✤ Traits de caractères S’il y a bien un truc qu’il faut retenir, c’est que tu es chiant. J’ai rarement vu des mecs comme toi, aussi borné. Comme disait ta mère : "lorsque tu as une idée dans la tête, tu ne l’as pas ailleurs", ce qui, tout bien réfléchi, est assez logique en fait, mais tu comprends l’idée. Tu ne fonctionnes que selon deux modes : l’obsession ou l’indifférence. Un sujet ne pourra que te passionner ou t’ennuyer. Malheureusement, lorsque tu t’enflammes, plus personne ne peut te calmer. Et certaines obsessions sont absurdes. Tiens, l’hygiène par exemple. Tu sais que, en tant que Marqué, tu ne tomberas probablement jamais malade, et pourtant, tu es un maniaque de l’hygiène. Tu ne sors pas sans ton désinfectant et tu ne rechignes jamais à faire des heures de nettoyage. Vivre dans le bordel t’est insupportable, même si tu tolères plus le désordre que les germes. Mais malgré ce côté un peu rigide, les gens t’aiment bien. Tu as l’air gentil et serviable, bien que tu ressentes principalement de l’indifférence envers eux.. S’ils savaient que tu les jaugeais tous, que tu épiais leurs dossiers médicaux, que tu calculais s’ils feraient un bon repas pour les vampires… Mais non, tu ne montres que ton côté affable, agréable.  Malgré ton obsession pour le fameux liquide rouge, tu es loin d’être un type sanguin. Tu es de nature assez calme, tu accueilles la plupart des réactions avec flegme. Peu de choses te font sortir de tes gonds. Mais un sujet te fera toujours réagir, celui de Louise. Tu ne peux supporter qu’on lui manque de respect, et encore moins que l’on se permette de la critiquer. Pour toutes autres discussions, tu peux feindre l’indifférence, ou réellement la ressentir, mais tu ne laisseras jamais passer un mot sur Louise.

✤ Occupation nocturne Tes journées sont organisées autour de Louise et de son cycle de vie particulier à sa nature. Tu passes tes après-midi au laboratoire où tu es employé. Tu adores ton boulot et seule la pensée que Louise t’attend peut t’en sortir. En tant que technicien d’analyses biomédicales, tu effectues les prélèvements sur les patients, tu t’occupes des machines et des instruments. Ta spécialisation en hématologie te permet te laisser les fluides moins nobles à tes collègues. De toute façon, tu es tellement bon dans tes analyses que personne ne songerait à te confier autre chose que du sang et que le biologiste responsable du labo te laisse écrire les rapports et ne fait que vérifier rapidement tes notes. Grâce à ta proximité avec le sang, et avec les vampires, tu t’es créé une petite clientèle. En l’échange d’informations pour Louise, tu leur fournis du sang ou tu leur désignes des calices volontaires, voire des cibles potentielles, que tu pioches parmi tes patients au sang clean. A la tombée de la nuit, tu rejoins Louise dans sa maison au sud de la ville. Elle t’envoie parfois en mission à travers la ville, pour récolter des informations, pour tisser des liens… Dans ce but, mais aussi pour parfaire ton hygiène de vie, tu passes du temps au Fighter. Tu y suis des cours de boxe et tu en profites pour laisser tes oreilles traîner, entre les entrainements de la police et les combats de CESS. Tu partages ton temps libre entre le sport (tu pratiques activement la natation et la boxe) ; les analyses supplémentaires, par plaisir, au labo, dont tu as les clefs ; et avec Louise, bien entendu. Le matin, tu dors. Ton corps n’a jamais eu besoin de beaucoup de sommeil, et tu en profites.

✤ Manies, habitudes & goûts
❖ Tu as la manie ennuyeuse de vouloir tester le sang de tout le monde. Dès que tu as cinq minutes devant toi, tu sors ton nécessaire et tu leur prélèves du sang, que tu analyseras, avant de leur conseiller les compléments qu’ils leur manquent.
❖ Tu as gardé la sale habitude de te scarifier. Tu le fais bien moins que lorsque tu étais enfant, mais lorsque tu t’ennuies, tu te surprends à lacérer machinalement tes avant-bras.
❖ Tu n’as pas honte de tes cicatrices, mais lorsque tu as des plaies à vif ou trop récentes, tu enfiles une chemise à manches longues, plus pour éviter les questions envahissantes que par envie réelle de les cacher.
❖ Tu as une hygiène de vie exemplaire. J’ai rarement vu quelqu’un qui prenait autant soin de son corps, mises à part tes scarifications régulières. Tu fais du sport, tu surveilles ton alimentation, tu testes ton sang au moins une fois par semaine. Un vrai toqué.
❖ Tu cuisines toi-même tous tes plats, en mesurant leur teneur en protéines, en calories… au gramme près. Tu es à l’aise aux fourneaux et tu aimes ça. Il n’est pas rare que tu laisses des plats chez Louise, à l’intention des humains y vivant.
❖ Tu réponds à ton prénom lorsqu’il est prononcé à l’anglaise. Seule Louise a le privilège de le prononcer à la française. Si d’autres s’y essayaient, tu les ignorerais probablement. Ceux qui t’appellent Gaby le font à leurs risques et périls.
❖ Tu bois une quantité astronomique de liquide. Généralement de l’eau ou du thé, pour compenser les pertes de sang, et parfois de la caféine ou des boissons énergisantes pour les journées trop longues, même si tu tentes d’en user en dernier recours. Tu détestes le café et le Redbull ou boissons comparables ne sont que des concentrés chimiques que tu te forces à avaler.

✤ Relations avec votre vampire Louise t’a avant tout marqué pour t’utiliser. Cela, tu as toujours choisi de l’ignorer. Depuis toujours, tu penses qu’elle partage la fascination que tu as pour elle. Mais si, pour toi, elle est spéciale et unique, tu es loin d’être comparable. Tu n’es qu’un pion, qu’elle bouge sur l’échiquier de ses stratégies. Les Marques, elle te les a prodigué parce que tu étais un élément efficace de son armada de Marqués. Mais depuis le massacre de 2007, auquel peu ont réchappé, tu es devenu le plus vieux Marqués. De cette situation, tu as tiré profit, te rapprochant de Louise jusqu’à partager ses secrets, ses stratégies. Mais cette relation est à un sens. Tu écoutes patiemment Louise, tu lui passes ses caprices, tu lui offres ton assistance. Mais jamais elle n’écouterait les banalités que tu raconterais, ni même les conseils que tu oserais lui confier. Tant que tu peux être auprès d’elle, tu te fiches de n’être que le jouet d’une égoïste. Peu t’importe d’être rabaissé au rang de calice lorsqu’elle a envie de sang, tu es heureux de lui offrir le tien. Aucune corvée ne te sera insupportable, aucune tâche ne sera ingrate, tant qu’elles te permettent d’être près de Louise.

✤ Convictions Même si tes parents ne croyaient en rien, tu es né dans la superstition et les mythes. Les histoires de fantômes sont au cœur du folklore de ta ville natale. Et bien que la plupart ne s’en serve que comme outil de tourisme, certains y croient encore. Alors, quand les sbires de Louise t’ont tout appris de la face cachée du monde, tu n’étais pas vraiment surpris. Pourtant, la Révélation t’a bouleversé. D’abord, c’est la jalousie qui t’a envahi. Tout le monde allait avoir accès aux secrets les mieux gardés de l’humanité. Soudainement, tu n’étais plus privilégié, tu allais devoir partager avec des milliards d’autres êtres humains. Alors, tu chéris les secrets qu’il te reste. Tes collègues, les gens que tu fréquentes… presque personne ne sait que tu es Marqué. Bien que tu sois fier de ta nature, de tes choix, tu n’en parles pas. De toute façon, le système est biaisé. Si un jour, tu te résous à partager tes secrets, tu sais que tous te jugeront. Tu ne seras plus qu’une pute à vampire, un servant lobotomisé. Tout ce que tu peux faire, c’est tenter d’ouvrir les esprits, de changer les mentalités. Tu ne t’avances jamais trop, mais tes proches savent que tu es tolérant, que tu tentes de briser les préjugés que les CESS trainent comme des boulets.

✤ Signes particuliers Tu parles anglais avec ton accent du Yorkshire, personne ne pourrait te prendre pour un américain. D’ailleurs, tu es très mauvais pour camoufler ton accent. Tu parles un français grammaticalement parfait, mais ta prononciation laisse parfois à désirer.
Tes cuisses et tes avant-bras sont emplis de vieilles cicatrices de scarification, ainsi que de quelques récentes. Tu as le tatouage d’une molécule d’adrénaline sous ta clavicule.

Tu as toujours été un garçon sage. Tu as toujours fait ce que l’on te disait, pendant les douze premières années de ta vie. Alors pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu provoques ce gamin ? Il te lance un regard hargneux et tu sais que tu vas prendre un coup. Mais c’est ce que tu recherches, n’est-ce pas ? Les autres élèves commencent à vous entourer, excités par le spectacle. Tu lui lances une autre pique, pour être sûr qu’il ne se détourne pas. Insulter sa mère, c’est pas vraiment une idée intelligente. Mais c’est efficace. Tu n’as pas le temps de réfléchir à une autre provocation, déjà il se jette sur toi, sous les exclamations de la foule d’enfants qui vous encouragent. Vous roulez, pêle-mêle, sur le gravier de la cour de récréation. Tu sens la griffure du goudron sur ta peau, mais ce n’est pas suffisant. Tu veux plus. Tu lances ton poing, un peu au hasard, mais tu sens qu’il percute quelque chose. Une joue peut-être. Un genou heurte ton estomac, te coupant le souffle. Il en profite pour reprendre le dessus, pour se percher sur ton ventre, pour t’assommer en s’acharnant sur ton visage. Tu sens une explosion dans ta bouche. Oui, ça y est. Entre deux coups, tu craches un filet de sang. Il est là. Un sourire illumine ton visage. Tu lui fais peur, à l’autre gamin, tu le sais ? Il tente d’effacer ta mine réjouie en l’enterrant sous ses coups. Mais déjà, c’est terminé. Un surveillant perce la barrière d’enfants pour vous séparer. Le poids sur ton ventre s’évanouit quand ton adversaire est tiré en arrière, te libérant de son emprise. Tu te redresses lentement et craches une dent de lait dans ta main. Fasciné, tu examines ses nervures et la goutte de sang qui trône sur l’émail. Tu pousses un cri quand elle t’échappe. Un deuxième surveillant t’a attrapé par le col et tente de disperser le cercle d’enfants. Tu sais où il t’emmène. Tu adores l’infirmerie.

L’infirmière t’observe, pas vraiment surprise de te voir apparaître une fois de plus dans son antre. « Tu vas te faire expulser si tu continues. » Ton œil curieux fait le tour de la pièce, que tu connais presque par cœur. Tu cherches toujours la même chose, les seringues, les scalpels, les instruments plus intéressants que les gants en plastique posés négligemment sur la table. Tu n’oses pas demander une nouvelle fois où ils sont rangés, même si ton obstination atteint des limites. L’infirmière répond à chaque fois, de plus en plus agacée, qu’elle n’a pas de tels ustensiles, mais tu sais qu’ils sont cachés quelque part. Quand tu reportes enfin ton attention sur elle, elle arbore un air pensif. Elle ne sait pas ce qu’elle va faire de toi. Tu ne sais pas ce que tu risques en agissant de la sorte. « Je sais. D’habitude je trouve d’autres moyens, mais là, j’avais trop envie. » Tu relèves ta manche, presque fier de montrer ton astuce. Sur ton avant-bras, tu commences une collection de cicatrices rouges, toutes alignées parallèlement. Tu ne vois pas le regard horrifié de la femme. « Pourquoi tu fais ça ? » Elle a raison, pourquoi tu fais ça ? J’aimerais bien le savoir moi aussi. Mais toi, tu ne comprends pas la question, cela te parait évident. Mais ce n’est pas grave, tu lui pardonnes, même les grandes personnes ne savent pas tout. « Ma maman dit qu’il faut connaître son corps. » D’un doigt, tu fais un geste pour te désigner, des pieds à la tête, avant de pointer ton bras lacéré. « Je veux voir ce qu’il y a dedans. » Le sang. Tu veux voir le sang. Tu veux comprendre comment il marche, où il va, et surtout, pourquoi il est caché. Il est tellement magnifique, tellement coloré, tellement vivant. Pourquoi devrait-on vivre sans le voir ? T’es cinglé, petit, tu le sais ? Elle le pense aussi, mais tu ne le vois pas.
Ce n’était pas très malin de se vanter de la sorte auprès de l’infirmière. Depuis, tu as vu des hôpitaux, des psychologues, des pédopsychiatres. Mais rien n’y fait. Une fois, ils ont essayé de t’attacher les mains pendant la nuit, pour que tu arrêtes de te faire du mal. Mais j’ai vu ton frère se glisser dans ta chambre, te libérer, et se serrer contre toi pour te réconforter. Il est trop gentil trop frère. Quand tu le supplies de te cogner, de te griffer, de te couper, il finit toujours par t’obéir. En dernier recours, désespérés par tous les échecs, tes parents t’ont changé d’école.  Et tu ne le sais pas encore, mais tu vas faire une rencontre là-bas.

Tu erres dans les couloirs de l’école, sans but. Depuis qu’on t’a interdit l’accès à la cour de récréation quand les autres élèves l’occupent, tu ne sais plus quoi faire. Tu as déjà percé la peau de ta cuisse à l’aide de ton compas, assis sur la cuvette des toilettes. Tu as regardé la goutte glisser lentement, tu as observé le sang qui coagulait sur ta peau, tu as noté les changements de couleurs alors qu’il séchait. Lorsqu’il a pris la teinte rouillé d’un vieux clou, tu as frotté frénétiquement ton derme pour faire disparaître cette couleur si morte. Tu as quitté la pièce, presque à regret, et depuis tu traînes les pieds dans les couloirs. Attiré par l’écho d’une voix, tu t’approches jusqu’à la porte entrebâillée d’une salle de classe. Un coup d’œil à l’intérieur te permet de voir un professeur gesticuler devant une foule attentive d’élève. Fasciné, tu te glisses dans la pièce et te pose sur une chaise au fond de la pièce. Les autres élèves sont trop absorbés pour te prêter attention, mais tu sais que le professeur t’a vu, même s’il fait mine de t’ignorer. Devant son auditoire, il s’agite, s’aide de craies pour dessiner au tableau un cœur immense. Pas le genre de cœur que tu as l’habitude de dessiner, pas celui, trop simpliste, que s’envoient tes camarades dans les petits mots qui passent dans les rangs. Non, un vrai cœur, avec ses ventricules, ses artères, sa chair dégoulinante. Tu l’entends presque battre et faire écho au tien, caché au fond de ta poitrine. Armé de craies colorées, le professeur mime le labyrinthe de veines à travers le corps, gribouille en bleu le sang, qui ressort écarlate au sortir des poumons. Tu bois les paroles dans un silence religieux. La sonnerie retentit, les élèves rassemblent leurs affaires et sortent dans le brouhaha, mais rien ne peut te sortir de ta contemplation du tableau. Une deuxième classe prend place et le manège recommence. Tu sais que, quelque part, un professeur note ton absence, mais tu balayes vite l’idée. Tu ne souhaites pas être ailleurs qu’ici.

A la fin de la journée, le professeur s’assoit à tes côtés. Il observe les notes que tu as prises lorsque la troisième session a commencé, scrute ton regard fiévreux, regarde les cicatrices qui parsèment tes bras. Il te connait. Tout le monde connait ce petit gamin dérangé dans l’école. Mais lui, il te comprend. Il voit quelque chose en toi, quelque chose que personne ne voit, pas même moi. Il passe un marché avec toi. Si tu arrêtes de te faire du mal, il t’enseignera ce que tu veux savoir. Des années durant, il t’apprend le fonctionnement de ton corps. Il te fait rire quand il gonfle sa poitrine pour démontrer la respiration. Il absorbe ton attention lorsqu’il pique la pulpe de son doigt pour examiner le sang sous le verre grossissant d’un microscope ou lorsqu’il te montre comment placer deux doigts sur ton poignet pour sentir le rythme de ton cœur à travers ton pouls. Il t’accompagne dans tes choix, dans tes devoirs, dans tes faiblesses. Il panse tes bras et te pardonne lorsque tu passes la lame de rasoir contre ta peau malgré ta promesse. Il te défend auprès des autres professeurs, il aide tes parents à choisir un lycée pour toi. Plus tard, il te conseille quand tu questionnes ton avenir. Grâce à lui, tu intègres le programme de ton choix après le lycée. Il te le promet, dans quelques années, tu travailleras dans un laboratoire d’analyse biologique médicale. Le titre te fait rêver.

Tu agites l’aiguille devant Neal, l’air exaspéré. Il t’en veut. Il ne pensait pas que tu le ferais venir à l’école pour ça. « Regarde, elle est minuscule. Tu veux que je loupe mon exam ou quoi ? » Tu sais que ton frère ne résiste pas à tes caprices, mais l’idée d’être le cobaye ne l’enchante guère cette fois-ci. Pourtant, il n’y a pas à avoir peur. Tu t’es déjà entrainé des dizaines de fois sur toi, et encore plus sur les mannequins, à l’école. Mais si tu veux réussir ton examen, il faut que tu saches faire des prises de sang sur quelqu’un d’autre que toi, bien que cela puisse t’attirer l’admiration des examinateurs. Tu attrapes son bras, décidé à aller jusqu’au bout. « Je pique à trois, okay ? » Neal ne répond pas, mais tu sens son assentiment presque forcé. Tu comptes à haute voix. Un… A deux, tu plantes l’aiguille dans la veine, alors qu’il réprime un hoquet de surprise. « Tu vois, ça fait pas mal. Froussard. » Il fait la moue, puis lâche : « Sadique. » Mais il ne peut pas t’en vouloir. Déjà, il esquisse un sourire. Et puis, tu avais raison, il n’a rien ressenti. Tu piques déjà comme un expert. Tu remplis quelques tubes avant de le laisser partir. Tu le rejoindras pour le diner de famille, tu veux d’abord faire quelques tests sur ce sang fraichement prélevé. Il vaut mieux être sûr que ton frère est en bonne santé, et l’examen d’hématologie approche, un peu de révisions ne peut pas te faire de mal.

Tu attends devant la porte de la maison, à faire un pas en avant, un pas en arrière, à triturer tes mains, à esquisser un geste pour frapper, à reculer. Qu’est-ce que tu fais ? C’est chez tes parents, c’est presque chez toi. Tu as beau avoir un appartement plus près de ton école, tu reviens là tous les week-ends. D’ailleurs, quand tu dis "chez moi", tu penses à cette maison. Mais soudainement, tu te sens comme un étranger. Pourtant, tu te décides. Tu entres sans frapper, tu quittes tes chaussures, tu ranges ton manteau, comme tu l’as fait des milliers de fois dans ta vie. Tu entends ta mère arriver, tu te laisses faire alors qu’elle t’embrasse, qu’elle commente ta chemise froissée, qu’elle te guide jusqu’à la table. Neal et ton père sont déjà assis devant le repas. Tu t’assois et Neal en profite pour se plaindre de ta piqure, en exhibant le ridiculement petit pansement sur son bras. Tu ne dis rien. Du bout de ta fourchette, tu remues le steak dans ton assiette. Neal te jette des regards inquiets, mais tu les ignores. Ou tu ne les voies pas, peut-être. Tu sais à qui tu aimerais parler tout de suite. Mais tu ne peux pas compter sur le professeur toute ta vie. Malgré ton air absent, ta mère bavasse et ton père commente le match qui passe à la télé. « Pourquoi ? » Le mot t’a échappé, mais tu es presque soulagé de l’entendre sortir. Il faut en finir, crever l’abcès. Ton père s’enflamme. « Pourquoi ? Parce qu’ils ont mal joué pardi ! » Son regard ne quitte pas l’écran. Neal te dévisage, cherchant à savoir ce qu’il te prend. Tu te baisses et ramasse le dossier que tu as rapporté du labo de l’école. Tu le jettes négligemment au milieu de la table, entre la bouteille de vin et le plat de haricots. Un coin trempe dans la sauce, qui remonte doucement le long du papier. Sur la feuille, tu as entouré le groupe sanguin de Neal. A côté, ta carte de donneur trône au sommet de la corbeille de pain. Ton père détache enfin son regard de la télévision, hésitant entre stupeur muette et colère. « Je sais que vous êtes pas très calés en hémato, mais je vais faire simple. En gros, avec nos groupes sanguins, c’est pas possible qu’on soit frères, Neal et moi. » Tu déclames ça d’un air calme, mais on sent les trémolos dans ta voix. Même moi je ne saurais dire si tu es au bord des larmes ou si tu vas exploser de rage. Tu hésites sûrement entre les deux. Le silence s’installe, dans un moment presque surréaliste. Ta mère s’est arrêté en plein geste, la fourchette à mi-chemin de sa bouche. Ton frère a les yeux tellement écarquillé qu’on dirait un poisson hors de l’eau. Ton père passe d’une expression à l’autre plus vite qu’un mime en spectacle. Dans ce calme avant la tempête, tu peux prendre le temps d’observer leur ressemblance à tous. Jamais elle ne t’avait frappé aussi fort que maintenant. Pourtant, tu as les mêmes yeux bruns, les mêmes mèches foncées que ta mère. Tu as les mêmes traits grossiers que ton père. Un instant, tu imagines que tu es vraiment leur enfant, que c’est Neal qui est la pièce rapportée. Mais non, son ascendance est indéniable. Si tu partages quelques traits avec tes parents, Neal est leur portrait craché. Quand le tonnerre éclate enfin, tu ne peux percevoir qu’une phrase entre les pleurs de ta mère, les hurlements de Neal et les excuses de ton père. « On voulait te le dire… » D’un geste tremblant, tu te lèves, tu attrapes tes affaires, et tu fuis. Tu sais, c’est pas vraiment de leur faute. Ils ont toujours voulu te le dire. Mais, gamin, t’étais vraiment dérangé, ils voulaient sûrement pas aggraver ton cas. Et puis, tu as commencé à aller mieux, et ils ne voulaient pas briser ce que tu construisais. Mais tu te fiches des excuses. Tu te réfugies dans ta voiture, tu t’éloignes aussi vite que tu peux, tu te caches dans ton appartement. Tu sais que, le lendemain ou peut-être même le soir même, Neal viendra taper à ta porte.

Tu finis tes études dans un climat orageux. Neal fait la navette entre toi et tes parents, il fouille le passé, tente de comprendre ce qui est arrivé. Il t’explique que, après tant de tentatives infructueuses, tes parents pensaient ne pas pouvoir avoir d’enfants. Ils t’ont adopté, alors que tu n’étais encore qu’un bébé. Et puis, cinq ans plus tard, ta mère est tombée enceinte, comme par miracle, alors que plus personne ne s’y attendait. Il tente de te faire comprendre que, d’une certaine manière, c’est toi l’enfant désiré, et c’est lui l’enfant surprise qui leur est tombé sur les bras. Tu essaies de faire la sourde oreille, mais tu ne peux pas ignorer ce qu’il te dit. Tu sais que tu les aimes, tu sais que tu es leur enfant, tu te fiches de la génétique ou d’un stupide groupe sanguin. Ce sont les mensonges que tu ne digères pas. Mais tu es bien trop têtu pour faire le premier pas. Tu as un orgueil mal placé et un égoïsme puéril qui te dictent de les blesser comme tu as été blessé. Pourtant, tu es en train de guérir. Tu sais que tu es un imbécile, mais tu n’avances pas. Pas dans la bonne direction. Quand tu reçois enfin ton diplôme, près d’un an après cette fameuse soirée, tu as pris ta décision. Tu veux avancer… vers l’arrière. T’es plein de paradoxes, toi. Tu vas te plonger dans le passé avant de pouvoir te tourner vers l’avenir. Neal t’a aidé à réunir toutes les informations disponibles, malgré le mutisme de vos parents, mais il y en a peu. Tout ce que tu sais, c’est l’âge de ta mère biologique, son prénom et le fait qu’elle ait fuit vers la France après t’avoir abandonné. Abandonné. Tu devrais vite rayer ce mot de ton vocabulaire. Elle était jeune, si jeune… Même toi tu devrais t’en rendre compte. Neal part avec toi et vous vous envolez pour Paris. Très vite, vous vous rendez compte que c’est un travail de longue haleine qui vous attend. Mais si ton frère avait beaucoup d’espoir, toi tu savais que vous n’alliez pas y arriver en un claquement de doigt. D’ailleurs, tu as tout prévu pour t’installer durablement en France. Un appartement loué vous attend près de Paris et tu as déjà envoyé ta candidature à tous les laboratoires de la région. Heureusement, tu n’es pas mauvais en français. Après quelques semaines de recherche, tu es déjà engagé dans un labo parisien. Petit à petit, Neal sent que tu perds ton objectif de vue. La tâche est fastidieuse, mais il n’abandonne pas, alors que tu t’adonnes à la vie parisienne et que tu t’enterres sous le travail. Tu as perdu espoir de retrouver un jour ta mère biologique. Ou plutôt, tu abandonnes les recherches délibérément. Tu sais qui sont tes parents, tu sais d’où tu viens, qui fait partie de ta vie. Mais tu ne veux pas non plus admettre tes erreurs et retourner bredouille auprès de tes parents. Putain de tête de mule. Alors, tu te noies sous le travail, tu enchaines les nuits au labo, tu gagnes des responsabilités. Ton français s’améliore, même si ton accent te trahira toujours. Et puis, un jour, ou plutôt une nuit, elle est apparue. Elle te propose un boulot, et tu ne sais pas trop pourquoi tu as dit oui. De toute façon, ça ressemblait plus à un ordre qu’à une offre. Tu veux faire plaisir à cette femme et tu acceptes toutes les missions qu’elle te confie. Tu donnes des sacs au contenu mystérieux à des hommes de passage au labo contre des papiers ou des messages oraux que tu dois relayer. Tu livres parfois des paquets à travers la ville. Lorsque les demandes deviennent plus étranges, tu hausses les épaules. Rien n’est trop fou pour elle. Tu diffuses la liste des patients du labo à ceux qui la demande, tu prélèves du sang plus que nécessaire pour le confier à des hommes. Neal se rend compte que tu as abandonné les recherches et tente de te raisonner. Tu prétextes l’arrivée prochaine de sa rentrée scolaire pour le renvoyer chez vos parents. Enfin seul et sans distraction, tu passes le plus clair de ton temps à faire les quatre volontés de la femme. Lorsque tu ne remplis pas des missions pour elle, tu la cherches dans la ville, tu tentes de la suivre, de la retrouver lorsqu’elle t’échappe… Tu es pathétique. Tu ne sais même pas après qui tu cours.

Et un jour, tu n’as pas à la chercher, c’est elle qui vient à toi. Tu as sûrement bien fait ton travail, puisqu’elle t’offre une récompense. Un cadeau, empoisonné peut-être, même si tu n’as jamais eu l’air de le regretter. Tu ne comprends pas tout, mais tu te laisses faire. Tu lui fais trop confiance… Tu cilles à peine lorsqu’elle te mord et encore moins lorsqu’elle te fait boire son sang. Boire du sang… malgré toutes tes obsessions, cela ne t’avait jamais traversé l’esprit. Pourtant, tu en as eu des idées saugrenues. L’espace d’une demi-seconde, tu paniques à l’idée de boire un sang que tu n’as pas testé. Et si elle était malade ? Et si elle te transmettait une infection horrible ? Mais t’es bien trop con pour y songer plus longtemps. L’obsession que tu as développée pour la femme te cloue le bec et tu ne peux que la regarder avec une expression béate. Mais déjà elle te quitte. Tu tentes de la retenir, mais tu ne peux que glisser lentement sur le sol, comme un pantin dont on aurait coupé les fils. Deux hommes entrent et te ramènent chez toi. Dans l’état où t’es, t’aurais jamais pu y arriver seul. Mais ils ne sont pas là que pour faire les chauffeurs. Ils te soutiennent jusqu’à ton canapé et te racontent une fable que tu as peine à croire. Et pourtant, cela explique beaucoup de zones d’ombres, beaucoup de détails que tu as occulté, sciemment ou selon la volonté des créatures qui se cachent. Mais désormais, tu es Marqué. Tu es sous la protection de Louise. Tu n’es plus aveugle, tu commences à ouvrir les yeux, guidé par tes semblables. Tu découvres le réseau de ta maîtresse, une gigantesque toile au centre de laquelle elle bouge ses pions, ses Infants, ses Marqués. Tu es loin de faire partie du saint des saints, mais tu t’en approches un peu plus chaque jour. A la force de ta volonté, tu te hisses toujours plus haut pour gagner les faveurs de Louise, jusqu’à gagner un semblant de sa confiance et la deuxième Marque. Cela fait désormais deux ans que tu écumes les rues de Paris, et plus de trois que tu as quitté la maison familiale. Tu n’as pas oublié, n’est-ce pas ? Pourtant, il a fallu un voyage de Neal pour t’ouvrir les yeux. Lorsqu’il apparait devant toi, tu contemples ces années d’un air ébahi. Cela te paraissait être la veille que tu claquais la porte de tes parents pour fuir lâchement. Tu fais tes valises. Il est temps que tu te réconcilies avec tes parents, cela fait bien trop longtemps que tu repousses ce moment. Tu te présentes à Louise pour lui annoncer ton départ. Tu reviendras, mais tu ne sais pas quand. Elle, elle le sait. En fait, tu ne partiras jamais. Cette partie de l’histoire, tu l’as oublié. Tu sais que Louise a le don d’imposer sa volonté, puisque tu as toi-même hérité d’une partie de ce talent, mais tu ignorais que c’était plus subtil, et bien plus puissant. En quelques minutes, l’existence de tes parents disparait de ta mémoire. Dans tes souvenirs falsifiés, tu apprends la mort de ta famille lors de ton séjour en France. Ta mère, ton père, ton frère… plus besoin de revenir vers eux, puisqu’ils ne sont plus. Tu as tout oublié, mais si tu pouvais, tu défendrais sûrement Louise, en disant qu’elle n’avait pas le choix, qu’elle avait besoin de toi. Mais tu sais quoi, je pense qu’elle ne voulait juste pas que tu partes. Pas pour toi, non. Des comme toi, elle en a des centaines. Juste pour le principe. Tu lui appartiens et tu ne la quitteras jamais. Mais de toute façon, c’était ton intention depuis le début, hein. Taré. Libéré d’un poids, mais empli d’un deuil factice, tu reprends de plus belle ton travail au service de Louise. Et tout était parfait… jusqu’à l’arrivée de la Révélation et du massacre.