui n’avait pas résisté à la mort. J’avais dit « Chouette » car mon attention était rivée sur un hibou s’envolant d’arbre en arbre. Mes parents ont pensé que j’étais heureuse de la mort de Mika. Ils m’ont enfermée dans ma chambre, et je n’avais aucunement le droit de voir du monde. La servante m’apportait la nourriture trois fois par jour, j’étais confinée dans cet espace étroit entre quatre murs, avec pour seule occupation : la lecture. Une promesse silencieuse, celle de ne plus jamais parler… Je n’avais plus envie de parler. Plus envie parce que mon premier mot m’avait amenée en Enfer. ❞ Un petit rire, le regard de Šensa dévie de la bibliothèque pour se fixer à ses mains qu’elle malmène en signe de nervosité. ❝ Je ne sais pas ce que vous voulez que je vous dise. Vous connaissez déjà ma vie, tout est relaté dans ce dossier. ❞

Et c’est vrai, le psychiatre possède entre ses mains des pages et des pages relatant l’existence d’une gamine de quatorze ans ayant commis un meurtre. Il avait déjà lu l’histoire de la chouette et des conséquences de son premier mot. L’indifférence au monde extérieur, les faibles tentatives de communication, le peu de réaction que témoignait cette petite vis-à-vis de tout… Des signes troublants qui auraient dû alerter les Reinhardt pour faire consulter un spécialiste avant que l’irréparable n’arrive. Trop tard, toujours tout tardivement. ❝ On me traitait de malade. On disait que je n’étais pas normale. Ma mère prenait souvent ma défense auprès de mon père quand il s’égosillait à me faire parler pour de bon. Il disait que j’avais des problèmes puérils, que j’étais attardée et que j’étais un fardeau pour lui. Alors souvent, mes frères et sœurs, et mon père me laissaient seule… Hormis ma Mère qui s‘obstinait à m‘aider du mieux qu‘elle pouvait. Mais elle ne savait pas ce que j‘avais et ne le sait toujours pas. Alors ses tentatives d‘aide étaient des échecs. ❞ Ce n’était pas un délaissement qu’elle avait vécu, elle ne ressentait simplement pas l’envie de se lier aux autres, de leur trouver une importance quelconque, elle était indifférente à tout. Elle l’est toujours, se dit le docteur, vu le regard indifférent qu’elle pose autour d’elle, semblant ne pas ressentir sa propre présence. Pourtant, elle lui raconte sa vie sans qu’il ne le lui ait demandé.

❝ Mais rester seule tout ce temps… Dans ma chambre… Ça a dégradé mon mental déjà bien vulnérable. J’ai commencé à développer certaines habitudes, des rituels en tous genres. Comme toucher certains objets à tel moment. Parce que… Le monde extérieur, je ne l’ai jamais compris. Il paraît qu’il y avait une guerre, dehors. Moi aussi j’en vivais une. Dans ma chambre, entre moi et mon cerveau. Le moindre changement inattendu a toujours provoqué en moi une panique affolante, la colère prenant le dessus dans certains cas jusqu’à ce que je détruise ma chambre pour la ranger une fois calmée. C’est ce qu’on appelle des crises dans votre jargon, je suppose. ❞

Et plus le temps passe, lui-dit-elle, plus ça empire parce que les livres de sa bibliothèque… Elle les a déjà lus. Heureusement que sa famille est aisée, pas non plus influente mais ils vivent dans un manoir et peuvent se permettre d’avoir des servants. Contrairement à d’autres roumains qui croupissent sous les ponts ou gambadent de forêt en forêt, cherchant un abri et de quoi éloigner la mort d’eux le plus longtemps possible. ❝… Et quand j’ai lu tout ce que j’avais dans ma bibliothèque… J’ai jeté mon dévolu sur d’autres activités. Mais quelque chose avait changé, je tenais sur une feuille un emploi du temps précis que je consultais tous les jours pour savoir quelle tâche j’avais à faire à telle ou telle heure. Ça me permettait de ne craindre aucun changement, d’avoir des repères. Cet emploi du temps a aussi réussi à enrayer mes crises de colère ce qui a joué sur la « libération » comme je l’appelle puisque mes parents m’autorisèrent à quitter ma chambre à partir de ce moment-là... J’avais neuf ans... ❞
Fin de la séance.


Une nouvelle séance débute.
Silence radio depuis deux semaines. Les infirmiers amènent la patiente dans le bureau du psychiatre, obligés de la tenir sinon sa carcasse maladive s‘écrase au sol. Les médicaments n’ont pas beaucoup aidé, constate le psychiatre en examinant le corps émacié de la roumaine. Sa peau est tellement pâle que de loin, les tâches de rousseur ressortent effroyablement. Ses cheveux sont crasseux et son regard encore plus absent. Comme si petit à petit, son âme avait décidé de la lâcher. ❝ Bonjour, Šensa. ❞ Salue-t-il quand les infirmiers quittent la pièce. Aucune réponse. Comme la première fois. ❝ J’aurai bien voulu que tu me racontes ton enfance mais vois-tu, je dois faire mon travail. Et mon travail c’est de rédiger ta version des faits sur ce qui s’est passé le 3 février. Tu t’en rappelles ? Tu sais ce que nous faisons des filles qui n’obéissent pas ? ❞ Un hochement de tête en guise de réponse mais toujours l’absence du regard. Mais...

❝ Je sais ce qu’Ils nous font. Les expériences pénibles sur les patients, hein… Mais je ne peux pas vous raconter ma version avant le reste. Je… Je ferai vite mais s’il-vous plaît, n’appelez pas les autres avant que j’aie terminé. ❞ Et la petite relève la tête, son regard dénué de toute lueur s’ancre à celui du psychiatre, et c’est bien la première fois qu’elle le regarde dans les yeux. Une vile technique de manipulation sans doute pour réussir à obtenir ce qu’elle souhaite. Le psychiatre acquiesce pour que la gamine poursuive son récit. ❝ Mes parents voulaient refaire mon éducation. Ils commencèrent par m’apprendre des préceptes, des règles à ne jamais outrepasser. L’un des préceptes est de ne jamais nuire à autrui, ni même à un animal. Les animaux, les humains… Jamais. L’une de mes règles favorites. J’ai tenu quelques années avec un comportement presque irréprochable… Jusqu’à il y a deux semaines. Il y a quelques années, j’avais reçu en cadeau un chien. Loki de son nom. Il était mon compagnon car mes parents avaient compris que la compagnie des humains ne m’apportait rien. Loki m’a rendue heureuse. Mais maintenant je suis malheureuse. Malheureuse parce que Loki est mort. Vous pouvez commencer à écrire, Docteur, je vais vous raconter ce que vous souhaitez depuis la première séance… Il y a deux semaines, nous avons bougé en ville pour rendre visite à un oncle qui habite dans un vieil immeuble presque délabré. ❞ Un nouveau silence, la gamine détourne le regard, regarder quelqu'un dans les yeux doit la rendre nerveuse. Perdue dans ses souvenirs malsains, elle poursuit tandis que lui, prend des notes.

❝ Nous y sommes allés… L’accueil chaleureux avait plu à mon père qui voulait renouer avec son frère. Malgré la pauvreté de l’appartement, ce fut un séjour sympathique. Mais… Mon père acheta des places pour l’opéra de Covasna, des places pour tout le monde hormis moi. Je n’en veux pas à mes parents, ils ne voulaient pas s’encombrer d’une gamine avec des problèmes mentaux. Vous savez comment sont traités les malades dans notre pays, tout le monde se voile la face et préfère terrer la honte de la famille. Dans la mienne, c’est moi. Alors, je me suis retrouvée de nouveau enfermée dans cet appartement avec la gouvernante et Loki. Une gouvernante bien trop âgée si vous voulez mon avis, elle s’assoupissait constamment alors… Forcément, échapper à sa surveillance n’a pas été très difficile. Loki et moi sommes partis nous promener, sans aller plus loin. ❞ Nerveuse, elle commence à se pincer les doigts sûrement dans l'espoir de ressentir quelque chose et quitter sa rêverie macabre.

❝ Vous vous rappelez de mon précepte favori ? Ce jour-là, en retournant dans l’appartement de mon oncle, un bruit strident m’interpela. Dans le couloir voisin, un cri d’un animal. C’était un chien, Docteur, quelqu’un battait un chien ! Loki a couru dans le couloir jusqu’à mordre le vieillard afin qu’il lâche la carcasse meurtrie du chien. Peine perdue, l’ancêtre était plus coriace que cela, il s’en est pris à Loki qu’il a envoyé valser… Jusqu'à ce qu'il dégringole des escaliers. C’est à ce moment-là que je suis sortie de ma transe et que j’ai vengé mon chien. J’ai tiré cet homme et je l’ai poussé comme il l'avait fait avec Loki alors que son corps glissait, glissait, marche par marche. Mais non… Ce n’est pas ça qui a causé sa perte. Non, ça l‘a sonné durant quelques secondes… J’ai fait pire ensuite. J’ai préféré descendre, j’étais tellement en colère… Un inconnu venait d’anéantir à néant mes règles. Alors, j’ai pris sa tête et j’ai cogné de toutes mes forces, fracassant son crâne contre le béton de la marche. A cause de ce vieillard, j’ai les mains ensanglantées maintenant. Regardez, j’ai toujours du sang sur mes mains. Pourtant, je me suis douchée une centaine de fois depuis cette histoire… Regardez, ça ne veut pas partir...❞ De panique, elle se met à agiter ses mains pour lui montrer qu'elle a toujours du sang humain tâchant ses mains enfantines.

Le psychiatre se reprend et décide de la recentrer sur la suite des événements ❝ Qu’as-tu fait ensuite ? ❞

❝ Je n’ai pas bougé d’un pouce, je suis restée là avec mon chien mort, à attendre les autorités roumaines. Je voulais être punie pour m’être attaquée à un humain même si ce même humain m’avait mise en colère. Quand ces hommes sont arrivés, je me suis présentée à eux, les poignets devant moi pour me rendre. Je suis responsable d’un crime et j’ai enfreint l’une de mes règles, celle de ne jamais nuire à autrui. Vous voyez… Il ne faut pas me laisser seule. Je suis un danger pour moi-même et les autres, c’est pour ça que je suis dans la Maison des Fous. ❞

En quatre ans, elle vécut deux internements à l’asile. Le premier dura quelques années à cause du crime et d’une grosse somme d’argent que ses parents versèrent pour la faire sortir plus tôt. Le deuxième prit fin il y a quelques jours, au bout de cinq mois. Pour ce deuxième internement, elle s’était simplement entaillée la chair jusqu’à laisser le sang sortir de son corps malade. Pas dans l’envie de mettre fin à ses jours mais elle n’a jamais pu enrayer l’image du sang tâchant ses mains. Et elle a voulu réitérer cet acte malsain en se tailladant le corps. Mais on la libéra tout de même, malgré son teint toujours aussi livide, ressemblant plus à un cadavre qu’à une jeune femme de dix-huit ans. Et surtout, heureuse de quitter l’asile qui l’a rendue folle…plus qu’elle ne l’était déjà.

Névropathe. Psychotique. Trouble de la personnalité schizoïde. Attardée, à cause du retard de développement intellectuel et psychologique. A tendance suicidaire.

Le diagnostic complet des deux séjours dans cet asile grâce aux psychiatres incompétents de l'époque. Plus que sa chair meurtrie, des stigmates présentes sur son âme encore plus vulnérable maintenant qu’il y a quelques années. L’asile l’a anéantie.

Mais ce fut bien pire quand elle découvrit sur le seuil de l’asile que personne n’était venu la chercher. Pas même un oncle, ni une gouvernante. Accrochée à sa minuscule valise, Šensa regardait la pluie s’abattre sur elle comme si elle s’attendait à être assassinée une bonne fois pour toutes en ce moment même. Au contraire, un véhicule passa devant elle et son phare l’aveugla.

Direction ailleurs, dans le monde des oubliés, là où personne ne pourra l’atteindre. Là où personne ne se souciera d’elle. La forêt l’accueillit en son sein, tel l’animal blessé qu’elle semble être. Chétive, tenant à peine sur ses jambes, elle s’installa en pleine forêt durant quelques jours, en prenant garde à ne pas terminer les médicaments que les médecins avaient prescrit. Les premiers jours, ses crises d’angoisse deviennent fréquentes, quasiment quotidiennes. Malgré l’anxiolytique et le millepertuis. Mais sa maigre réserve de nourriture prit fin, alors elle se dirigea à pas de loup dans la ville avoisinante, tous ses vêtements sur son dos. L’hiver l’emportera peut-être ailleurs. Là où ses parents l’attendent près de la cheminée, les mets s’alignant sur la table…

Mais aucun endroit utopique, juste le froid mordant qui semblait s’accorder à merveille avec son humeur lunatique. Et la pluie, qui semblait s’être arrêtée.

La majestueuse demeure d’un quelconque bourgeois attira l’œil envieux de Šensa qui regardait la maison, bouche-bée, se demandant ce qu’elle pourrait faire pour y trouver de la nourriture. Voler lui semble être la chose la plus simple à faire mais il faudrait trouver quelqu’un ayant de la nourriture. Par un passage dans les buissons, elle atterrit derrière la demeure silencieuse durant cette nuit où la lune semble écraser la population endormie de toute sa splendeur. Deux servantes passèrent en même temps dans le jardin extrêmement bien taillé, prêt à accueillir la neige monstrueuse en son sein. Sans réfléchir, Šensa s'élança sur les deux servantes, dans l’espoir de leur dérober leur panier de nourriture et s’enfuir en prenant ses jambes à son cou.

Mais rien ne se passa comme prévu, au contraire, la faiblesse de Šensa fut sa perte quand l’une des servantes l’immobilisa sans grande peine contre l’herbe encore fraîche de l’averse.

Dans le chambranle de la porte-arrière se tenait une femme, à la chevelure dorée et la peau diaphane. Šensa ne gesticulait plus. Les servantes la lâchèrent et Šensa ne perdit pas de temps pour s’avancer vers celle dont le regard la fascinait. Et puis Šensa se jeta à ses pieds. ❝ Pitié, aidez moi… Donnez-moi un peu à manger, s’il-vous-plaît… ❞

De cette rencontre, Šensa en garde de très bons souvenirs.
Lors des présentations, le prénom fut lâché dans l‘air, un prénom aux sonorités tellement slaves… Anastazia. Le faciès d’Anastazia se grava derrière ses cornées pour qu'elle n'oublie aucun détail. Parfaitement consciente des troubles mentaux de Šensa, pourtant, Anastazia lui offrit sa protection. Sans doute le côté juvénile et encore bien fragile de Šensa qui l’avait attirée. Devenue une servante simplement dans le but d’être près d’Anastazia, Šensa quitta la forêt et le froid au profit d’une douceur embaumant son cœur glacé… D’une douceur maternelle, Ania prit Šensa sous son aile, l’aidant à chaque fois que la roumaine chutait. Chutant physiquement à cause de la maladie, chutant mentalement à cause de ses névroses. Alors… Šensa oublia complètement son ancienne famille qui l’avait abandonnée pour permettre à Ania d’entrer dans sa vie et… Ne jamais en sortir. L’appelant même Maman d’une voix brisée, certes, mais ce mot semblait prendre tout son sens seulement avec Ania.

Cependant, son système immunitaire était toujours faible et elle attrapait toutes sortes de maladies étranges, la clouant au lit durant des jours. La plupart du temps elle guérissait rapidement sans laisser la fièvre s’éterniser plus longtemps. Mais un jour, elle tomba dans l’inconscience, tremblant, alors que sa température corporelle semblait bien plus haute. Fiévreuse, à son réveil, elle hurla de douleur, appelant sa mère adoptive pour que celle-ci apaise ses maux grâce à l’habituelle berceuse pour enfants… Mais même enveloppée dans cette tendresse maternelle, Šensa ne put guérir aussi rapidement qu’auparavant. ❝ Ne…veux pas mourir, maman… Je ne veux pas… Pitié… ❞

Les chuchotements persistants des branches qui crissaient contre la fenêtre parvinrent à ses oreilles bourdonnantes, le regard assombri et rempli d’un rouge carmin. Elle agonisait. Ses intestins étaient en train de la tuer, tant la douleur ne voulait pas la quitter. Durant cette nuit enneigée, elle mourut réellement. Souffrir encore un peu, jusqu’à ce que les changements s’opèrent. Pour ne plus souffrir de la maladie, Ania lui offrit l’immortalité même si la Mère ressentait une répulsion particulière pour cette race sanguinaire. Mais il fallait faire cesser la douleur…
Mourir pour mieux renaître.

❝ Docteur, je déménage dans quelques jours. ❞ En forme, son faciès juvénile arbore un sourire timide. ❝ Merci pour tout. ❞ Il y a quelques années, elle a rencontré le psychologue en lui donnant toutes les cartes en mains afin de déterminer ce qu'elle a. Les séances chez ce psychologue n'ont rien d'éreintant, au contraire, elle se sent plus épanouie au fil des séances. Immortel également, le psychologue a cerné le gros problème de Šensa, chose que les psychiatres humains n’avaient pas réussi à faire il y a fort longtemps. ❝ Maman se trouve dans cette ville, je vais essayer de faire bouger ma cabane pour l’installer dans un coin tranquille avec mes chiens. Je voulais vous remercier pour tout ce que vous avez fait, je continuerai à venir vous voir régulièrement. ❞ Un hochement de tête, le psychologue se lève pour lui serrer la main. ❝ N’oubliez pas de vous focaliser sur les petits rituels qui ont un effet canalisateur sur vos pulsions. C’est sans doute un mauvais conseil mais vous êtes la seule capable de trouver un moyen de calmer le « monstre » qui habite en vous. J’ai réussi à calmer le mien mais ce n’est pas avec toute la volonté du monde qu’on parvient à calmer la bête en chaque vampire. ❞ Après un échange des coordonnées, Šensa quitte l’immeuble du psychologue et plonge dans la noirceur de la rue. Mais elle semble apaisée, son sourire ne quittant pas ses traits.

Telle une nomade, elle a arpenté le monde entier durant des décennies avec une petite cabane et ses animaux marqués. Et finalement, elle a atterri sur le territoire américain et l'envie d'y rester germa en elle grâce à son psychologue immortel. Deux ans qu’elle est à New-Jersey avec ses chiens, deux ans qu’elle n’a pas vu Maman, deux ans qu’elle n’a eu que des lettres de sa part. Certes, un peu de sa faute, à force de bouger partout, changer de point d’ancrage quasiment toutes les semaines. Beaucoup de forêts l’ont accueillie, beaucoup de déserts également. Ania l’avait laissée partir en se rendant compte que son infante avait appris le nécessaire, suivant avec une dévotion chacune des lois vampiriques. Šensa a besoin de règles pour…non-vivre, ça a toujours été le cas. Mais depuis peu, elle sent le besoin de se poser dans un coin tranquille, chercher un travail et continuer à vaquer à ses activités. Shreveport semble être la destination rêvée. En plus, maman sera là-bas.
Son sourire s’élargit et ses rangers écrasent le bitume, direction la petite cabane pour continuer à ranger ses affaires et préparer le déménagement.