✤ Traits de caractères
Du venin, qui coule entre les lippes, qui s'écrase sur le tee-shirt. De la bave et du sang peut-être. Des tas de sécrétions dont on ignore pour la plupart la provenance et elle se tient immobile. Immédiate. Entre deux pôles, entre deux veines. Une langue fourchue, tendue, prête à surgir au moindre bruit et des neurones en vacances. Elle respire, à peine. De quoi sustenter son organisme frêle, son être démantibulé ; bon à lâcher aux chiens affamés. Entre trois coups de crocs pointus, des gueules grandes ouvertes et ses gémissements qui perforent l'acte. Sainte amochée. Une cinglée, une putain dégénérée sans armes et sans désirs. Juste celui de ne plus rien voir, de sentir surtout. Toujours. Une obsédante fantaisie de percevoir sans apercevoir jamais. Elle se perd. Elle se perd selon son bon vouloir, selon ses convoitises. Selon ses besoins ; la frénésie. Nulle ambition si ce n'est celle de s'accrocher le plus longtemps et crûment possible à la vie. Non-vie, c'est exact. Juste de quoi couvrir le drame qu'elle renouvelle, selon ses humeurs et ses fantasmes. Assez pour ne plus imaginer la moindre lumière au bout d'un quelconque tunnel. Mise sous tutelle, familles d'accueils, et des fugues à ne plus savoir compter sur les doigts. Un, deux, trois, six. Elle respire, encore. Et la réalité disparaît. Bouchon de champagne planté dans un plafond si haut, tellement haut, invisible, impossible, aux tâches d’humanité, humidité, aux toiles d’araignées suspendues. Elle se marre, quand il faudrait pleurer ; et les larmes trop rarement irriguent ses rétines sèches à devenir aveugle. Aveugle et sourde et pleine de rancœurs vaines. Elle existe, dans un cosmos purulent de conneries. Dans un monde inventé de toutes pièces par cet esprit maniaco-dépressif qu'elle traîne derrière elle tel un gros boulet. Poppy est une crampe à la jambe, une saleté dans l’œil, une tumeur à la tête, un point de côté quand il faut fuir. L'écorce d'un arbre qui vous écorche la paume de la main. Acide et méchante. Douce et puis mutine. Une enfant sauvage, une enfant acharnée, une fille à ne pas approcher, fréquenter. Une pétasse à ignorer. Une étreinte amoureuse qui vire à l'adieu, peut-être un plateau de charcuterie si l'envie lui en dit. Des viandes qui se superposent, une odeur insupportable, qui prend au nez, qui étouffe. Donne, confisque, dégueule. Les mots manquent et les images, elles, deviennent de plus en plus nombreuses, oppressantes, affolées. Elles deviennent vérité pure, mensonge merveilleux.
✤ Occupation nocturne
Elle ne fait rien.
Elle accepte – presque – tout. Une frimousse qui s'ennuie, une attitude qui n'impressionne personne. Qui attire, il se peut. Quand la brume matinale déverse sa mélancolie à travers la ville, qu'il ne reste plus que des souvenirs et des regrets à l'esprit. Les courbes ridicules qui s’arquent et s'entrelacent, Poppy est une nymphe sans cours d'eau. Desséchée sur le bas-côté à attendre qu'une voiture la percute, l'écrase, lui défonce sa mignonne petite tronche sur la chaussée. Mais ça n'arrive jamais. Jamais comme elle le souhaiterait. Crinière brune et longue et emmêlée. Un nez de bande dessinée et des lèvres incurvées. Une gorge gracile et une nuque bonne à briser. Blanche, si blanche qu'on la soupçonne fantôme, apparition, muse oubliée. Poppy est le mensonge des siècles et des millénaires passés. Un individu parmi tant d'autres, dont la triste existence laisse à supposer que la solitude est un crime, ou que pareille bestiole devrait être enfermée. Écartée. Soustraite de l'attention du commun des mortels au risque de la perturber dans sa contemplation du vide et des néons.
Elle n'est pas malheureuse, Poppy. Elle attend. Elle attend que quelque chose se passe, se disloque, qu'un grain de sable flingue le bon fonctionnement du monstre mécanique, de chairs et de consciences aussi. Elle patiente dans l’intolérable mutisme qui la caractérise, la matière grise clapotant au sein d'une boîte crânienne sûrement ramollie. Car il est vrai que Poppy appréciait les pilules et les gélules et les pochettes surprises. Poppy, elle aimait par-dessus tout le jus de vampire. Et le peu d'argent déposé entre ses doigts, disparaissait aussitôt dans un miasme écarlate et pâteux, qui sur sa langue rose et humide s'étalait et s’épanouissait. Mais maintenant, c'est fini.
Fini.
Car le jus du vampire est dans ses veines et ses douloureuses envies l'obsèdent. Poppy ne se souvient pas tellement de son passé et elle imagine ne pas avoir d'avenir. Il demeure toutefois un truc qu'on ne pourra lui arracher : ses dépendances. Alors, la jolie sirène se nourrit de junkies. De poivrots. De déchets humains. Humains et puis vampires. Et si on lui disait que c'est mal – très mal ! – de mordre ses semblables, de les ravager, de les dévorer comme une bête sauvage ; Poppy hausserait les épaules. Poppy ne fait que bouger ses délicates clavicules puisqu'elle n'y comprend rien. Rien du tout. Et la soif est devenue sa seule amie.
Poppy, si elle n'est pas malheureuse, c'est parce qu'elle a réussi a trouver, ouais, elle a trouvé – elle a trouvé le moyen de s'évader. De s'échapper très loin d'ici.
Aujourd'hui, on pourrait la dire cannibale. Muse, jolie muse cannibale. Car son prochain est un potentiel repas. Un substitut au vide qui à l'intérieur s’agrandit, s’agrandit. De nuit en nuit, de rêves en cris.
✤ Discipline
Introspection ; branche du sépulcre
À travers le regard laiteux d'un mort, Poppy distingue la vie. Des images qui se superposent, des portes qui s’entrebâillent et l'esprit de l'enfant sauvage à tôt fait de s'y engouffrer. Rapidement, discrètement et silencieusement. Dans un soupir, elle s'extasie. Chaton aux pattes de velours, dépourvues de griffes, tout juste bon à mordre.
La curiosité qui rend fou. C'est sûrement ça, son don. Son don ou sa malédiction. La curiosité qui fait naître la peur et donne envie de baisser les paupières. De presser l'une contre l'autre les petites et fines membranes zébrées de mille couleurs. Car à chaque macchabée, sa nouvelle histoire. Et Poppy regarde, et sans doute écoute. Le murmure des fantômes, très tard le soir. Le chuchotement du vent et des anges prêts à lui enfoncer quelques aiguillons dans le cœur, entre les côtes. À lui déposer des baisers-venins sur le front.
Poppy, elle n'est plus tout-à-fait vivante, et ça l'angoisse. La paralyse. Alors elle cherche frénétiquement une réponse, une seule réponse perdue, égarée peut-être dans le récit de quelqu'un qui n'a plus de langue à agiter.
Vivante, elle se répète.
Pour ne pas oublier qu'elle existe.
Elle aimerait le gueuler.
Mais aucun son ne sort de sa bouche.
C'est que Poppy, elle patauge chaque fois davantage dans le noir goudron. Un noir si vide et sans odeurs, si grand et sans saveurs. Un noir aux sourires grimaçants, les yeux comme des perles de nacres. Pas de reflet et ni de valeur – si ce n'est celle capable de la tétaniser par ce simple sentiment nommé Terreur.  
✤ Convictions
La merde qu'on fout sous le museau d'un animal mérite-t-il son consentement ?
Poppy est Silence. Poppy est Silence et Ignorance et la violence qui l'anime aujourd'hui ne fait plus d'elle quelque chose ou quelqu'un de sain, de réceptif – un être pensant.
Par ce fait acquis, Poppy n'a pas son mot à dire. Elle courbera l'échine ou crèvera d'une balle d'argent pour s'être fait prendre, les mains plongées dans le rouge vif d'une de ses espiègleries d'enfant sans éducation.
Sa mémoire est morte et son cœur suinte de vices qui ne lui appartiennent pas – pas vraiment. Car ses pensées sont des sanglots et des misères. Des songes d'ange dément et d'enfant fou. Poppy a vécu dans l'erreur, Poppy s'est éteinte dans l'erreur, Poppy est absente. Et ce qui l'entoure dorénavant peut bien tourner à l'envers, à l'endroit, de travers. Immobile. Immobile elle reste, puisqu'elle perçoit bien trop de choses. On lui a chuchoté qu'être éternel elle est. Qu'être suprême elle sera. Et que rien ni personne n'aurait jamais plus le droit d'entraver ses membres scarifiés.
✤ Signes particuliers
AVANT ; Des cicatrices sur les bras, principalement. Sur les cuisses, légèrement. Sur le ventre, c'est exact. Les pieds, quelques-unes. Poppy ne fait pas attention où elle marche, où elle va, avec qui et pourquoi. Poppy gratte ses croûtes, convulsivement, dès que celles-ci apparaissent.
Et puis elle se frotte, s'arrache le derme, systématiquement. Un toc qu'elle ne maîtrise pas, dont elle est à peine consciente. Ainsi ses bras sont lacérés, il lui arrive d'avoir des plaques et des rougeurs. Lorsqu'elle est toute seule, chez elle, dans son trou à rats puant, le ventre et les cuisses sont attaqués. Du stress, de l'inconfort, de l'anxiété ou du manque. Il y a tellement de raisons ; tellement qu'il est absurde de vouloir comprendre.
MAINTENANT ;
Garde des séquelles physiques visibles depuis sa transformation :
- Traces de piqûres /bras&cuisses/ dû à son passif excessif.
- Scarification profonde du symbole du clan Tremere autour du nombril. Dû à Cinead.
- Large cicatrice en travers la gorge. Dû à son meurtre par des HA.
- Point d'impact grossier au milieu de la poitrine. Idem.
- Écorchures diverses sur le dos, l'arrière des cuisses et des bras. Idem.

1. IL FAUT AIMER SON PROCHAIN.
Plafond. Immense et blanc, des tâches parfois. Ici et là. Par là-bas, elle remarque. Elle attend, elle sent. Elle reprend son souffle, s'étouffe. De l'espoir qui se distille, dans les câbles violacés qui sous son derme se dessinent, palpitent, gonflent. À l'intérieur de la tête, c'est un carnage. Des sensations violentes, des idées morbides. Son menton qui se hisse en direction du vide. Ses jambes se tordent, sous les salves de plaisirs des doses, éparses, trônant dans la pièce comme autant de preuves de ses échecs. De l'ancien au nouveau. Elle s'oblige à rester silencieuse. Il ne faut pas les réveiller. Qui ça ? Elle ne sait pas exactement, suppose les entrevoir. Dans une boîte à chaussures, une bouteille d'eau, une canette, entre les vêtements, noyés dans les draps, sous elle, quelque part entre ciel et terre. Des étoiles par milliers, une lueur nocturne triste, pâle, fantomatique. La vitre sale est ouverte sur le dehors. La brise hivernale s'engouffre et elle ne frisonne pas. L’entrebâillement laisse filtrer les membranes intangibles et si lumineuses pourtant, d'une déesse mystique, branque. Illustre madone laiteuse, crème, jaunâtre. Passablement merdique, avec ses bubons sur la face et ses airs de Marquise. 
Et Poppy, elle prie. Elle ignore qui. Elle prie, c'est tout. Comme une enfant à qui on a omis d'apprendre à prétendre. À se façonner pour l'existence, à travailler son masque, à se battre et débattre avec la vie. 
Elle énonce les sollicitations, les calvaires, les naufrages, à un ou une inconnue capable d'écouter ses divagations, ses soupirs. Ses lippes bougent, doucement, se collent l'une à l'autre, se pincent, se caressent. Les paupières s'abaissent, durant une minute, ou deux. Elle se concentre, voudrait entendre une réponse, trouver un signe parmi les mouvements agités des organismes qui se frottent, parmi les bruits alambiqués des rues critiques. Dans la quiétude des ténèbres, lourde et absolue. 
Il n'y a – hélas – que l'odeur de l'hémoglobine qu'elle a ingéré, si caractéristique. Il n'y a que la brûlure intense de l'héroïne, qui parcourt ses membres, malmène son système nerveux. Amorphe, elle regarde. Elle devine. Elle combine et les perceptions se superposent si vites. Des traces de sperme, et lui. Lui qui au dessus d'elle expire comme un bœuf. Un monstre qui la monte, qui la prend, qui la baise avec dirait-on pour dessein de mourir. 
Poppy ne bouge pas. Ne ressent que le néant et la chair de l'opposé qui touche et irrite la sienne. Elle ne voit que ses iris bleus, électriques, qui dans l'obscurité de la chambre irradient presque. La calcinent. Ses joues rosissent et lui serre plus fort encore ses mains sur ses bras maigrichons. Déjà les traces de ses doigts osseux zèbrent sa peau livide de fille fragile, malade, faiblarde. Ses cuisses malmenées par les siennes et ses cheveux qui s'emmêlent et collent à sa nuque. De la sueur et ses grognements à lui. Les fragrances emplissent ses narines et elle voudrait hurler. Il faut qu'il s'évapore comme la fumée d'une cigarette, il faut qu'il explose comme une bulle de limonade à la surface. Il faut qu'elle s'éloigne. Qu'elle s'endorme. Qu'elle s'envole.

2. QUAND LA VIE ÉCHAPPE.
Elle marche. D'une dégaine branlante, ailleurs, mal assurée. Le souffle court, les tripes en morceaux. De la douleur, de la douleur. Une centaine de douleurs et des coups de bâton. Dans le bide, entre les jambes, sur les chevilles. Elle s'accroche. S'écorche. 
Poppy avance, avec le malheur des crétins, la terreur des amochés, des imbéciles. Des déments. Ses semelles défoncées par les rues parcourues s’éraflent toujours davantage sur l'asphalte sale de la cité de sang. Du sang partout. Sur les murs, sur les lampadaires, les fenêtres ; Dans l'air, aussi. Elle ferme les yeux. Pour croire que plus rien n'est vrai. Pour ne plus avoir la crainte de remarquer l'horreur du pire. Que ses côtes sortent bientôt, que ses veines jaillissent de sous la peau. 
Le manque, et la langue pâteuse qui va et vient sur le palais puis les gencives. Les dents sont douloureuses. La gorge est exagérément sèche. Et les poumons se disloquent tandis qu'elle agonise – mutique. 
Prunelles de l'Innocence trouée. Des billes de miel vacillant au gris allant du vert et virant à l'impossible. L'impossible des couleurs qui aliènent, des reflets qui s’enchaînent. 
La nuit. La nuit qui tombe et elle qui ne sait plus ce qu'elle est. La fille seule sait ce qu'elle veut, surtout. Poppy feint, Poppy n'oublie jamais vraiment le but d'une démarche entamée. Parce que bouger demande des efforts alors il ne faut pas gaspiller l'énergie durement préservée. Il l'a dit, il l'a murmuré, répété. L'autre. L'autre qui attend dans le studio immonde, dans une artère sordide. Un junkie avec qui elle voyage, pour annihiler la solitude et toucher un esprit qui n'aura pas peur, qui n'aura pas de dégoût, qui s'en fout. 
Il ne faut pas, elle se souvient toujours et elle halète. Comme une chienne sans chaleur, une gosse sans humeur. Une orpheline des rues qui traîne. Prépare un mauvais deal ou souhaite seulement se faire sauter pour quelques centimes. Des billets verts peut-être, avec de la chance. La chance des nouveaux-nés, celle qui n'existe que dans les rêves. Et sa mignonnette trogne se projette en travers la ville.
Poppy, la jolie Poppy, elle cherche de quoi calmer ses envies, ses passions, pulsions. Ses besoins primitifs. Absurdes. La respiration saccadée et le cœur qui ne sait plus tellement où il en est. Ça l'achève, croit-elle. Ça l'agresse, ça la tord, la démonte. Et elle s'arrête. Là, au milieu du trottoir. Sa veste en jean trop grande, lui bouffant plus de la moitié du corps. Et ses guibolles au vent, qu'un short trop court et déchiré dissimule à peine. 
Tignasse brune devant les rétines éclatées, le crâne penche. Sur la droite. Dangereusement. La silhouette se cambre et elle observe. Elle guigne avec l'obsession des dégénérés, un chat noir s'extrayant d'un mont de sacs poubelles. Ainsi au manque s'ajoute la faim. La gosse crève la dalle, elle se souvient n'avoir rien avalé depuis deux jours. C'est long, deux jours. Et ses viscères s'entortillent, son estomac lui file des crampes et son cerveau n'est plus capable de réagir correctement. La bouche s'ouvre, molle, baveuse, ignoble. Ses genoux lâchent et son cul percute le bitume poisseux d'averse passée et de pisse récente. Poppy, assise au milieu d'un quartier pourri, la rage au ventre. Les sens détruis – comme une petite mort aimante.

3. PERCEPTION D'UN AUTRE MONDE.
Il n'y a que la purée de pois qui l'entoure. Vague souvenir rance d'une vie antérieure. Qui n'a sans doute jamais existé, qui ne l'a jamais portée. Alors elle baisse le menton, en direction de ses pieds nus. Là, sur le bitume froid et humide, sous un ciel sans lune. Les étoiles dissimulées par toute la pollution grise et lourde. Cette enfant n'a jamais pu observer de ciel dégagé, pas plus que respirer un air pur. Niquée de la tête aux orteils, à peine arrivée, à peine son premier cri fut-il poussé.
Elle soupire.
Un soupir de silence. Un soupir de Soif immense. Logée en son sein comme une nouvelle aimée, une amante dégénérée. Poppy la sent, qui gratte sous sa peau. Soif, Soif. Elle ronronne tout contre ses côtes, parfois jusqu'à sa gorge. Lui chuchote ses mots sans paroles. Dialecte de sourd, dont elle perçoit et adore les plus délicates notes. Doucement. Tranquillement. Il ne faut pas la brusquer, cette chère gamine. Elle pourrait vriller, aller de travers, ne plus jamais revenir. Où ? Quelque part. À une raison bancale. Qui fait d'elle un si joli spécimen, qui fait d'elle un être entier. Ombre d'ombre. L'ombre d'une ombre morte. N'oublie jamais.
Il y a cette musique, ambiante. Qui dans le salon résonne, tandis que les rires explosent. Même dehors elle peut l'entendre, en profiter. C'est une soirée commune chez le clan Corleone. Demain matin, il ne restera rien. Rien que quelques couches de tissus salis, et des bonnes accroupies sur les dalles de marbres lisses. Attentives aux plus petites taches. De celles qu'il ne faut pas laisser, au risque de passer pour bêtes sordides et sans éducation. Rouge sombre et épaisse. Flaque rouge sombre et épaisse, au fumet délectable. C'est tout ce qui l'obsède, à présent. De ces obsessions qui vous retirent tout moyen d'exister, de présumer, de raisonner. Rouge sombre et épaisse. Une certitude incrustée parmi tant d'autres. Une de celles qui lui assure qu'elle ne sera jamais déçue, qu'elle ne sera jamais rassasiée.
Ça devrait la faire chialer.
Ses dents-rasoirs percent ses lèvres, des lèvres charnues qu'elle dévore presque. La faim est atroce, et les besoins vitaux. Résister ne sert à rien d'autre que souffrir. La souffrance. La souffrance est une amie, plus encore que la Soif. C'est elle qui mène la danse, qui provoque les affres.
Et la musique toujours. Qui n'est plus la même, qui ne sera jamais tout à fait identique aux oreilles de Poppy. D'un heure au délire. Ça varie, ça s'effiloche à la façon d'un vieux pull rongé par les mites.
Elle divague, Poppy. Là, sur le trottoir devant la baraque gigantesque. Celle où elle loge, à présent. Celle où on la pouponne comme le plus précieux des enfants. Un bébé. Un nourrisson morbide à peine capable de se nourrir par lui même. Et Pia répète qu'elle est jolie, si jolie, Poppy.  Un vague sourire posé sur le visage et quelques doigts s’égarant dans la chevelure brune et emmêlée.
Personne ne lui a appris à déchiqueter son prochain, pas plus qu’arracher quelques gorges chaudes. Et si ses pulsions sont si fortes et si ses actes si atroces, ce n'est pas de sa faute. Ce ne sera jamais de sa faute. C'est de celle de ces vermines, qui d'une lointaine époque ont mis fin à sa vie.
Pourtant Poppy en est certaine. Il n'y a rien a lui apprendre. Rien de bien conséquent. Tout est dans sa tête. Là, comme inscrit dans ses gènes. Des flashs et des murmures qui lui rappellent, qu'être puissant elle est, et elle demeurera. Quoiqu'il advienne. Le reste du monde n'est qu'une proie. Gibier empli de foutre et de sang, dont le seul dessein sera d'apaiser ses brûlures et ses crises.
Toutefois elle ne dit rien. Poppy ne parle plus. Murée dans un silence, qu'elle même ne s'explique pas. C'est que les termes à employer lui manquent, et l'envie de communiquer flirte avec le néant. À quoi bon s'y essayer, quand on sait que les questions posées ne trouveront aucune réponse. Ne soulèveront que davantage de questions, des questions qui finiront en questions, qui finiront par la rendre folle. Folle plus qu'elle ne l'est.
Un nouveau soupir.
Plus profond cette fois.
D'une mélancolie sans bornes, sans failles. D'une mélancolie si pure et sans défaut qu'un immortel peinerait à y croire.
La belle est une statue de givre. Une dame blanche à peine vêtue de ce qu'il faut, pour masquer aux yeux hagards de la rue noire ses courbes alléchantes et ses cicatrices infâmes.

FICHE ORIGINELLE.
1986 (10 novembre) ; Naissance de Poppy à Hambourg. Allemagne.
2005 ; Sa mère entre en dépression. Son père est en déplacement durant des mois, pour son travail.
2006 (courant octobre) ; Adolescence, mauvaises fréquentations. Première prise de stupéfiants.
2006 (décembre) ; Arrêtée avec de deux ses camarades, pour tapage nocturne et insultes à agents.
2007 ; La révélation. Elle en entendra parler sans vraiment s'y attarder, associant davantage la chose à une bande d'illuminés. Continue d'errer.
2007 (juin) ; Arrête les études, et ne passe pas son diplôme afin d'entrer en université. Surveille sa mère, se démène à sa manière et sa prise de drogue se fait de plus en plus régulière. Elle s'essaye à l'héroïne avec son petit ami du moment.
2008 (janvier) ; ses parents divorcent. Mère dépressive depuis des années et sous cocktail médicamenteux la plupart du temps. Son père obtient donc la tutelle exclusive de Poppy. Sa mère est mise dans un établissement spécialisé, malgré les suppliques de Poppy pour ne pas l'y faire enfermer
2008 (février) ; Le mois qui suit, son père l'emmène en Amérique.
2008 ; les voyages de son paternel reprennent après une courte période de pérennité et de stabilité. Il lui verse régulièrement de l'argent sur son compte. Revient un week-end sur trois à la "maison" qui n'est rien d'autre qu'un bel appartement aux hauts plafonds en centre ville.
2009 (10 novembre) ; Jour de son anniversaire, son père lui avait promis de rentrer pour ses 20 ans. Un empêchement le bloque dans une autre ville. Poppy fait une tentative de suicide. Elle appellera pourtant d'elle-même les urgences, comme on crie du silence.
2009-2010 ; Internée dans un centre de désintoxication.
2010 ; Elle recommence à errer. Son séjour lui fait découvrir et approcher celui qui la fera plonger. Elliott. Après leur sortie respective, une amourette s'en suit. Et les deux jeunes amants retombent dans les mauvaises habitudes. Par désenchantement, par langueur, qu'importe les raisons au fond.
2010 (02 mars) ; Goûte pour la première fois au V. La spirale débute, elle n'en sortira plus. Elle mélange le joint à l'héroïne. Et le V répare, le V libère.
2010 (09 avril) ; Elliott décède d'une overdose.
2010 (avril/mai/juin/juillet) ; second séjour en centre.
2011 ; son père lui accorde son indépendance, à la seule condition qu'elle reste clean. Et pour cela qu'elle fasse des dépistages réguliers. Elle accepte. Réussie à rester loin des poisons durant une année. Se trouve un job, reprend en alternance ses études.
2012 (12 janvier) ; On lui téléphone pour lui annoncer le décès de sa mère.
2012 (13 janvier) ; Poppy disparaît.

FICHE VAMPIRIQUE.
2014 ; débarque à Shreveport. SDF, elle squatte les immeubles et les endroits dégueulasses. Prise sous les ailes d'un bon samaritain – lycan et drogué prénommé Wolgang. Il lui trouve un toit, d'abord. Un travail, ensuite. Les deux gamins se lient d'amitié, et dans les draps parfois, font fi de la solitude.
2014 (15 octobre) ; se lie à Cinead Ó Súilleabháin, d'une façon qu'elle ne pourrait expliquer. Les mots sont surfaits. Il s'inscrit sur son âme.
2014 (22 octobre) ; Elle rencontre pour la première fois Tomas d'Ombremont. Elle manque de peu, de devenir son repas. Le vampire ayant eu affaire à une bande d’extrémistes – les H.A. Il est affaibli et elle est sa survie. Elle en réchappe seulement parce qu'il parvient à se contrôler, à saisir sa démence.
2014 (23 octobre) ; Poppy est morte. En sortant du manoir d'Ombremont, les H.A l'ont prise pour l'un calice du marquis. Ils ont décidé de faire d'elle un exemple en la tabassant jusqu'au trépas puis en la traînant sur plusieurs mètres derrière un pick-up.
Elle ne se souvient de quasiment rien de cet épisode, tant son esprit fut endommagé par les sévices. Plus encore que son corps.
Redevable envers cette junkie sortie de nulle part, brebis égarée ou grain de sable qui aura fait dérailler la machine. D'Ombremont se sait fautif. Et malade du sort de la demoiselle, il décide de la transformer alors qu'elle est entre la vie et la mort. Une vie pour une vie.
2014 (28 octobre) ; Poppy s'éveille pour la première fois. Après une longue période de sommeil et d'incertitudes. Et c'est une cruelle créature qui émerge des ténèbres. L'enfant sauvage est amochée. Cervelle en miettes. Des instincts trop présents et une soif extrême. Pourvue de manies sanglantes qui ne lui appartiennent pas, qui sont celle de Cinead.
Progéniture marquée dans la chair, la nouvelle née ne deviendra jamais l'un de ces superbes spécimens au teint d'albâtre. Mais belle et bien une erreur de son époque.
2014 (novembre-début décembre) ; sa violence est telle, et son cannibalisme avéré ; qu'on la cloitre à l'abri des yeux indiscrets. Nouveau né clandestin, il ne faudrait pas qu'on exécute la belle et son Sire avec. Poppy, elle patauge entre inconscience et cris. Ronronnements et griffes. Une véritable tornade dont les dégâts se comptent chaque soir au sein de la villa.  
2014 (décembre) ; les troubles en ville se font de plus en plus présents. A tel point que le clan Corleone prend la décision d'éloigner ses "femelles" de la zone de danger. Poppy est envoyée en France, avec Pia – mère adoptive de cette diablesse. Qui parvient à apaiser ses souffrances tout autant que ses délires. En les exacerbant, peut-être. Tout le monde sait, que la divine créature n'est pas réputée pour son esprit sain. Elles partent donc, durant un temps.
2014 (fin décembre) ; Tomas d'Ombremont est exécuté et Poppy à l'autre bout du monde hurle et se tord. A l'agonie. Se contorsionnant et s'arrachant du bout des ongles la peau, les côtes. Elle ne saisit pas la nature de sa douleur, et rien ne lui fait entendre raison. L'infante a peine née a perdu sous Sire sous les agissements de Cinead.
2015 (il y a quelques jours) ; Poppy est rapatriée de Londres par Lucian. Les choses à Shreveport se sont calmées, et Pia est rentrée il y a maintenant deux semaines. La Superbe ne peut envisager être loin de son bébé plus longtemps et convainc donc son frère adoré de ramener l'infante de Tomas. Les dangers sont toujours présents, mais la tempête est passée. Le clan Corleone en est sorti renforcé, et Lucian décide d'éduquer pour de bon cette bête pulsionnelle que son frère de cœur a engendrée. Elle est tout ce qui lui reste de lui : elle a son odeur, elle est de son sang. Et en ce sens, il est maintenant près à canaliser et honorer la mémoire de l'être aimé. De faire face à ce qu'il a perdu également.