Uriel se tut encore et fit craquer ses doigts. Le silence était pesant. Seul le tic-tac de l'horloge semblait encore vouloir rompre le silence. Ils se regardèrent ainsi dans le blanc des yeux pendant quelques minutes interminables. Lentement, l'homme se mit à observer la pièce. Des canapés de velours, un bureau massif en bois orné. À sa gauche se dressait une gigantesque bibliothèque murale. Il s'attarda sur une rangée de livre et parcouru rapidement les nom des auteurs : certains étaient français, d'autres irlandais mais la majorité venaient d'Albion. La psychiatre finit par s'éclaircir la gorge.

- Uriel, si je veux parvenir à mieux vous cerner, il va falloir m'en dire plus sur vous, lui dit-elle la voix chevrotante en le regardant par dessus ses lunettes en forme de demi-lune. Ses lèvres étaient pincés et le haut de sa chemise mal-boutonnée laissait apparaître un bout de la dentelle de son soutien-gorge. Il releva les yeux.

- Vous voulez donc tout savoir ?, demanda-t-il tout ? absolument tout ?
Elle opina du chef. Lui arqua un sourcil puis s'installa au fond de son fauteuil.

Uriel se lança donc dans le récit. Le récit de sa vie.

alea jacta est

Je suis né en Californie par une chaude nuit d'automne. Je suis né de l'union de ma mère, Lady Catherine Templewood Vernon, une femme de confession juive et de Sir Joshua Vernon, un diplomate britannique. Je fus un enfant charmant et extraverti. J'ai grandi en majorité tout seul, entouré de gouvernantes. Très tôt, j'ai du apprendre à prendre des décisions par moi-même. Je ne sais pas si se fut une bonne chose car, je dois bien l'avouer, aujourd'hui encore j'ai du mal à me dire que le monde entier ne m'appartient pas. Rapidement, dès lors que j'ai su lire, j'ai fais des livres mes amis et de la bibliothèque de Nob Hill mon repère. Durant mon enfance, mon aire de jeu se nommait Twin Peaks. Un coin à la fois effrayant et fascinant. C'est accompagné de mon acolyte de toujours Gabriel, que je m'y rendais presque tous les jours après une bonne demi-heure de vélo à patauger dans la bruyère et la boue.

Aussi, je dois avouer que je n'ai pas toujours été le dragueur invétéré que je suis devenu aujourd'hui. Loin de là. Je me souviens encore de Claire à la primaire, bien en chaire à lunette et dont le regard était d'une beauté inouïe. Je lui faisais maladroitement la cour. Vous savez, je me souviens encore de ce premier baiser. Il fut vif comparé à tous ceux qui viendront plus tard. Un baiser d'enfant.

Entre l'école et les sorties avec Gabriel, j'ai reçu une formation de pianiste. J'ai commencé par du classique pour, au fil des années, me tourner vers le romantisme que trouve beaucoup plus envoûtant et poétique. puis, beaucoup plus tard, je me suis éprit du jazz. Avec le jazz, je peux jouer librement sans passer par la contrainte terrible de la musique écrite, la prison des mesures et des cinq lignes. A l'école, j'étais bon. Excellent même. Je raflai tous les prix. Mes professeurs finirent par me faire passer un test psychométrique et il s'avérera que je suis un génie. Ca me fait doucement rire. Vous savez, pour moi le génie est à l'intelligence ce que la folie est à l’imbécillité. Je me serai plutôt retrouvé dans le deuxième cas.

Je côtoie très souvent les paradis artificiels. J'ai commencé à fréquenter les fumeries d'opium qui se mirent à pulluler sur la côte aux alentours de 1843. À mes dix-sept ans, j'embarquai pour Calcutta, peu après la mort de ma mère, où j'ai séjourné chez l'une de mes tantes britanniques. Sous le ciel indien, le temps passait incroyablement vite. Les années avaient filés et moi, j'avais grandi. J'étais âgé de presque vingt ans et le jour de mon arrivée dans cette ville était maintenant loin derrière moi. J'étais à présent parfaitement intégrés à la population aristocrate de cette partie que l'on appelait Kirtinagar. C'était aussi très souvent que j'arpentai les rues, complètement hagard, l'esprit embrumé par les rêveries de l'opium. En Amérique, la drogue était assez cher, mais ici dans la ville du joyau de la couronne, le pavot ne valait qu'une misère. De toute manière, l'argent n'avait jamais été un problème pour moi. Il coulait à foison. Mais l'argent vous savez... C'est une source de plaisir mais aussi de malheur. Il m'a détruit de façon parallèle...

Vous savez, en Inde britannique, j'y ai aperçu de merveilleux paysages, mais j'ai surtout découvert ce qu'était l'amour. Le vrai. Celui qui fait mal lorsque ça ne va pas. Celui qui brûle, qui déchire. Elle s’appelait Shivani. Dans la culture hindouiste, la Shivani est la fleur du dieu destructeur Shiva. Si seulement vous pouviez la voir comme moi j'ai pu longuement admirer sa beauté ! Elle était si belle. Ses cheveux étaient d'un noir de jais rarement vu, sa peau était doré et contrastait magnifiquement bien avec le rouge de ces lèvres. Ses yeux étaient légèrement en amande et pétillaient tout le temps. Shivani respirait la joie de vivre et dégageait tant de sensualité... Lorsque mon père découvrit la relation que j'entretenais avec cette vaishya comme ils aimaient à l'appeler, les choses prirent une tournure différente à celle que j'avais envisagé. Pour lui, Shivani n'était pas à la hauteur de notre famille, à savoir elle n'était pas aussi fortuné que nous. Ni aussi blanche. J'ai donc été marié de force à la fille d'une britannique résidant aussi à Calcutta et amie de longue date avec ma tante. Nos familles étaient parvenus à un accord et les voeux furent prononcer aussi vite que possible afin d'éviter d’entacher le blason familiale. Après ce mariage, j'eus l'interdiction formelle d'avoir tout contact avec la femme de mes rêves. Tourmenté et perdu, je me retournais face à ce à quoi j'eus l'occasion de goûter plus tôt dans ma jeunesse : le libertinage. Ma famille m'avait peut-être imposé cette femme blanche, mais on ne pouvait m'imposer de l'aimer ! La situation devenait de plus en plus insoutenable. J'étais à terre et amoureux, mais incapable de vivre cette histoire.

La veille de ma majorité, je pris la mer pour vingt-quatre jour à bord d'un navire en direction d'une ville qu'on appelait Shreveport. Gabriel, avec qui je correspondais régulièrement depuis mon départ du pays, y avait immigré et m'en chantait les louanges dès qu'il le lui était possible. Je finis par me laisser convaincre et alla le rejoindre. Les premières semaines furent longues et studieuses. J'entrepris des études en politique pour suivre la lignée élitiste de ma famille. Depuis 1849, Shreveport, à l'époque, était le foyer principal de la haute société, le royaume des têtes. La ville était aussi devenu le quartier général de brillant scientifique. Ici, je n'avais plus de compte à rendre à quiconque. Là-haut, c'était le chaos. J'ai pourtant fini à obtenir mes examens haut la main. Diplôme en poche, un nombre incalculable de poste s'offrait à moi. Descendant directement de famille aristo-ploutocrate pure-souche, j'avoue que je n'avais guère besoin de travailler pour subvenir à mes besoins cependant, je voulais quand même le faire. Je tenais à cette indépendance que j'avais durement gagné. J'ai travaillé quelques années dans une grosse gazette, où j'y écrivis de brillant article, tout comme Gabriel. Nous y travaillâmes jusqu'à la veille de mes vingt-quatre ans. une date importante dans mon histoire.

memento mori

En automne de l’an de grâce 1849, Gabriel se tenait maladroitement sur mon épaule et marchait en chuchotant de drôle de phrase. Tous les deux, nous revenions d'une soirée en mon honneur pour mon anniversaire. J'avais toujours détesté ce genre de fête idiote basé sur rien, mais j'y fis quand même le déplacement. L'épaule douloureuse, j'ai décidé de stopper notre marche vers l'appartement un instant et de nous installer sur un des banc de la rue. C'était une nuit blanche, où la lune brillait tout en haut du ciel, nous dominant de son regard fière. Affalé sur ce banc, Gabriel parlait seul. Moi, je soupirai. Au bout de quelques instants de répit, des bruits de pas se firent entendre dans la rue. Une jeune femme. Une très belle femme. Celle-ci s'arrêta à ma hauteur et me demanda si tout allait bien. Je la rassurais en lui disant que oui puis nous nous mirent à discuter. Tellement longtemps que mon meilleur ami c'était endormi, allongé sur le bois, chose étonnante pour quelqu'un de son rang. L'inconnu ne l'était plus vraiment. Son nom était Ruby. Au bout d'un moment, nous étions déjà en train de nous courtiser. La singulière beauté du personnage m'attirait étrangement. La dénommé Ruby, penché sur mon épaule, me susurrait de douce phrase à l'oreille. Je l'écoutais, amusé et légèrement excité par cette situation si peu commune à notre époque lorsque je sentis quelque chose de froid sur mon épaule puis une violente douleur dans mon cou.

Venais-je de subir le baiser vampirique ? Colérique, je m'éloignai de la femme en portant une main à mon cou. Il saignait. J'étais affolé, mes mains tremblaient et mes yeux se mirent à briller. A ce moment là, les illusions s'envolèrent et laissèrent place à la dure réalité. Une réalité où la femme parfaite ressemble plus à une gougeat écervelée, qu'à une lady dont les paroles si suaves vous réchaufferaient le cœur. Après cet événement, tout est très flou, je me suis évanoui avant de me réveiller quelques jours plus tard dans un temple bouddhiste situé à Ikaruga, une ville de la préfecture de Nara dans le sud du Japon. Je n'avais aucune idée du comment j'étais arrivé jusque là. Et eux non plus. Très vie, j'eu faim et je finis par dévaster le temple. Entièrement, sans aucune once de pitié. Des pièces jusqu'aux meubles sans oublier ses habitants. J'y ai d'ailleurs pris du plaisir. Beaucoup de plaisir.

Quelques mois passèrent et je parcourus le Nihon jusqu'aux Indes britanniques, faisant régner la crainte. Je n'avais aucune morale et quiconque se trouvait sur mon passage signait son arrêt de mort. Un an plus tard, je retrouvais sur ma route Gabriel dans un pur et surprenant hasard. Aigrie et me sentant seul dans les ténèbres que m'offrait ce nouveau corps qui était mort, je lui fit un cadeau empoisonné. Celui de la vie éternelle. Ce dernier m'en voulut pendant très longtemps pour cela, me qualifiant d’égoïste. Il souffrit énormément de sa transformation. Nous ne nous adressâmes plus la parole durant plusieurs décennie. Malgré cela, nous reprîmes contact autour de l'année 1917. Cependant, Gabriel n'a pas encore entièrement pardonné mon geste et ne comprend pas cet instinct de prédateur et tortionnaire qui me ronge de l'intérieur...

bellum omnium contra omnes

Je revins enfin définitivement à Shreveport vers la fin des années soixante. Je repris contact avec les descendants des familles que j'avais connus auparavant et réintégra ainsi la cercle facilement. Je jouais habilement de mes connaissances multiples pour parvenir à ouvrir la plus grosse prison de la ville. La plus dangereuse. C'était d'ailleurs assez ironique lorsqu'on savait que le directeur était encore plus machiavélique et monstrueux que les démons qui vivaient dorénavant à l'intérieur de ses cellules. Une fois mon but atteint, je m'enferma à nouveau à l'intérieur de ma tour dorée.

Jusqu'en 2007, ma vie ne fut qu'une routine effrayante. Tandis que la violence faisait rage dehors, seuls les meurtres, le sexe et l'opium régulaient ma vie. En décembre, lorsque le procès d'un vampire nous dévoila au jour, je me sortis petit à petit de ma léthargie profonde. Jusqu'au 17 novembre de l'an dernier, c'était avec grand plaisir que j'observai cette ville dévasté du haut de ma prison. Observer tous ces êtres se détruire me procuraient une jouissance extraordinaire. Je haïssais les êtres humains, les elfes, les anges, les lycans, mais aussi les miens : les vampires. J'aimais tous les gens qui souffraient, les associables, les rejetés de la société, ceux qui ne se fondent pas dans la masse. Jusque là, je ne suis pas vraiment intervenu dans le conflit.

Maintenant docteur, je vous remercie pour cette petite thérapie improvisée et en bon client que je suis, je vais vous payer !



Ses yeux sont écarquillés et elle le regarde avec horreur. Uriel attrape ses cheveux qu'il tire en arrière pour dégager son cou puis inspire profondément l'odeur de sa peau. Un liquide chaud lui tombe sur le visage, elle pleure. Le vampire fini par abréger ses souffrances en plantant avec violence les crocs dans sa jugulaire.

Il eut la brusque envie de hurler. Mais vociférer contre qui ? Sa fureur n'avait nul objet précis si ce n'est la maladresse de l'homme qui se tenait en face de lui. Uriel ne lui rendit pas son sourire. D'un regard noir, il toisa volontairement son interlocuteur pendant un bref instant. L'instant de lui faire comprendre qu'il avait maintenant dévié sur un sujet dit tabou pour lui. Dans son regard, Vernon pouvait discerner de la peur et il n'avait pas tort au fond d'être ainsi effrayé. Reizo le connaissait bien, il savait de quoi l'homme était capable. Mais ce garçon faisait parti du staff de la prison depuis maintenant assez longtemps et il le savait digne de confiance, ainsi, Uriel ne pouvait donc se permettre de lui trancher la gorge à l'aide de ses ongles aiguisés comme il lui en avait donné l'envie à l'instant. Il refoula dans son esprit cette pensée. Les secondes s'écoulèrent à un rythme infernal avant que le vampire ne daigna bouger. Il rejoignit ses mains et entreprit de briser le silence qu'il avait aisément installé.

- Et bien Reizo. Je crains bien que nous n'ayons plus rien à nous dire maintenant, avança-t-il froidement.

Il termina sa phrase sous l'intonation d'une question bien que ce soit un fait. Du moins pour lui. Sans même laisser le temps à son interlocuteur de lui répondre, il se leva de son fauteuil et longea le bureau avant de s'asseoir sur le devant de celui-ci. Uriel fixait le dénommé Reizo, le temps qu'il comprenne qu'il était maintenant temps pour lui de s'en aller, en lui souriant. Un sourire dénué de tout sentiment. L'homme se leva alors à son tour et tendit sa main devant le vampire. Vernon l'empoigna et secoua vivement celle-ci.

Il l'accompagna jusqu'à la porte qu'il referma derrière lui dans un bruit sourd. Enfin seul. Lentement, il traversa l'immense pièce en repensant vaguement à leur conversation. Que croyait-il ? Que ses attaques bancales feraient flancher sa dernière entreprise concernant la propagation d'opium dans les fumeries des cantons voisins ? Foutaise. Enfin, ce n'était pas cela qui allait l'abattre et dégriser son moral. Ce soir, nous étions samedi ce qui signifiait qu'il allait faire comme à son habitude : aller au nord de la ville et se payer une bonne soirée en compagnie d'une femme et d'un bon verre de whisky dans un boudoir, un strip-club ou un bar tranquille.

Uriel jeta un coup d'oeil à la montre d'argent qu'il portait au poignée gauche. Cela allait bientôt faire une heure qu'il aurait dû être parti d'ici. Ses perles noires roulèrent sous ses paupières closes puis il se passa une main dans les cheveux. Enfin, il finit par sortir du bureau, après avoir attrapé sa veste blanche qu'il déposa sur ses épaules, bercé par l'illusion qu'il passerait une fin de soirée tout à fait calme. Il s'avança dans la rue, faisant claquer ses chaussures italiennes sur le sol de béton avant de tourner à droite d'une rue de l'île d’Aran et de s'enfoncer dans la nuit avec pour seule compagnie pendant ce voyage, sa solitude.

Pour une fois, le chemin lui parut moins long qu'à l’accoutumé et maintenant qu'il était dans cette large avenue bordée de magasins, il savait qu'il se fondait parfaitement dans la masse. Loin des autres servantès, il était presque un homme normal malgré cet aura qu'il dégageait, créant la peur chez autrui. Un simple homme d'affaire habillé d'un costume Armani, de chaussure italienne et à la cravate bien ancré autour du cou. Voilà de quoi il avait l'air. Et cela lui convenait totalement. Uriel arrivait enfin à quelques mètres du célèbre Strip-Club de la ville. Il s'arrêta aux portes du bâtiment et sortit un paquet de cigarette de sa poche. Il extirpa de quoi allumer sa Marlboro puis en en claquement, il referma son Dupont qu'il remit avec le paquet dans sa poche.

Vernon se retourna et scruta un à un de ses yeux de lynx les clients qu'il y avait dehors à l'entrée de la bâtisse. Son regard finit par s'arrêter sur une femme. Une proie ? Non... Il s'en serait bien rassasiée, car sa soif commençait à le titiller, mais la femme était elle aussi une vampire. D'ailleurs, ce n'était pas la première fois qu'il l’apercevait ici. Son physique atypique et ses costumes extravagants attisaient les convoitises. Les hommes semblaient murmurer à chacun de ses passages, d'autres n'hésitaient pas à la déshabiller du regard. Il était vrai qu'elle était intrigante. Peut-être même l'est-elle un peu trop, songea-t-il. À l'heure d'aujourd'hui, les canines pointues qu'ils étaient tous deux n'avaient rien à gagner à dévoiler leur véritable identité, si ce n'était la mort. En temps normal, Uriel nourrissait un désintéressement total pour les gens de son espèce. Cependant, il commença à se diriger vers cette jeune femme, allant à sa rencontre sous le regard de certains et certaines indiscrets qui le dévoraient lui-aussi des yeux avant de se planter devant son champ de vision.

- Vous attendez quelqu'un ?

Il marqua une pause. Toujours ce même rictus dessiné sur les lèvres, il termina sa phrase en un murmure tout en regardant à droite et à gauche. Comme si ce qu'il allait ajouter ne devait pas se faire savoir.

- Vous savez, entre nous, ce n'est pas bien malin d'attirer autant les regards sur soi lorsque notre condition actuelle nous demande le contraire.

Uriel finit par la regarder froidement droit dans les yeux, attendant sa réponse. Il l'a transperçait de part en part de cet effrayant regard dont lui seul avait le secret.Il ne pouvait chasser son instinct ainsi que ce côté qui terrifiait tant de monde. Mais après, voilà tout ce qu'il était lorsque l'on le connaissait bien ou pas : une personne terrifiante. Mais en réalité, il la dévorait littéralement des yeux..