Il y eut des chuchotis, comme une vague se déployant, l’arrivée de la future épouse fait toujours cet effet peu importe le type de mariage. Obrane, l’aniota du pard, menait la danse. C’était lui le maître de la cérémonie qui allait suivre, et nombreux ici présents n’avaient encore jamais assister à cela. Lorsqu’il leva un bras armé d’une lame recourbée qui ressemblait fortement à une dague cérémoniale, le silence tomba sur l’assemblée. Ceux qui connaissaient un peu la culture gitane ou simplement celle des métamorphes gardaient leur souffle, par respect, ceux qui ne savaient rien de ce qui allait suivre le gardèrent par inquiétude. Lentement, l’aniota prit la main de Micah et posa la lame dessus. Avant que la première goutte de sang ne touche le sol sacré les tambours commencèrent à résonner. Pour les quelques adeptes de cette religion, ça pouvait, de loin passer pour du vaudou. Mais l’air n’avait rien à voir, c’était plus ancien, ça venait d’ailleurs, du fin fond de l’Afrique, il y avait une atmosphère particulière ce soir, agitée et magique. Quand les quelques gouttes de sang touchèrent le sol, il y eu une énergie qui se déploya et chacun ici pouvait la ressentir. C’était comme un frisson, une caresse, certains eurent chaud, d’autres froid, ça agit différemment sur chacun. Les métamorphes qui frappaient sur les tambours, maquillé et habillé dans la tenue traditionnelle des premiers hommes leopards, étaient ceux qui contenaient cette énergie magique, sans eux elle se serait déversée sur le monde. Et puis Obrane se tourna vers la mariée, il jeta un œil à celles qui l’entourait, puis il posa la lame encore ensanglantée sur la paume de Tisha. Ici la peur du sida et des maladies sanguine n’existait pas. La tradition passait évidemment avant tout, et un aniota était capable de tout soigner, mais surtout de telles maladies ne touchaient pas les métamorphes ou très peu. D’autres, en revanche, les terrassaient. Il enfonça la lame dans la paume offerte et le sang coula. Il frappa le sol. La magie redoubla.
Obane s’écarta des mariés pas encore unis. La musique issue des tambours s’intensifia alors que des danseurs se déployaient. Ils agitaient leur corps comme si une fièvre s’était emparée d’eux. Certains danseurs criaient, poussaient des hurlements, ça ne ressemblait pas vraiment à de la musique, mais plutôt à de la transe. L’énergie qu’ils déployaient nourrissait la terre magique et agitait les ancêtres. Les mumins affleuraient et tous ceux ayant des capacités magiques pouvaient sentir à présent leur présence, pour les autres c’était un frisson à la base de la nuque, un souffle froid contre la peau, le sentiment que quelqu’un vous observe, l’impression de ne plus être seul, une présence. Obrane parlait une langue oubliée, morte, antique connue de lui seul, que ses disciples pouvaient percevoir. Micah hochait la tête comme s’il connaissait ces paroles, comme s’il les comprenait, peut-être était-ce le cas. Tout le monde savait qu’il étudiait soigneusement les vieux textes, et qu’à ses yeux, un Nimir-raj devait tout savoir des origines de son peuple, de ses secrets, de ses traditions. Il mettait un point d’honneur à le connaître mais aussi à le transmettre. Ce rituel là ne venait pas de ses ancêtres à lui, ou alors ils étaient trop lointain pour qu’il puisse les connaître aussi intimement que ceux plus proches lui ayant laissé un livre sur la lignée perdue des leopards d’Europe de l’Est.
Quand il lâcha sa lame cérémonielle, la magie sembla s’arrêter de pulser. Les danseurs s’arrêtèrent, et puis soudainement les tambours aussi. Les yeux de Obrane se révulsèrent. Deux disciples de l’aniota qui entouraient ce dernier et lui servait d’assistants durant la cérémonie se mirent à adopter le même comportement, les yeux devenus blancs, ils parlaient d’une voix étrange, différente, pas la leur. Obrane était celui qui parlait le plus fort. La voix qu’il avait adopté n’était pas étrangère à tout le monde. Certains le comprirent, il était possédé par le mumin de l’ancien Nimir-Raj, celui qui était mort en protégeant le pard d’une attaque de chasseurs. Il donnait sa bénédiction à l’union et répétait ses vœux de protection pour le pard, et pour Micah, son ancien protégé. Et puis les yeux de l’aniota reprirent leur aspect normal. Les mumins étaient encore présents, tout autour, et chacun pouvait sentir leur présence mais la possession avait prit fin.
Obrane saisit la main du marié et celle de la mariée, il les posa l’une sur l’autre, et les entoura d’un ruban rouge symbolisant le sang versé. Il leur demanda de prononcer leur vœux d’attachement l’un à l’autre, ce que chacun fit. Micah promit à Tisha de toujours veiller sur elle, de partager avec elle le poids des responsabilités et de toujours l’écouter quand aux décisions du pard comme celles pour leur couple, de toujours respecter ses désirs et sa volonté, de l’aimer et de la chérir comme sa reine. Tisha formula à son tour ses vœux. Obrane en appela aux mumins et bénit l’union. Il posa sa main sur les leurs et le rubans glissa, se noua autour des deux poignets. La tradition voulait qu’il demeure nouer jusqu’à la consommation de l’union, bien sûr Micah avait préciser qu’il serait dénoué à minuit sans qu’aucune obligation ne soit attendue. Leur union était avant tout politique et tout le monde le savait ici.
L’union célébrée par l’aniota, les danseurs et musiciens ouvrirent le cercle, laissant la liberté aux invités de venir féliciter les jeunes époux.

C'est ainsi que l'union du Nimir-Raj et de sa Nimir-Ra fut célébrée. Toute la nuit l'on dansa sur des rythmes tribaux rappelant les origines de la reine. Les esprits, les mumins, furent présent durant toute la nuit. Vers minuit, les mariés se dirigèrent vers le mobile home appartenant au marié. La tradition voulait qu'ils s'accouplent et que la foule écoute leurs ébats dehors afin d'être certain qu'un héritier leur viendrait bientôt, mais l'union de Micah et Tisha était avant tout politique. Personne n'attendit donc devant le mobile home, en revanche on continua à picoler une bonne partie de la nuit. Certains esprits échauffés par l'alcool tentait de deviner le futur, d'autres sentirent des ondes positives les envahir et en profitèrent pour déclarer leur amour à celle et ceux faisant battre leur coeur. Quoi qu'il en fut, la nuit fut courte pour beaucoup, et le lendemain douloureux pour les crânes et les cheveux. Le couple montrait désormais un front unis contre tous les ennemis du pard et c'est exactement ce que souhaitait ses membres.