✤ Caractère Calme eau qui dort, la majesté du loup rivée à la paupière, Ira se sent un, complet, ce qui fait de lui un être d'abord apaisé - avant que la violence due à l'instinct de survie et le souvenir du fait qu'il ne sait pas qui il est, qui il était du moins, ne reviennent enfoncer leurs bras jusqu'au coude. Ira est le Saint Sébastien malmené par les flèches des désirs primaires: l'identité, l'énergie vitale. Le besoin dont on pourrait croire qu'il est absout puisqu'il vit dans la nature, non conscient de l'existence de la société de consommation. Pur, vide de toute haine, rempli de la curiosité des premières fois qui sont encore nombreuses pour lui. Chaque écorce d'arbre une chose nouvelle. Il n'y a qu'un moment où il cesse d'être curieux, où son regard se tourne vers l'intérieur et qu'il est le roi, plus rien ne peut l'atteindre. Quand il danse. D'où ça vient? D'où ça lui vient ce seul langage qu'il est sur de maîtriser, qu'il a besoin d'utiliser sans cesse, qui fait du bien à son âme et à tout partout sa bouche, dessous ses genoux derrière l'oreille, cage thoracique et dans la tempe et dans le soupir d'aise que ça provoque toujours ? Il n'en sait rien. Il n'a jamais appris. Jamais les pointes, les pirouettes et les arabesques, elles font partie intégrante de son code génétique. Il refuse de croire que ça vient peut être de son passé oublié. Ses membres font, dépassent sa connaissance du monde qui correspond à celle d'un enfant. Là, il sait.
Il n'est pas bavard puisqu'il de langage oral, il ne lui semble pas en connaître, il n'en sait rien, il n'a jamais rencontré personne depuis qu'il s'est réveillé à part ses loups - je dis "ses loups" mais ils ne lui appartiennent pas, il fait partie de leur meute et ils le respectent particulièrement sans qu'il sache pourquoi.
✤ Occupation diurne Il se nourrit de ses mains, des crocs de ses loups, il vole parfois, quand son corps ne lui hurle pas tout entier qu'il y a des gens, que c'est trop dangereux, que ça vit trop, qu'il va falloir parler et alors quelle langue sortira de ses lèvres ? Qu'est-ce qu'il pourra leur dire et quelle forme sa bouche, quelle forme son visage, comment les regards sur son corps ? Alors il profite de la vitesse de ses membres pour dérober au plus calme de la journée et de la nuit. Il se cache. Il absorbe les cultures et pique des livres par hasard. Il bouffe ses doigts et il danse, avec les loups mais surtout quand ils dorment. Grimpe dans les arbres pour observer. Observe ses tatouages et essaye d'y trouver un sens, cherche perpétuellement son identité. De l'argent, il ne se souvient pas d'en avoir déjà eu entre les doigts.
✤ Manies, habitudes & goûts Mordille les os pour se faire les dents, touche tout ce qu'il rencontre pour vraiment l'appréhender, dort enroulé dans la fourrure des loups, a développé plusieurs techniques pour allumer des feux sans faire trop de fumée, observe à l'arrachée des dialogues entre les divers créatures qui peuplent les environs et ne comprend pas grand chose, comprend sur les étiquettes de produits qu'il vole parfois qu'il ne sait pas lire. Il se lève tout seul vers cinq heures tous les jours et danse - c'est peut être inné mais il sent au fond qu'il faut bien l'entretenir, plusieurs heures par jour. La chasse c'est à la tombée de la nuit. Sa vision s'en affûte de jour en jour. Il aime mieux bouffer des poules que des cerfs, sang au cou et au menton. Il compte tout, à sa manière et dans son langage. Les arbres, les branches, les étoiles et les feuilles. Toujours sur le qui vive. Il ne sait pas quoi, il ne sait pas qui, mais "ils" ne doivent pas le prendre, ni lui ni les loups. Chaque élément d'une paysage une renaissance comme un indice d'une possible déchéance.
Il n'a jamais vraiment vu son visage depuis son réveil. Il ne sait pas exactement à quoi il ressemble.
✤ Convictions C'est là où ça se complique. Ça doit faire un an depuis son réveil de nouveau né, un an qu'il vit dans la forêt avec les loups, qu'il écoute perché des conversations entres des inconnus dont il ne sait pas s'ils sont humains ou pas et qu'il comprend à demi-mots. Il n'a pas d'opinion précisément parce qu'il ne sait pas exactement ce qu'il se passe. Il est né à ce monde il y a si peu de temps, il n'en connaît aucune ficelle. S'il s'était réveillé dans la ville peut être aurait-il pu émettre un avis mais comment émettre un avis sur ce qu'on a toujours connu ? Comment un type mutique qui ne connaît rien de lui ni du monde et qui vit avec des loups pour famille peut se mettre à juger une quelconque créature du monde, aussi mortifère qu'elle soit, ses crocs visés férocement dans la chair d'un sanglier ?
✤ Signes particuliers Tatouages et cicatrices - partout. Deux visages qu'il est incapable d'identifier, un sur chaque épaule. "Ira Aliyev" gravé sur la hanche - d'où il a déduit qu'il s'agissait de son nom. Quatre griffes sur le pectoral gauche et l'omoplate droite, un espèce de blason avec un aigle sur la main droite dont il n'a aucun souvenir (il découvrira peut être qu'il s'agit du symbole national russe). Une faucheuse à gauche du ventre (évidemment il ne sait plus ce que c'est, la faucheuse, il a oublié le symbole de la mort), un loup et un lion dans une sorte d'enclave grecque à droite (le drapeau tchétchène). Au milieu, une sorte de croix à multiples branches qui se recourbent, qui jouent sur le vide et le plein (le Kolovrat, un symbole païen slave représentant le soleil et donnant l'énergie). Une croix chrétienne (de ça il se souvient, de la croyance en un dieu, et même si les tenants et les aboutissants sont un peu flous il y croit) à l'intérieur du poignet droit. "Dirty money" à l'intérieur de l'index droit (d'argent il n'a pas touché), Achille en grec ancien sur le dessus de son pied droit. Plusieurs autres tatouages dans le dos qu'il n'a encore jamais vus (pas de miroir dans la forêt) - "Mad House" écrit au milieu du dos, une église ukrainienne à gauche, des gouttes de pluies tombant sur le mot "memories".

Des flashs de chiens qui gueulent, d'autres visages qui le regardent comme s'il détenait la vérité absolue sur ce qui se passera après. L'aiguille du tatoueur et ses propres rires qui résonnent. Sa main qui glisse un papier refourgué discrètement par un autre mec dans sa poche, etc, etc...Les images lui reviennent par soudaines visions qui s'emparent de lui, qui vont très vite et qui sont en couleurs trop contrastées. Qui lui pètent le crâne de migraines épouvantables contre lesquelles il ne peut rien faire d'autre que chercher l'obscurité et le silence. Alors, les loups qui accompagnent Ira veillent. Lèchent son front pour en enlever les plis d'agonie. Rien n'y fait. Ira recroquevillé par les migraines crée par ses mini flots de souvenirs récurrents perd son corps, sa capacité de danser. Ça le met dans un état de rage et d'impuissance qu'il ne comprend pas.
Le quotidien a été rapide à s'installer entre Ira et les loups. Après s'être découverts les uns les autres (le jeune homme a de fortes raisons de croire qu'ils ont été témoins de ce qui a causé sa perte de mémoire et déplore leur incapacité à parler clairement), avoir compris le respect mutuel et le désir de vivre en meute, tout s'était mis en place. Il avait découvert son corps et ses capacités extraordinaires en voulant les suivre à la chasse et ensuite c'était devenu une drogue - danser, danser tous les jours sinon avoir la sensation que tout est perdu.
Le nez qui saigne assez souvent et trop abondamment - le contre coup des migraines et, il l'apprendra plus tard s'il se met à se blesser, d'une légère hémophilie. Les loups qui observent poliment et généralement se détourne comme on se détourne d'un paquet de gâteaux parce qu'on fait un régime. Que se passera-t-il en cas de disette, de manque d'animaux à tuer dans la forêt ?
Ira Aliyev. Ira Aliyev. Ira Aliyev, il répète souvent, tout bas entre ses dents. Pour s'en souvenir, de son nom, et pour tenter de se rappeler du passé. Il n'a pas peur qu'il lui échappe pour toujours puisqu'après tout c'est gravé sur sa hanche, il a juste peur d'oublier la prononciation qui lui reste encore sur le bout de la langue comme un rêve de sa vie passée.
Les indices de cette dernière, semés sur son passage, sur sa peau et dans son nouveau quotidien. D'abord le papier superbement recouverts de dessins angoissants et sublimes au milieu desquels est griffonnée à la hâte deux dates: le 6 août 2015 et le 19 septembre 2016. Il ne sait pas à quoi cette date correspond d'autant plus qu'il ne connaît pas la date actuelle et n'est pas bien sûr de l'année. Est-ce que c'est des événements auxquels il a déjà participé, ou deux événements futurs ? Est-ce un événement passé et un rendez vous organisé futur auquel il ne peut pas couper et qui peut être lui offrira des explications ? C'est aussi pour ça qu'il rôde de plus en plus près de Shreveport. Ne serait-ce que pour obtenir une date précise. Il y a les tatouages aussi, qu'il essaye de déchiffrer mais se trouve dans une impasse. La tête de loup, surtout, l'interroge. Est-ce qu'il a toujours vécu avec les trois animaux ? Un pensum, une obscurité presque absolue. Son cerveau lui même qu'il a beau triturer dans tous les sens se refuse pour l'instant à lui.