DATE & LIEU DE NAISSANCE ☞ 13 juin 1992, Kiev ; AGE ☞ 24 ans ; ORIGINE ☞ ukrainienne ; CAMP ☞ neutre, totalement instable elle peut rejoindre n'importe quel rang à tout moment ; ETAT CIVIL ☞ célibataire  METIER ☞ prostituée pour le compte de Sanford.  ETIQUETTE ☞ femme fatale, blonde écervelée, hystérique, croqueuse d'homme, bipolaire, autant de réputations que de fréquentations pour  la joueuse Eryn qui prend un malin plaisir à semer le doute.

Boston, 2010

« Et sinon, comment t’en es arrivée là ? »

Toujours cette même et éternelle question, sans doute le résultat d’une incompréhensible culpabilité propre à celui qui paye pour obtenir LA faveur charnelle. Il tente de racheter sa faute, d’expier son péché en feignant un quelconque intérêt pour l’histoire de ce jouet éphémère qu’il vient de s’offrir. Je lui jetai un regard noir et accusateur : l’heure du jugement a sonné. En réponse il adopta l’air penaud et coupable de celui qui est pris en flagrant délit ce qui déclencha mon rire cristallin.

« T’as de la chance, je suis d’humeur bavarde ce soir. Mais j’te préviens, c’est une longue histoire. »

Piégé mon vieux, il semblerait que tu doives m’écouter jusqu’au bout maintenant et tu sais pas dans quoi tu t’embarques. Ma vie c’est pire que les montagnes russes. C’est space mountain, les chutes du Niagara et une bonne dose de cocaïne, le tout dans un shaker. Après m’avoir entendue tu seras heureux de retrouver ta femme, tes gosses et ton labrador dans ta jolie et ennuyeuse villa de banlieue.

Un silence courtois s’installa entre le client et moi alors que j’enfilais un déshabillé de soie noir. Lentement j’attrapais une bouteille en verre remplie d’un liquide transparent et servis deux verres de vodka accompagnée de glaçons avant de reprendre place près de l’inconnu. And the story begins…

« Tu viens des pays de l’est, n’est-ce pas ? » lança-t-il avec une impatience non feinte. L’homme était avide de satisfaire sa curiosité malsaine et morbide. Il se demandait ce qui pouvait bien se dissimuler derrière tant de dépravation. Je pris une gorgée de whisky, le laissant me brûler la gorge et me laver de l’odeur des pratiques physiques récemment réalisées.

« Je suis née à Kiev, en Oukraïna. Mes parents étaient des orthodoxes et ma mère une véritable pondeuse. Cinq gosses pour des ouvriers… Mais on vivait modestement. Elle, elle était couturière. » L’évocation de ma mère me laissa un arrière goût acre et un sentiment de rancœur que j’avais pris l’habitude de refouler.

« Et ton père ? »

« C’était un likvidatory de Tchernobyl, un militaire impliqué sur le site après la catastrophe nucléaire. Pas le choix, il fallait nourrir la famille mais les radiations lui ont déglingué le cerveau et après ça il n’a plus jamais été le même homme. » En y réfléchissant je me rendais compte que cette catastrophe avait précipité ma famille dans les méandres de l’enfer.

« Après ça le pays est entré dans une spirale de crises économiques et politiques et la misère s’installa dans les foyers, dans mon foyer. Mes parents piochèrent dans leurs dernières économies pour vivre le rêve américain. J’avais 10 ans et je devais survivre, nous devions survivre. ». Je me revoyais, enfant innocente, une mère à cran et un père malade, contrainte de fuir dans un pays dont j’ignorais la culture et les modes de vie.

« Je comprends mieux ma chance d’être ici. » dit-il en me prenant la main avec compassion. Main, que je rejetai aussitôt avec le plus grand détachement.

« C’est la roulette russe ! » criais-je, rendant l’homme incrédule face à un tel changement d’humeur. Les aléas de la vie, le coup d’échec du destin. On ne va pas en faire tout un plat. On s’adapte. Et c’est que j’avais fait. Tel un véritable caméléon, je n’avais fait que m’adapter aux caprices du destin.

« Bref, c’est comme ça que j’ai atterri à Boston. Nous avons emménagé dans un appartement miteux dans le quartier est où je partageais ma chambre avec mon jeune frère et l’une de mes sœurs. Peu après notre arrivée mon père passa l’arme à gauche. Avec sa santé le déménagement avait été le coup de grâce j’imagine.  Ma mère elle ne s’en est jamais remise et je fus le réceptacle de ses angoisses affectives et financières. Nous étions complètement démunis et tous les moyens étaient bons pour ramener du fric. C’est comme ça que mon frère, mes sœurs et moi on a commencé à voler et à commettre quelques menus larcins pour survivre. »  Je marquai  une pause qui me permet de finir mon verre et de m’en servir un second.  Préparez-vous à voguer sur le Styx car la suite n’est pas plus réjouissante.

« Comment as-tu pu surmonter tout ça ? » s’exclama-t-il. Ce à quoi  je ne répondis pas, me contentant de lui adresser un sourire malicieux. Ce soir mon vieux, tu vas remettre toute ton existence en question et prendre conscience de la facilité de ta vie, au fond je te rend service à double reprise.

« Rien n’était simple et à l’école c’était l’enfer car j’étais la pauvre de la classe et je subissais sans cesse les moqueries et les crasses de mes camarades. Les services sociaux n’ont pas tardé à se pointer et ma mère me le fit payer. » Je marquai une pause repensant à ce douloureux souvenir. « Pas de blessures physiques non, mais une odieuse pression psychologique qui me poussa à vouloir mettre fin à mes jours. Mais si Dieu il y a, il décida que ce n’était pas encore mon heure ! » Une expression horrifiée fit son apparition sur le visage de l’homme qui resta bouche bée. En y repensant j’étais plutôt fière de moi d’avoir réussi à gâcher cette stupide fête de noël en me tailladant les veines.

« Et après ? »

« J’avais plus rien à foutre de rien. A 14 ans je plaisais déjà beaucoup aux hommes ce qui me permit de gagner de l’argent d’une façon bien plus plaisante. Si le vol était acceptable pour ma famille, profiter de mes charmes en était une autre et je fus publiquement répudiée. J’étais débarrassée et libre de mes mouvements. A 16 ans j’ai rencontré mon premier mac’, un type de l’est auquel je me suis fiancée. » Je n’en dis pas plus, gardant les détails les plus sordides de mon existence pour moi, comme les crimes que j’étais prête à commettre pour le satisfaire.

« Tu t’en vas ? » lança le client après avoir aperçu les valises faites qui trônaient près de la porte. Je ne répondis pas. Demain je rejoindrai la cité des anges pour épouser Piotr Driscolli et Lilia disparaitrait au profit d’Eryn..


Phoénix, 2011


A quel moment se rend-on compte qu’un choix est un mauvais choix ? Pour certains rapidement, pour d’autres dès le départ et l’erreur peut-être rectifiée. Pour ma part je ne réalise qu’une fois que je suis au fond du trou, alors que j’ai atteint le point de retour et que plus rien n’est corrigible. C’était le triste constat qui s’offrait à moi alors que je gisais maladroitement dans une flaque d’eau non loin de ce bar miteux qui n’avait pas voulu de moi plus d’une semaine. Le climat pourtant ensoleillé de Phoenix avait choisi de se caler sur mon humeur des plus morose et il pleuvait à grosse gouttes. Du haut de mes pauvres 19 ans j’étais, seule, à la rue et trempée. C’est dans ce piètre état que Sanford et son collègue me trouvèrent. Sorti de nul part il était tel un ange venu me délivrer. Il s’approcha de moi, me tendit la main avec bienveillance et tel un automate je le suivis docilement sans émettre le moindre son jusque dans un bar où les deux hommes me payèrent une boisson chaude. Là, ils me posèrent des questions sur moi et sans résistance je vidai mon sac, sans doute touchée par une compassion que peu avaient eu pour moi.  

« J’avais plus rien et je travaillai pour ce russe à L.A et j’ai fait la connerie de l’épouser mais il m’a laissé là, sans un sous, abandonnée comme un vulgaire chien au bord de la route. »

Mon témoignage et mon charme gagnèrent sans doute le cœur de Sanford et l’homme de main de Miguel de Castro me fit intégrer le Cartel me permettant de poursuivre mon bout de chemin dans la prostitution.  

Phoenix, 2014

Aux flammes ardentes se mêlaient les cris des victimes paniquées. Ce qui pendait au nez du cartel depuis la mort de Miguel de Castro un an auparavant avait fini par se produire. Après diverses attaques de petites envergures l’un des gangs rivaux avait réussi à mettre le feu à l’une des maisons de passe et devant moi se déroulait une scène digne d’un film apocalyptique. L’édifice tombait en ruine signant la fin d’une histoire. Plusieurs des filles avaient déjà sombré, prise par le feu ou les débris et leurs corps mutilés et inanimés jonchaient le sol dans un décor de désolation où le sang côtoyait la mort. Mon corps était parsemé de bouts de verre à la suite de l’explosion d’une fenêtre et certaines plaies saignaient à vif. Tout mon être tremblait alors que j’étais gagnée par la peur de la mort. Je voulu courir mais mes jambes se dérobèrent sous mes pas. Un cri de douleur s’échappa de ma bouche alors que j’éclatais en sanglots. La fumée avait envahi la pièce d’un voile opaque et l’air se faisait rare. L’idée de m’allonger par terre pour attendre la faucheuse me traversa l’esprit un instant mais je fus prise d’une quinte de toux qui sembla activer mon instinct de survie. Tant bien que mal je me relevai en quête d’une échappatoire quittant ce tombeau pour finir dans une pièce que je ne reconnaissais plus. Peut-être était-ce le bureau mais distinguer les meubles s’avérer être une tâche impossible. Alors que je tentais d’éviter les flammes, je cru entendre un gémissement. Les plaintes me guidèrent rapidement jusqu’à elle, gisant là, dans un état pitoyable, le visage brûlé, le corps ensanglanté et couvert d’hématomes. Marisol.

«  Eryn… aide moi. »

Son regard suppliant était à fendre le cœur. Mon amie, ma rivale, si faible et pourtant en vie. Je restai interdite face à elle, incapable de la sauver. Pourtant je n’avais cas lui tendre la main et ensemble nous pourrions quitter l’enfer mais je restai immobile, les yeux écarquillés. Puisant dans ses dernières forces, elle se releva et s’agrippa à ma jambe avec désespoir. Moi, son dernier espoir. J’eus un geste de dégoût et je la chassai avec violence mais elle se raccrocha à moi avec insistance.

« Lâche moi ! » hurlais-je avec une fureur démentielle mais la pauvre fille resserra son étreinte, ses ongles s’enfonçant profondément dans mon épiderme. Alors que je tentais vainement de me dégager de son emprise je l’aperçu, dissimulée dans la fumée, la paire de ciseau qui couperait court à nos souffrances. Une fraction de secondes suffit à déchainer toute ma haine et prise de frénésie je m’acharnai à plusieurs reprises sur le corps à demi calciné de Marisol.

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