Une histoire extraordinaire

TOUTES CES EPREUVES ONT FAIT CE QUE JE SUIS

histoire.

«Saint Petersburg»
Avril 1784

Ma vie à moi ne débuta pas différemment de celle de n'importe qui: dans la douleur et les cris. Je ne me souviendrais jamais des suivantes qui accompagnèrent ma mère tout au long du processus de naissance, ni même de toute l'agitation qui régna lorsqu'elle poussa son premier cri. Cris, douleur, panique et une inquiétude mêlée d'amour inconditionnel, ainsi furent passées les premières secondes de mon existence. Je suis née de parents qui avaient toujours été certains de ne jamais pouvoir procréer, tenter depuis des années sans pour autant y parvenir. Et maintenant que j'étais née, mon père se renfrogna un instant, comme pour faire le deuil de l'absence de descendance mâle, mais se ragaillardit bien rapidement à la vue de ma petite silhouette emaillotée et déposée au creux des bras de ma mère. A leurs yeux, j'étais bien rapidement devenue leur petit miracle,et une célébration eut lieu pour fêter ma naissance. De miracle, on ne parlait bientôt plus que de moi dans la demeure, et mon apparence de jeune ange avait sûrement dû y jouer également: une petite blonde était née, possédant la grâce de sa mère, mais avec les yeux immanquablement cristallins de son père qui avaient eu tant d'effet au yeux de lady Smirnova lorsqu'elle fut présentée pour la première fois à cet aristocrate charismatique.

Née dans une famille très aisée de la région de Saint Petersburg voici plus de deux siècles, je me suis rapidement démarquée par une intelligence vive et un désir d'apprendre et de m'affirmer auprès des miens. Dans le fond, à cette époque là, si la gent féminine ne cherchait pas à s'instruire, à apprendre, à se gaver de savoir, ce n'était pas la caste des hommes qui allaient se fatiguer à vous apprendre. Les femmes, bien souvent, n'étaient bonnes qu'à enfanter la descendance afin d'assurer la pérénité du nom de leur époux, et à s'occuper des enfants et de la maison. Non, si on voulait quelque chose, il fallait se lancer et faire le premier pas. Oser tenter, oser risquer, ne pas craindre l'échec et recommencer jusqu'à atteindre son but. J'étais très têtue déjà à cette époque, je tenais ça de ma mère. Bien que ma famille soit terriblement pieuse, ce n'était pas mon cas et bien que j'adhère au précepte de la virginité jusqu'au mariage, je ne pouvais m'empêcher de jouer avec la gent masculine du quartier dans laquelle se trouvait notre demeure. Je me savais belle et je brûlais de découvrir qui était prétendant assez pour oser clamer haut et fort posséder mon coeur. Pendant des mois, ils se succédèrent, demandant audience à mes parents alors qu'ils s'imaginaient déjà devant l'autel à m'entendre leur jurer fidélité à jamais et porter leurs enfants. Ils sortirent de chez moi, mais bien nombreux furent ceux qui ressortirent en n'ayant que leurs yeux pour pleurer. Mes parents désespéraient au point d'envisager de me marier de force à une famille rivale, scellant ainsi de forts liens de trêves et ouvrant la voie à un commerce entre les deux clans, mais je ne voulais rien entendre. Et une nuit, soudainement, tout bascula et mes désillusions furent balayées à jamais par un vent d'horreur qui continue encore aujourd'hui de me glacer...

Comment aurais-je pu deviner que la fierté masculine pouvait mener à de pareilles exactions? Que l'égo d'un homme rejeté par une dame pouvait être si blessé, surtout lorsque la plaie était un peu plus ouverte sous l'effet de l'alcool? Je n'aurais jamais pu le deviner, et encore moins présumer sur le niveau incroyable avec lequel un homme savait être lâche. Il m'a surprise alors que je rentrais chez moi d'une promenade nocturne, et me susurra à l'oreille que si je refusais de comprendre l'amour qu'il pouvait porter à mon égard, alors il me ferait réaliser à quel point ça pouvait également être un véritable cauchemar. Et moi, je n'étais pas de taille à me battre, ou même à le repousser, bien que ce n'était pas faute d'essayer. Je n'étais tout simplement pas forte assez et tout ce que je récoltais de mes essais furent des coups portés à répétition ainsi que la morsure d'un couteau dans mon épaule endolorie par le froid du sol sur lequel il me maintenait allongée. Un marchand me découvrit et fit fuir l'homme à coups de cris et de gestes brusques, mais le mal était fait et rien qui ne puisse être réalisé ou dit n'allait pouvoir changer le cours des évènements de cette nuit là.

Je me souviens du marchand qui m'avait hébergée pour la nuit, de son petit sourire franc et, l'espérait-il, réconfortant. Moi, je ne ressemblais plus à rien et bien que je n'allais pas refuser les soins qu'il me prodigua, j'étais bien trop hagard et sous le choc pour réellement prendre conscience de l'étendue des dégâts. Une seule chose ne cessait de résonner à mes oreilles: j'étais déshonorée et par extension, ma famille l'était également. Mon père avait beau avoir l'apparence du paternel aimant et attentif, il était également très à cheval sur les traditions, et avoir à offrir une fille qui n'était plus vierge à marier n'allait rien lui apporter. Il aurait certainement préféré que je soie morte pour lui éviter la honte que cela allait immanquablement faire naître. Ma mère, quant à elle, suivrait bien docilement les décisions de mon père, qu'importe de quoi il s'agissait. Le marchand devait encore rester en ville pour quelques temps, mais une caravane se dirigerait bien vite vers le sud et je demandais bien rapidement à m'y joindre. Je fus placée sous la garde d'une vieille dame, probablement une Romani. Ainsi commença ma nouvelle vie.

«Moscou»
Octobre 1811

C'est étrange, vraiment, à quel point la vie est faite de choses étranes: j'étais persuadé qu'il m'avait tout pris, volé mon honneur, ma vie, ou encore mon désir de vivre. Mais lorsque la vieille dame m'annonça un jour que je portais la vie, c'était quelqu'un avait ravivé la flamme dans un coeur qui laissait doucement mourir ses braises. Je donnais naissance à une fille, une enfant que je chéris plus que tout au monde, même si souvent les choses étaient loin d'être simples pour nous. Parfois, je comptais sur l'aide de la Romani pour m'aider à veiller sur ma petite Elena, alors je que faisais toujours autant que possible pour veiller à ce qu'elle ne manque de rien. Autant que possible, en tout cas. Aujourd'hui, je pourrais jurer entendre à nouveau mes pas claquer sur le vieux bois de notre petit logement de misère, mais je ne pensais pas pouvoir me rappeler à quel point mes jambes avaient été flageolantes alors que je m'approchais de plus en plus de mon but. Souvent, c'est en faisant face à l'horreur que nous prenons les décisions les plus difficiles, et celle que j'avais à prendre ne faisait pas exception. J'avais d'ailleurs évité de rentrer trop vite "à la maison" afin d'être sûre que ma fille soit endormie et que je n'aie pas à affronter ses yeux clairs qui ne manqueraient sûrement pas de sonder mon âme.

J'avais rencontré Sevastian il y a à peine deux semaines, et je connaissais parfaitement désormais sa nature véritable. Mais au lieu de m'en effrayer, je ne m'en trouvais que terriblement fascinée: ses démons ne m'avaient jamais fait peur, les Romani avaient même quelques légendes à leur sujet. Certes, ça n'avait rien de bien reluisant tout ça, mais au plus j'observais le vampire au moins j'étais convaincue de la véracité de ces dires. Se délectant apparemment de ma fascination, il me fit une offre que je pouvais difficilement refuser, surtout si l'on prenait en compte le fait qu'il me promettait une cure pour mon enfant souffrant d'un mal étrange depuis maintenant près d'un an et demi. Et moi, j'étais déchirée entre voir ma fille mourir en sachant que j'aurais pu la sauver, ou alors suivre Sevastian et devenir plus que ce que je suis actuellement, à son service, à ses côtés, sans pour autant être comme lui. Le fait de le suivre ne me faisait pas peur, c'était le prix à payer qui m'intimidait et me brisait le coeur: si j'acceptais de le suivre, je devais abandonner derrière moi tout ce que je connaissais et m'ouvrir pleinement à l'étreinte de cette vie nouvelle. Si ma fille serait sauvée, je n'étais pas destinée à vivre à ses côtés et cela me peina énormément. Mais dans le fond, j'étais persuadée que sa mort serait plus pénible que tout, aussi acceptais-je l'offre que Sevastian m'avait fait. Et c'est dans cet état d'esprit de joie à la pensée que ma fille vivrait, mêlée à la douleur de la séparation prochaine, que je me trouvais là en cette fraîche soirée d'octobre.

Un sourire tristement attendri se dessine sur mon visage lorsque j'aperçois la frêle silhouette couchée dans son lit, secouée de temps à autre par un toussotement soutenu. Immanquablement, comme si elle avait perçu ma présence malgré le silence de mort avec lequel j'étais entrée, elle se lève péniblement et moi je trouve encore à ravaler un sanglot avant d'achever en quelque pas la distance qui me séparent de son petit lit. Je m'assied sur le lit, le dos au mur, et doucement Elena vient poser sa petite tête sur mon coeur avant de refermer les yeux. Moi, je rive les miens au mur d'en face; je suis incapable de la regarder, parce que je sens que si je pose mon regard sur sa petite tête d'ange, ma détermination volerait en éclat et la conviction de faire ce qui est juste et nécessaire suivrait aussitôt. Très vite, trop vite, je dois la quitter, repartir, pour le bien de l'enfant. J'embrasse ses cheveux, retenant une larme qui ne désire rien d'autre qu'une belle mort dans la chevelure de ma fille et je sens très vite qu'elle s'est enfin rendormie alors que je l'observe encore un peu. J'avale cette vision angélique, j'embrasse le moindre détail de ce que je refusais d'abandonner à la mort. Je me suis précautionneusement levée et j'ai quitté la pièce, gravant la vision de mon enfant endormie dans un coin précieux de ma mémoire. Le pas que je fis ensuite à l'extérieur de l'appartement fut alors le dernier que je posais jamais en ces lieux...

Quelques heures plus tard, tout était prêt. Il me voulait, je le savais, et je mentirais si je disais que je ne le voulais pas aussi, quelque part. Dans le fond, ce n'était pas comme si j'étais totalement indifférente à lui et à choisir entre vivre loin de ma fille, avec lui ou la voir dépérir sans rien faire alors que j'aurais pu la sauver, le choix était vite fait. Et lorsque je vis plus tard la vieille Romani rentrer chez moi suite au mot que je lui avais laissé, je pleurais à nouveau en gardant à l'esprit la conviction que c'était la meilleure chose à faire. Déposant doucement la main sur la vitre de cet appartement minable d'où on avait une vue sur mon ancienne demeure, là où l'image d'un ange blond transparaissait, c'était comme si j'avais espéré poser ma main sur sa joue une dernière fois. Mais lorsque la froideur du carreau fut la seule chose qui accueillit ma main, je me détournais et partit pour ne plus me retourner.

Je partis retrouver Sevastian et lui fit offrande de ma vie. Lorsque je me suis offerte à lui, ce n'était pas en terme de sexe ou quoique ce soit de si "humain" et trivial: je me mettais à sa merci, ayant doucement appris à lui faire confiance et à désirer passer ma vie à ses côtés. Ma fille survivrait au Mal qui la rongeait et serait heureuse loin de moi, prise en charge par la famille qui avait pris si bien soin de moi, je vivrais l'esprit en paix en sachant cela et je pouvais donc me concentrer sur les désirs de Sevastian maintenant que les miens avaient été exaucés, et lui-même avait ce qu'il désirait.

Dans un curieux mélange de joie, de peine et de douleur, je souris...

test rp.

We stand up proud and tall
Refuse to take the fall
The flames are burning bright
Spread fire to the fight

Cela avait été une longue nuit. Trop longue, même, mais je ne pouvais être que ravie qu'elle était terminée. A croire que les gens n'allaient jamais vraiment apprendre, retenir: à quoi ça leur servait d'attaquer un club rempli à moitié de vampires, à tenter d'exorciser ces "démons" qui pourtant trouver matière à savoir séduire et complaire aux désirs de tant de leurs femmes? Ma main à couper que ces petits vieux étaient tout simplement jaloux. Parfaitement compréhensible, d'ailleurs. Mais vraiment, cela devenait de plus en plus stupide, voire carrément débile. Ah, ils étaient passés où, les doux jours où rien d'autre n'existait que Sevastian et moi? La Grande Révélation avait eu le chic de foutre un bordel royal dans l'ordre des choses, et ce n'était pas pour lui plaire. Ce soir encore, la suspicion et le dégoût avait mené un petit groupe d'humains à tenter de forcer l'entrée et si les videurs avaient su maintenir 6 assaillants, un petit dernier passa au travers des mailles du filet pour venir foutre son bordel à l'intérieur du club.

S'ensuivit les cris règlementaires, les femmes offusquées d'être interrompues dans leur soirée de fun (quoique certaines n'avaient même rien remarqué jusqu'à ce que leur strip-teaser vampire ne fasse un pas en arrière, révulsé par la présence d'objets de culte dans les environs immédiats... en l'occurrence, une petite croix. Saloperie d'humains, pourquoi ne pouvaient-ils pas foutre la paix aux vampires. Et après ils vont venir se plaindre d'avoir deux trous dans la carotide et d'avoir été saignés à blanc, mais il fallait avouer que ces ploucs le cherchait aussi. Je sais que ce n'était pas supposé être mon travail, je préférais de loin rester auprès de Sevastian et savourer avec lui la présence de ce jeune étudiant que je lui avais amené, mais je ne pouvais laisser le danger rôder si près de mon maître, alors je me suis occupée de cet olibrius, en le renvoyant non sans mal vers la sortie au milieu de ces femmes humaines crisant parce qu'elles avaient perdu 10 minutes de leur show. Et maintenant que tout est terminé, et que je ferme les entrées du club en qualité de seule employée en mesure de le faire une fois le jour levé, je siffle doucement de douleur avant de reporter ma main à niveau de mon regard... Une légère rougeur continuait d'irradier ma paume, vestige du contact avec le bijou religieux qui devait probablement contenir une fine quantité d'argent dans sa composition. Je détestais l'argent, il n'y en avait pas eu assez pour me brûler à proprement parler, mais ça picotait néanmoins.

Foutus humains...

famille.
Ma famille, pour autant que je le sache, est morte il y a une éternité de cela. Mon père et ma mère étaient tous les deux d'excellente naissance par rapport à la caste sociale dans laquelle nous vivions à l'époque, je possède donc également ce sang dit "bleu" pour je ne sais quelle raison. Je suis née avec une cuillère en argent dans la bouche, comme on dit, et malgré tous les essais qu'eut mon père pour avoir un fils, je fus la seule héritière de la famille. Même les catins qu'il prit ne lui donna jamais que des bâtardes, aussi abandonna-t-il au bout d'un moment.

Je sais que mon enfant a survécu, lorsque je l'ai abandonnée à son sort aux mains des Romani. Mais j'ignore ce qu'elle est devenue depuis. Si elle a trouvé l'amour à son tour, eut des enfants... si j'ai une descendance aujourd'hui, quelque part dans le monde. Je ne suis pas sûre qu'au fond, je veuille réellement le savoir...