L'odeur du café chaud. Celle du sirop d'érable. Je m'en délectais, assise derrière mon grand bol de chocolat chaud. Éveillée depuis peu, je devais me faire faire violence pour ne pas retrouver la sureté de mes rêves. La douceur des bras de Morphée. Silencieuse comme à mon habitude, j'observais par la fenêtre l'imposant manteau blanc qui avait recouvert la silhouette des arbres. Bien que le sommeil semblait ne pas vouloir me quitter, j'éprouvais une certaine impatience à entendre le grincement de mes chaussures contre la poudreuse. A ressentir la fraicheur du temps sur ma peau brûlante. Mes yeux scintillaient. Et, je ne pouvais taire cette lueur. J'avais trouvé au creux de la nature une harmonie que moi seule comprenait. Qui avait le don de dépasser nombreuses personnes. Principalement ma mère. Je voulus lui sourire. Ne serait-se que la saluer, après cette longue nuit. Mais, aucune réactions ne daigna s'extirper de mon éternel mutisme. A quoi bon tenter quoi que se soit. Je savais que cela ne mènerait à rien. Dans le meilleur des cas, je n'obtiendrais qu'un simple regard. Et dans le pire, un silence pesant, à couper au couteau. Discrètement, je soupirais. Parfois, je me posais la question oui. M'aimait-elle réellement? J'avais beau être sa fille, cela la forçait-elle tout de même à m'aimer? Heureusement, mon esprit âgé de huit ans chassait très vite le doute. Il me suffisait de poser une nouvelle fois les yeux vers cette vie poudrée de neige, qui m'attendait à l'extérieur. Je ne pris pas la peine de terminer mon petit déjeuner. Dans la cuisine l'atmosphère était devenue trop lourde. L'appel de toute cette blancheur était bien trop grande. J'osais pourtant une dernière approche, le cœur battant d'enthousiasme.
« C'est si blanc. » Je ravalais mon sourire devant tant d'indifférence. Étais-je devenue invisible sans même m'en apercevoir? Craignant une telle chose, je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'oeil au miroir de l'entrée. Non. J'étais bien là. En chaire et en os. Peut être aurais-je espéré le contraire. De cette façon, j'aurais pu lui accorder des circonstances atténuantes. Le bénéfice du doute. Mais en vain...
A peine eus-je posée un pas contre le sol gelé, que je frémis de plaisir. La brise vint planter quelques aiguilles glaciales sur mon visage. Telle une douce caresse en guise de bonjour. J'effleurais alors du bout des doigts la neige, puis m'engouffrais parmi les chênes et les sapins. Tous les matins, j'empruntais ce même chemin. J'aurais pu certes, prendre le bus, comme tout enfants vivant ici. Mais, quoi de mieux que passer ce trajet vers les enfers en compagnie de sa meilleure amie? Ma seule amie, à vrai dire. La nature. Il n'y avait qu'elle qui comptait ou possédait une quelconque importance. Le reste était selon moi tellement dérisoire. Enfin, c'était ce que je m'efforçais de croire. Seulement au fond, je savais d'où venait le réel problème. J'étais seule. Irrémédiablement seule. Aucun de mes camarades n'avaient souhaité m'approcher. J'ignorais pourquoi un tel racisme envers moi. Cela dit, moi non plus je ne faisais pas plus d'efforts. Comment l'aurais-je pu, alors que je ne savais comment m'exprimer. A côté de ma petite personne, ils étaient tous si... vivants. Oui, c'était exactement le mot. Pas que j'étais morte. Au contraire. Je ne savais simplement pas le démontrer. Espérant me donner davantage de courage, j'inspirais profondément. Si cela ne tenait qu'à moi, je passerais toutes mes journées ici. Perdue entre les arbres.
La forêt ouvrait lentement les yeux. Elle vivait, de nouveau. Je ne m'en lassais jamais. Trouvant toujours quelque chose pour m'émerveiller. Me surprendre. Comme à l'instant. Une petite boule de poils venait d'émerger. Sa fourrure grisonnante contrastant avec l'éclat du sol. A pas de loup, je m'aventurais à sa rencontre. Ce que j'aimais les animaux! Mon chaton pouvait d'ailleurs le confirmer. M'accroupissant doucement, je me mordis l'intérieur de la joue. Essayant de cette manière de ne laisser filtrer aucun sons. Puis, le plus lentement possible, je glissais ma petite main sur le sommet de son crâne.
« Shhhhhht... Je ne te veux aucun mal... » Je crus d'abord qu'il cherchait à sentir la chaleur de ma paume contre son échine. Mais, lorsqu'une fois dos à moi il releva la queue, je n'eus pas le temps d'anticiper sa réaction. Le jet s'échappa sans prévenir. L'odeur s'accrocha à mes sinus. Amère. Nauséabonde. Reculant précipitamment, surprise, je suivis de mes prunelles noisettes la petite bestiole fuir à la hâte. Qu'était-elle donc?
« Viens dans la baignoire. » La douche n'avait rien changé. Elle était en colère. Je le ressentais. C'était une gêne physique. Une sensation d'oppression. Je frissonnais.Ce n'était pas de ma faute dans un sens. Comment aurais-je pu deviner que cette petite bête n'était autre qu'un putois? L'envie me prit de le lui rappeler, mais je m'abstins. Je ne voulais pas rajouter une couche à l'irritation qu'elle tentait de contenir. Ainsi, je me contentais de baisser la tête, honteuse. Toute la journée, j'avais subis les railleries de mes camarades de classe. Je n'avais pas osé retourner à la maison après mon petit accident. Donc oui, j'étais restée jusqu'à la fin de l'école avec cette puanteur incrustée dans la peau. Sentant sa main pressante contre mon épaule, j'accélérais le pas, afin de retrouver les vapeurs étouffantes de la salle de bain. Aussitôt, un arôme particulier me chatouilla les narines. Je fronçais les sourcils. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre. Du jus de tomates. La baignoire en était remplie. Je me statufiais.
« Mais pourquoi?... » Aucune réponses. Elle ne fit que soulever ma petite masse. Le liquide tâcha la blancheur de mon corps. Les larmes me vinrent aux yeux.
« Un vieux remède de grand-mère. Le jus de tomates va atténuer l'odeur. » Bien que l'explication était cohérente, elle ne prit pas tout de suite un sens. J'étais beaucoup trop obnubilée par tout ce rouge.
« Je veux sortir. » Je l'implorais. Les joues humides. Les mains jointes. Mais, cela ne changea rien.
« Cesse donc d'être aussi peureuse. » Je me redressais maladroitement. Tremblante. Ses doigts s'appuyèrent avec force sur ma tête.
« Je ne veux pas rester. Je ne veux pas. On dirait du sang... » Un long soupire trahit son agacement. Mais je ne voulais rien entendre. Je ne pensais qu'à m'échapper. Fuir hors de ce bain d'hémoglobines. C'était là, la vision que j'avais de cette substance rougeâtre. Je sentais mes organes devenir aussi crémeux que le jus dans lequel je baignais. Je me décomposais. Lentement. Je n'arrivais même plus à remuer le moindre cils. J'étais tétanisée. Pétrifiée. Ajoutant une touche supplémentaire à ma torture, je n'eus d'autre choix que de me laisser glisser sous les eaux pourpres, aidée de la main maternelle...
Le goût de ses lèvres. La douceur de son baiser... Agenouillée face à l'autel, je le contemplais. Le Christ. Les bras de part et d'autres. Saigné aux quatre veines. J'imaginais qu'il m'offrait une étreinte. Un refuge. Contre lui. Sa fraicheur de marbre. Son immobilité. Cette éternelle souffrance visible sur ses traits. Comment pouvait-il encore prôner l'espoir. La paix. Il n'y avait sur cette terre que la douleur. De vraie. Mais aucune place pour ce que l'on nommait "Bonheur". D'ailleurs, que signifiait-il? Je me le demandais souvent. Parfois, j'osais même imaginer qu'il n'était que le fruit de nos fantasmes. Une utopie. Inventé pour permettre à l'Homme de tenir parmi toute cette folie. Je n'étais pas aussi stupide. Moi, je savais que la vie n'avait rien à nous offrir de plus. Seulement le pire. La religion ne changeait pas la fatalité que nous subissions chaque jours. Elle la masquait. La dissimulait derrière ses croyances. Encore un mensonge. Je soupirais. Résignée. Voilà ce qu'était notre existence à la réflexion. Que de résignation. De regrets. Lentement, je me redressais. Elles étaient toujours là. Guettant le moindre de mes gestes. Le moindre faux pas. Les Sœurs. J'avais essayé. La rébellion. Le refus. Mais en vain. Les punitions qui s'en suivaient n'en valaient pas le coup. Ses mains. Leur vieillesses. Je les ressentais. Elles n'avaient pas quitté ma peau. Elles étaient là. Veillant sur mon âme. Je fermais les paupières. Mon père. Il était la raison de ma venue ici. Celle qui avait poussé ma mère a m'exiler loin d'eux. De tout. Posséder par le démon. Ce fut la dernière parole qu'elle m'adressa. La tendresse ambigüe qui me liait à lui. Elle ne l'avait pas supporté. La folie l'avait emporté. Ou plutôt, sa folie m'avait emporté. Ici. J'étouffais. Une lionne en cage. Je ne faisais que tourner en rond. J'attendais. Le jour de ma libération. S'il venait. Mais ça... Mes prunelles sombre rencontrèrent les siennes. Marie. Je la trouvais magnifique. Gracieuse. Les mains jointes. La tête légèrement inclinée. C'était une expression sur son visage. Une tristesse. Une espérance. Cela dépendait. J'étais séduite aussi. Par la pureté de ses traits. Le dessin de sa bouche. Elle me semblait familière. Quelques fois, je me surprenais à éprouver envers elle une certaine affection. J'aimais penser que dans une autre vie, elle m'avait porté en elle. Fruit de ses entrailles. Chaire de sa chaire... Comme à mon habitude. Geste mécanique. Répétitif. J'allumais un cierge. Je n'avais pourtant aucun souhaits. Et même si c'était le cas, je les laissais brûler. Se consumer lentement.
« Tu peux regagner ta chambre. Tu t'es suffisamment recueillis pour aujourd'hui. » J'acquiesçais d'un léger signe de tête. Dessinant une dernière fois le signe de croix. Puis, quittais ce silence religieux, les doigts crispés autour de mon chapelet...
[ ... ]
Les rayons lumineux filtraient à travers les fenêtres. Baignant la salle d'une douce aura jaunâtre. Le soir pointait son nez lentement. Tandis que la journée déclinait. Il ne restait plus que six minutes. Six minutes, et la sonnerie indiquerait enfin le week-end. Cela pouvait se deviner, à travers les visages impatients qui scrutaient la pendule depuis le début de l'heure. Quant à moi... j'observais par l'une des nombreuses vitres le temps filer paisiblement. L'été arrivait à grands pas. Mais, malgré la présence du soleil, Moscou restait toujours aussi frais. Chose qui, ne me dérangeait pas en somme. Au contraire. Je n'étais pas de celle appréciant la chaleur. Le froid était mon élément. Contrairement à mes camarades. Nous étions à bien des égards différents. Peu m'importait à vrai dire. La solitude était une alliée de longue date. Et je me complaisais avec elle. Un tintement sonore raisonna dans tout le bâtiment. Voilà. La semaine se terminait. Lasse, je contemplais cette fourmilière d'élèves quitter la classe avec hâte. Imaginant toute cette chaire à canon se bousculer dans les couloirs. Un rire familier lézarda les murs. Et m'arracha de ce fait à ma rêverie.
« Quelle impatience, n'est-ce pas? » Je haussais les épaules. Perdue entre l'incompréhension de cette course vers l'extérieur. Ainsi que la gêne de sa présence.
« Oui... A croire que le temps manque. » J'osais enfin relever mes prunelles vers le visage de mon interlocutrice. Il s'agissait là de Mademoiselle Litovski. Mon professeur d'anglais. Chaleureuse comme à son habitude, elle m'adressa un sourire des plus charmant. Déstabilisée. Troublée. J'entassais rapidement mes biens au fond de mon sac. Il me fallait quitter cette pièce. Fuir. La fuir, elle?...
« Je te souhaite un bon week-end, Danielle. » Un énième week-end enfermé ici. Super! Cependant, façon qu'elle eut de prononcer mon prénom, me fit frémir. Ainsi, begayant un
« Bon week-end à vous. », je m'empressais de passer le seuil de la porte...
[ ... ]
« Je sais Danielle.. » La douceur de son timbre. Son assurance. Me fit croire une fraction de seconde que je n'étais pas si seule que cela. Seulement, l'absence de cette présence parentale me ramena rapidement à la réalité.
« Ma mère me déteste. A cause de... de mon père. Qu'est-ce qui se passera lorsque je sortirais de cette école... Qui est plus un couvent qu'autre chose! » J'essuyais les quelques larmes qui s'obstinaient encore à vouloir inonder mon visage. Malgré cette facette si... introvertie. Il m'arrivait parfois de craquer de cette façon. Fontaine de pleurs. Cela dit... cette soudaine perte de contrôle ne m'atteignait habituellement que lorsque je me trouvais seule. Alors que cette fois... Mademoiselle Litovski en était témoin. Cependant, cela ne me gênait pas autant que j'aurai pu le penser. Je ressentais même un certain plaisir à la voir si inquiète. Si... attentive et tendre à mon égard.
« Le temps... Le temps apaise bien des choses. Je te le promets. Mais n'hésite pas... si tu as besoin. Je suis là... » Suspendue à ses paroles, j'acquiesçais d'un frêle signe de tête. J'étais prête à croire chacun de ses mots. Puisqu'ils valaient selon moi, ceux de l'Evangile. Amoureuse? Oui, je l'étais. Et le terme restait d'ailleurs bien faible. Obsessionnelle conviendrait mieux à la situation. C'était... une obsession. Mon. Obsession... Ou le reflet de la mère que je n'avais jamais eu? Mais... dans ce cas était-se normal de ressentir envers sa "mère" du désir?...
[ ... ]
« Il faut que tu arrête Danielle. Arrête de m'écrire toutes ces lettres. Ce n'est pas convenable. Je suis ton professeure. Et nous sommes dans une école catholique. » Les larmes me brûlaient les yeux. La colère, la gorge. Alors que la honte, elle. Me poussait à vouloir disparaître dans un trou de souris. Et j'aurai bien pris la fuite. Si ce mélange d'émotions ne me réduisait pas à l'immobilité. Je lui en voulais. Non. Je m'en voulais. D'avoir été aussi... aussi loin? Mais... jusqu'où avais-je été pour qu'elle me demande de cesser? Je fermais les paupières. Je ne voulais plus soutenir ses prunelles autrefois si douces. Et maintenant si... dures? Je remuais la tête. Reculais de quelques pas. Oui. Oui, je lui avais fais comprendre. Oui... elle savait désormais. Ce que j'éprouvais à son égard. Tout cet amour. Ce désir. Cette purée de sentiments aussi ridicule qu'elle pouvait l'être. Seulement qui pouvait contrôler? Qui savait maitriser une telle violence dans son propre ressentis? Les images des dernières semaines défilaient derrière mes yeux clos. Les fins de cours à parler avec elle. Les lettres. Et son numéro de téléphone trop de fois utilisé. Elle avait compris le danger. Celui de l'âme adolescente qui aime démesurément. Pouvais-je l'en blâmer? Quel adulte n'aurait pas imposé des barrières? Qui n'aurait pas pris peur?
« Je... je suis... pardonnez-moi, je... désolée... » La honte était mon coup de fouet. La torture qui me poussait à baisser mon regard. De quelle façon aurais-je pu avoir l'audace de répondre au sien?... Je déglutis bruyamment. A la seule idée des cours restant avant la fin de l'année.
« Je suis tellement désolée... » Je savais dorénavant que plus rien ne serait comme avant. Que tout serait différent. Alors je l'implorais. Osant poser une main sur son poignet. Mais l'instant fut soudainement comme figée. Un choc se produisit. Et le temps sembla se suspendre au dessus de nos têtes. Quelques minutes seulement. Quelques secondes uniquement. Et la vie reprit son cours.
« Ce n'est rien. » Elle était étrangement calme, comparée à l'affolement des premières paroles. Je fronçais les sourcils.
« Est-ce que... ça va? » Elle inclina la tête. Inspectant ma silhouette de haute en bas.
« Oui... Oui. N'en parlons plus. Tu peux y aller. » Partagée entre l'incompréhension et l'inquiétude, je quittais la pièce sans la lâcher du regard. Quelque chose... clochait?...
[ ... ]
~ Extraits du Journal de Danielle ~
Je ne sais pas ce qui s'est passé. Après m'avoir jeté comme une mal propre. (Ce que je peux comprendre après quelques jours de recul.) La voilà toute... mielleuse avec moi. J'ignore ce que cela signifie. S'il s'agit de se moquer de moi ou non. Mais dans tous les cas. Cela ne m'amuse pas du tout...
'' Je trouve que tu es très intéressante. Danielle. Vraiment. '' Allô la terre? Trouvez moi une logique là dedans! Elle pète un câble ou quoi? Je commence à croire qu'elle est en pleine crise de la quarantaine. Ca n'a au-cun-sens-!
Vous me croirez ou non. Mais... elle m'a fait des avances. Si. Mademoiselle Litovski. Mon professeur d'anglais. M'a fait des avances! J'ai dix sept ans et elle... Je ne comprends plus rien! A quoi est-ce que ça rime? Dites-moi. Expliquez-moi. Je suis... perdue.
Son état m'inquiète. Elle est comme... hypnotisée? Non. Ensorcelée. Oui. C'est ça le mot. Certains de la classe ont même été s'imaginer qu'elle se droguait. Et j'avoue que son attitude pourrait passer pour ça. Elle est... Quand elle me voit on dirait... un chien devant un os. Elle délire avec la bave aux lèvres. Je ne comprends plus. Serait-se... une manière de me faire honte? De me montrer la façon dont j'étais? Une sorte de psychologie inversée? Et pourtant... je sais que je n'étais pas aussi... aussi 'débile'? Parce que là... ça devient... vraiment n'importe quoi.
Elle m'aime. Elle me l'a dit. Textuellement. A la fin du cours ce matin. Et moi... je ne sais pas comment prendre cet aveux. J'attendais ça depuis... et en même temps. Quelque chose me dit qu'il y a... anguille sous roche.
[ ... ]
« Vous n'aurez pas cours d'anglais ce matin. Madame Litovski est décédée hier soir. » Ce fut un coup dans ma poitrine. Une lame dans ma chaire. Les yeux grands ouverts. Ronds comme des billes. J'observais la Soeur supérieur avec incompréhension. Elle était... morte?
« Elle... se serait suicidée. » Immobile. Pathétique. Je plaquais une main contre ma bouche. Non?...
FLASHBACK
« Vous ne ressentez rien pour moi. C'est faux. » Je marquais une pause. Secouée par la colère et l'humiliation. « Pourquoi est-ce que vous jouez à ça? Ca vous apporte quoi, hein!? » Visiblement indignée par mes paroles, la jeune femme glissa ses mains sur mes joues. Son souffle s'écrasait avec frénésie contre ma bouche. Je la repoussais maladroitement. « Je ne joue pas. Pourquoi le ferais-je!? Je suis tombée amoureuse de toi. C'est comme ça. » Je secouais la tête. Cette fois les larmes tracèrent un chemin sinueux sur mon visage. « Je ne vous pensais pas comme ça. Vous êtes... C'est dégueulasse!... » Prise d'une folie qui me fit sursauter, elle m'agrippa brutalement le poignet. « Mais que dois-je dire. Ou faire. Pour que tu me croies!? » La forçant à reculer. Je me laissais tirailler entre ma naïveté et la colère de cette mise en scène. « Allez crever! Après on verra! »...
THE END
Aurait-elle?... Non. Elle n'aurait pas fais une chose d'aussi... inconsidérée?... Et si jamais c'était le cas... cela ne serait-il pas... à cause de moi?...
« Je t’ai longtemps cherché. Danielle. » Sourcils froncés, je déshabillais mon interlocutrice du regard. C’était une vieille femme. Soixante dix. Peut être plus. Bien qu’elle m’était totalement inconnue. Elle avait dans le regard une familiarité qui… me troublait. Cela dit, me gardant bien de faire ce commentaire, je haussais les épaules.
« Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas. Comment connaissez-vous mon nom ? » Comme si elle avait deviné ces questions, l’inconnue laissa filtrer un léger rire. Ironique selon moi.
« Je suis ta grand-mère. » Alors ça ! Ca… je ne m’y attendais pas. Du tout, même. Et pourtant… une partie de moi n’en était pas plus étonnée que cela.
« Ma grand-mère ?… »[ … ]
« Une sorcière ? Non mais n’importe quoi. » Je pouffais de rire. Bien que cela ne m’effrayait plus que ça ne m’amusait. Je regardais ma ‘grand-mère’ avec plus de sérieux et remuait la tête.
« Je devais me douter que c’était une connerie. » Alors que je m’apprêtais à prendre la fuite, elle agrippa mon poignet avec une force qui me surprit.
« Comment expliques-tu ce qui s’est passé avec ton professeur il y a six ans ? » Je marquais un temps d’arrêt. Ce souvenir m’était toujours aussi douloureux. Et, l’évoquer réveilla une ancienne blessure que je pensais révolue. C’était cette raison qui m’avait poussé à quitter la Russie pour la Louisiane. Je voulais seulement… Seulement être loin de tout ça. De… ce passé. Et voilà qu’elle me le renvoyait en pleine figure. Telle une claque. Produisant un mouvement du bras afin qu’elle ne me lâche, je la fusillais du regard.
« Comment êtes-vous au courant de ça !? » Après quelques minutes où nos prunelles se toisèrent. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire.
« Je te l’ai dis. La magie… »Je regardais le marbre. L'inscription. L'érosion. Mes yeux perçait la terre. Je devinais le bois. Le vernis. Puis l'inanimé. Le corps. Pantin. Poupée. Chiffonnée. Abimée. Cendrée. Mon cœur se gonfla de sang. Mes poumons d'oxygène. J'imaginais son visage. Celui de cette jeune femme. Son nez. Sa bouche. Ses paupières éternellement closent. Sa chevelure. Sombre comme le ciel chargé d'essence. Ou comme la fillette encore blottit au creux de mes reins. Je baissais la tête. Le crucifix me tendait les bras. Je repoussais sa tendresse. Il était tâché de sang. Celui d'un vieux souvenir. Je ravalais le liquide d'antan. Ce pourpre. Le cauchemar. Mes poignets me démangeaient. Les cicatrices tiraillaient. Je les frottais contre mes hanches. Rougissant ma chaire. Réchauffant le cadavre de mon enveloppe. Le vent chassa le passé. Je respirais enfin. Elle était là. Fantôme de ma vie. Ombre sur la toile.
« Pardonnez-moi... » J'effleurais la gravure. Chaque lettres. "Selena Litvoski". Puis je tournais les talons. Un vol pour l'Amérique m'attendait. Pourquoi étais-je revenue? Je l'ignorais. Ne désirais pas le savoir. Alors je m'engouffrais dans le taxi. Et, posant une main gantée de cuir sur l'épaule du chauffeur.
« L'aéroport... » Aujourd'hui tout était différent...