➽ date et lieu de naissance. C'était il y a bien longtemps, un jour de pluie fine évoluant en tempête orageuse plus qu'exceptionnelle. Toute la seigneurie se doutait qu'un événement capital se déroulait au palais du Sidhe Feng. C'est de cette façon que l'on se souvient de sa date d'anniversaire, à la Cour d'Hiver : un soir de chaos mémorable, il y a de cela quatre siècles... ➽ nationalité. Féérique, cela va de soi ; mais les pauvres âmes ignorantes auront plutôt l'impression de rencontrer une américaine d'origine chinoise. ➽ camp. Le camp du bien, c'est nunuche ; quand on est neutre, on meurt d'ennui à ne rien faire ; le camp du Mal, c'est le must : des activités, de l'amusement, les cookies, chaque instant est différent de l'autre. Carpe diem : profite de l'instant présent, sans te soucier du lendemain... et de ses conséquences. ➽ type. Sidhe en exil pour des raisons si futiles. ➽ appartenance. Cour d'Hiver, cela s'entend. ➽ affiliation à la déesse de la souffrance : c'est une réelle satisfaction que d'être maître de sa propre douleur et de celle d'autrui. ➽ état civil. relation libre ➽ lieu d'habitation. une villa plutôt moderne au centre d'un énorme jardin bordé d'un majestueux grillage noir, dans le quartier résidentiel de Coven Garden. ➽ métier. administrateur du Silver Bullet et du Lilith Castle ➽ étiquette qui vous est collée. Femme d'affaires à la poigne de fer, mais au charisme ineffable qui vous rend vulnérable...

Quand on rencontre un inconnu dans la rue, on ne peut s'empêcher de le juger sur son apparence, l'impression générale que dégage cette personne, avec au final la déduction de son caractère. Pourtant, concernant Shan Lei, il existe un gouffre entre ce qu'elle paraît et ce qu'elle est. De fait, cette jeune asiatique, dont les traits fins sont comme tracés avec légèreté et assurance au pinceau de lavis, possède une physionomie courtoise et bienveillante, voire même affable ; son profond regard amène, peut-être même rieur ou complice, vous enchantera à la seconde où vous le rencontrerez. Pourtant, vous serez tellement loin de la réalité, à savoir du ressentiment qui la nourrit quotidiennement, de son caractère fielleux et insensible dont elle est dotée. Certes, Shan, de par son éloquence et son art inné de la manipulation, sans oublier ce charisme qui la détermine tant, vous paraîtra compréhensive et de connivence avec vous : intriguée par vos aspirations, elle vous tendra la main ou les deux bras pour vous tirer d'un mauvais trépas grâce à sa générosité, penserez-vous ; et bien évidemment, tellement reconnaissant pour son aide, vous accepterez de la dédommager en contre-partie... sauf que vous vous trompez. Ce que vous lui offrez, elle ne le vous rendra pas, et elle adorera vous avoir sous son joug. Vous n'êtes qu'un objet, un jouet, un trophée à ses yeux. Vous n'êtes rien, et elle est tout ; et vous saurez, à cet instant-là, que vous avez été dupe. Shan Lei, au-delà de ses airs de fée majestueuse, n'a de munifience que pour elle ; la somptuosité de son être, la magnificience de ses dons, le faste de son existence n'est que ténèbres et tourments. Elle se nourrit de vos larmes et se régale de votre douleur ; elle vous laissera plonger dans la démence et le désespoir sans sourciller, détachée et glaciale. Vous regretterez avoir été si faible face à son intelligence caustique ainsi qu'à sa fourberie, et vous ne verrez en elle qu'une sycophante inexpiable, susceptible et intransigeante sur ses désirs, profondément impliquée dans chacun de ses projets les plus fous et les plus démoniaques, celle qui vous aura dominé cette fois-là, mais qui vous dominera encore demain, la semaine prochaine et bien après... Car malgré la crainte, vous reviendrez à elle comme guidé par sa force et aveuglé par sa beauté ; et elle ne se privera jamais de ses tendances affidées ni de sa perfide cruauté envers vous. Vous lui appartenez, et vous n'y pourrez plus rien.

Shan Lei est le genre de personne à toujours avoir un emploi du temps organisé. Le moindre soupir est contrôlé. Evidemment, elle passe énormément de temps pour le Lilith Castle et pour le Silver Bullet, car être à la tête de deux boîtes qui marchent est une énorme responsabilité à laquelle nombre préférait rendre son tablier ; mais pas Shan. Etant une femme d'affaires d'exception, elle adore s'occuper de ses comptes et pouvoir retrancher plusieurs observations faites à des endroits différents. Quand elle ne travaille pas dans l'administration, elle se fait plaisir et va faire un tour ailleurs en quête d'une âme à condamner, son passe-temps préféré, cela va de soi... et pas besoin de devoir bêtement sillonner un lycée ou les cafés pour trouver ses victimes, elle les attire durant ses occupations favorites - assise sur la terrasse d'un restaurant à siroter son cocktail, durant son shopping,... Après quoi, si la pêche est mauvaise, sa journée ne sera pas gâchée pour autant. Shan Lei étant quelqu'un de très indépendant, elle ne passe pas beaucoup de temps à sortir avec des amis. En réalité, elle n'a pas vraiment d'amis très proches, bien qu'elle recense beaucoup de connaissances alliées - incluant bien entendu ses deux comparses infernales qui fondèrent le Lilith Castle avec elle. Ce triummulierat, si on peut dire, est le plus machiavélique de toutes les associations connues dans la région, ou peut-être même dans le monde. Il arrive donc à ces trois diablesses de se retrouver pour une journée de folie... Mais on ne saurait vous décrire leurs occupations car personne n'est revenu témoin, et vivant, de ces plans diaboliques.

S'il y a bien quelque chose que Shan Lei adore, c'est le luxe et la luxure. Le luxe se remarque aisément à travers ses accessoires de marques et aux multiples bolides qu'elle conduit de jour comme de nuit : des voitures de collection, les derniers modèles, tout y passe tant que c'est à son goût. Parfois elle se lasse de ces choses, et a coutume de les offrir au prochain convoiteur qui pactisera avec elle ; mais il n'est pas question de se séparer de ses fétiches, comme sa Ford Mustang fastback de 69 ou sa bonne Porsche 924 couleur vermeille, ou encore la toute dernière Camaro par Chevy. Pour en profiter pleinement, elle les expose même dans le living de sa grande demeure comme si le garage était derrière une vitrine. Cette déco suscite pas mal de chuchotements de la part de ses visiteurs étonnés et comblés, aussi rares soient-ils. Avec une pareille écurie, on ne fait pas de petite promenade peinarde dans les rues de Shreveport ; bien entendu, tous ces chevaux ont besoin de se défouler, et c'est pourquoi vous verrez souvent Shan Lei conduire au-delà de la limite autorisée. Déjà à la Féérie, cette Sidhe aimait la vitesse sur ses créatures d'exception, il était évident que dans ce monde elle ne se reconvertirait pas.
Assez parlé de son côté luxe, passons à la luxure : Shan Lei aime évidemment séduire et se sentir désirée, elle ne refuse jamais qu'un bellâtre ne se glisse sous ses draps en sa compagnie. Par contre, jamais elle ne vous cèdera son coeur, non pas parce qu'elle en est incapable tant sa cruauté est grande, mais parce qu'il s'agit d'une ancienne blessure qu'elle ne voudrait faire rouvrir. En effet, autrefois en Féérie, Shan Lei s'était promise à un Fey qui n'était finalement pas aussi fort qu'elle l'aurait voulu. Aujourd'hui, elle ne veut plus y penser ni même laisser l'espoir de recommencer une belle histoire avec un autre - qu'il s'agisse d'un homme, d'un sorcier, d'un médium, d'un vampire ou toute autre créature que ce soit, ce sera non. En fait, elle fera même croire qu'elle est dépourvue de coeur ou de ces sentiments qu'elle dénigre. Aussi, c'est la raison pour laquelle elle oscille entre chaleur et froideur tandis qu'elle abandonne ses amants dans l'indifférence. C'est sa manière de fuir le passé et de l'enterrer. Elle n'est, par contre, pas gênée de cumuler les amants, ce qui la gonfle d'orgueil et de fierté : se sentir désirée est un sentiment qu'elle apprécie énormément et tend à la satisfaire d'avoir été libérée de son mariage.
Hormis ces deux occupations qu'elle chérit, il en existe bien d'autres. Une activité à ne pas négliger est la chasse : en Féérie, Shan Lei était reconnue pour avoir une cavalerie d'exception avec laquelle elle chassait dans les bois enchantés. Son but n'était pas de tuer, au contraire : il s'agissait de traque, avant-tout, et de ramener le trophée dans son palais ; souvent, elle effectuait du commerce ou des échanges, et certains ne voulaient même pas imaginer jusqu'où elle était capable d'aller pour satisfaire ses idées. Aujourd'hui, elle ne songe plus de trop à cette activité de Sidhe : il lui sied de traquer des hommes, à l'occasion, mais elle est trop préoccupée par ses responsabilités d'administrateur que pour le faire à longueur de journée. Elle réserve également aux chasseurs la primeur d'être le gibier s'ils devaient s'attaquer à elle injustement puisque, il fallait bien le dire, elle ne faisait rien de mal sans le consentement de sa victime.
Shan n'étant pas quelqu'un qui se satisfait uniquement d'activité physique, la Fey est avide de savoir et se plaît à dévorer toutes sortes d'oeuvres. Depuis la philosophie jusqu'aux sciences, en passant par les divers textes de l'Antiquité, cette demoiselle vous étonnera par toutes ses connaissances. Cette culture générale d'exception fait partie de ses meilleures armes pour embobiner son prochain ; une fois son savoir joint à son éloquence fort remarquable, ses boniments de talent auront tôt fait de circonvenir son interlocuteur.
Enfin comme la plupart des Feys, Shan Lei apprécie énormément la nature. Respectueuse de ce qu'elle considère comme une mère - qui, dit-elle, materne, nourrit, enseigne, protège et punit - la seigneur Sidhe ne tolèrera pas l'imbécile qui la souillera. Parfois, à la fin de la journée, elle se rappelle qu'elle vit aussi irrespectueusement que les hommes vis-à-vis de la nature et maugrée ses envies. La nature humaine est bien plus faible que celle de Féérie, mais elle ne voudrait pas l'abîmer pour autant. Dans le jardin de Shan ? Bois, arbres fruitiers et autres végétations sont omniprésents. La Fey apprécie également de se percher sur la branche d'un arbre pour observer les alentours, ou encore cueillir des cerises du Nord bien pourpre - ses préférées - pour en faire des clafoutis. Cela vous étonne ? Il s'agit de l'un de ses péchés mignons : les petits gâteaux...

Shan Lei était une seigneur très respectée non seulement pour sa beauté extraordinaire mais aussi pour son hostilité reconnue dans toute la Cour d'Hiver. Elle était très jalousée par la reine, qui d'ailleurs fit tout pour ébranler cette rare Sidhe à ne pas lui lécher les pieds. Cependant, on peut être la Dame de la Cour d'Hiver, mais on ne peut user de son pouvoir de souverraine à tout va : la reine avait les poignets liés, et ne pouvait chasser cette concurrente d'un revers de la main comme on le fait pour éloigner une mouche agaçante ; c'est pourquoi elle mit en place quelques stratagèmes afin de déshonnorer Shan Lei. Mais cette dernière, sans doute plus maligne que la Dame de la Cour elle-même, déjoua les complots avec brio. Elle ne se laissait jamais amadouer par les multiples talents des Feys que la reine lui envoyait, elle anticipait chacun de ses mauvais plans dont le but était de l'éliminer ; Shan Lei se doutait depuis longtemps que la souverraine ne la portait pas dans son coeur et c'est pourquoi elle s'était toujours préparée à des attaques de la sorte. Au sein de la Cour d'Hiver, peu de Feys se doutaient de la guerre discrète que se livraient les deux créatures. La haine que cultivait la Dame de la Cour grandissait comme un feu ardent que l'on irrite en le nourrissant de feuilles et d'oxygène ; craignant néanmoins que sa rivale ne soit aussi bonne stratège qu'elle ne l'était pour contrer ses plans, la monarque n'osait pas la défier ouvertement car, quelque soit le défi, la reine craignait la défaite face à la Sidhe et préférait user de sa fourberie pour être définitivement débarrassée de cette Fey trop parfaite. En fait, elle fit plutôt appel à sa fille, la Demoiselle de la Cour d'Hiver qui était bien plus cruelle que sa propre mère. La seigneur ne la craignait pas beaucoup plus, pourtant, se trouvant davantage plus futée que ces deux Feys réunies. Cependant, l'amant officiel de Shan Lei n'était pas aussi intelligent et méfiant que ne l'était la Sidhe : il l'a trahie avec la Demoiselle d'Hiver, souillant à la fois sa propre réputation et celle de Shan qui fut, dès lors, exilée. Ce qui la rendit plus furibonde fut l'ignorance des autres Feys vis-à-vis de cette sentence. La reine avait tous les pouvoirs, et elle avait réussi à l'écraser sans tacher le marbre de son palais... Mais pour Shan, rien n'était gagné. Elle n'était qu'exilée dans un monde qu'elle connaissait un peu, chez qui elle avait déjà nombre de petites âmes asservies prêtes à faire ce qu'elle voulait - obéir, jouer, pactiser - et il ne lui faudrait qu'un peu de temps pour revenir : un peu de temps pour grandir, pour devenir plus forte, plus rusée, plus cruelle ; davantage de temps avant de retourner à la Cour d'Hiver avec un plan machiavélique et des plus exceptionnels qui allait entrer dans l'Histoire de la Féérie... Un peu de temps avant de revenir pour se venger : elle voulait que la Dame de la Cour et sa fille se souviennent de la salinité de leurs larmes, de la tièdeur de leur sang et du goût amer de la vengeance de Shan Lei.

Durant la révélation, Shan Lei n'avait pas encore été exilée de Féérie. Bien entendu, elle avait été mise au courant de tout ce remue-ménage grâce à ses petites visites occasionnelles, mais elle n'avait que faire de ces blablatages. Lorsque Shan fut condamnée à vivre ailleurs qu'en Féérie, elle a davantage réfléchi à la question : la concernant, elle n'avait aucun souci à se faire. Il n'y avait que sa magnificience qui ne pouvait être remarquée, tandis que la révélation ne donnait aucun indice concernant ses origines. Aucun humain ne croit aux fées, non ? Seuls les êtres dotés de pouvoirs pouvaient peut-être la démasquer, et même si c'était le cas, elle n'avait pas à s'en faire. Par contre, il existait tout de même de très gros points positifs à la révélation : les petits êtres humains n'allaient pas accueillir des vampires à bras ouverts, tous n'étaient pas des têtes brûlées. Il allait y avoir quelques remous, elle en était convaincue : les habitudes allaient changer, les gens allaient avoir peur. En effet, la méfiance était presque omniprésente à Shreveport et nombre de bons citoyens circonspects avaient fait le choix de passer un pacte avec elle en échange d'un peu de sécurité, ou de l'illusion d'être à l'abri. Shan Lei répondit présente, bien évidemment : et c'est ainsi qu'elle prit goût à la vie dans ce monde d'humains, en s'insinuant sournoisement tel un serpent entre les histoires de ces êtres dérisoires... mais si divertissants. Lorsque le chaos s'instaura, Shan dut s'avouer qu'elle en tirait une immense satisfaction. Cette atmosphère de crainte ubiquitaire était un sentiment jouissif si bien qu'elle marquait toutes ces réjouissances au Lilith Castle, qui connut un succès énorme et dont la réputation ne va qu'en s'accroissant depuis.
Récemment, Shan a pris connaissance d'une certaine prophétie qui suscite en elle un réel intérêt. Sa curiosité étant piquée à vif, la Fey cherche à pister quelques membres de cette secte que l'on surnomme Tenebrae et qui est en possession de secrets tous les plus intriguants les uns que les autres... Si elle pouvait mettre la main sur l'un de ses membres et conclure un marché avec lui, peut-être pourrait-elle manipuler le futur de ce monde comme elle l'entendrait.

Hormis sa magnificience et son éloquence exemplaires ? Il en existe, mais seul un bon observateur pourra le remarquer. En bonne asiatique qu'elle est, Shan a du mal à cicatriser. Bien sûr, étant une Fey, elle ne présente pas de cicatrices aussi présentes que celles des humains ; ses marques demeurent peu visibles, sauf une : la signature toute imprimée d'un vieux rival, Madrigal, dont le M enluminé persiste sur la peau de la Sidhe alors que le fer n'avait même pas été chauffé à blanc. La marque se situe dans le creux de son triangle cervical postérieur droit.

Les ténèbres avaient fait place. L'obscurité était totale et compromettante pour ses plans ; l'avancée se faisait de plus en plus périlleuse. Seul le mur refroidi de la grotte guidait Shan Lei dans son évolution : les aspérités, les courbes, les petits creux lui rappelaient qu'elle n'était pas totalement perdue. Il fallait aller de l'avant, un pas après l'autre, en prenant soin de ne pas se faire remarquer en râpant le sol rocailleux qui se présentait à la Sidhe. Un dernier hurlement retentit loin derrière elle, l'immobilisant un tiers de seconde : oui, dorénavant, elle était probablement la seule survivante. Tous ses alliés avaient été éliminés.
Le silence complet qui s'installa instantanément sembla lui peser sur les épaules. Pourquoi s'entêtait-elle à avancer ? Elle avait oublié, mais elle savait que sa présence exigeait une raison valable ; c'est pourquoi la seigneur ne freinait pas son voyage. La Fey perçut enfin quelques bribes de voix et prit la décision de se diriger vers la source. Son avancée était maladroite et tremblante, sans doute dûe à cette fraîcheur, mais peut-être aussi à la tension exagérée de ses muscles en alerte. De la peur ? Partout, on raconte que la Sidhe Feng ne craint rien, pas même la maladie, la souffrance ou la mort. Elle était une guerrière acharnée et impitoyable ; pourquoi prendrait-elle peur maintenant ? A moins d'un mauvais pressentiment, Shan était toujours la première à amorcer le pas.
Elle y était : sans peine, elle reconnut la voix tonitruante de Madrigal, l'assassin de son père. Pendant longtemps, on s'était demandés s'il était mort ou demeurait toujours vivant, caché et en cavale quelque part en Féérie ; Shan Lei l'avait longtemps poursuivi et avait mis sa seigneurie à sac pour venger son père. Elle avait échafaudé un plan extraordinaire mêlant Feys et humains, avec lesquels elle avait pactisé il y a bien longtemps de cela, afin de coincer ce seigneur impuni. Pendant longtemps, on l'avait cru mort... et le voilà de retour. Shan serra les dents et s'obligea à rester concentrée, car la voix de son interlocuteur était bien plus rare, et moins perceptible. Toutefois, lorsque le Sidhe s'arrêta enfin de parler après une interrogation, la Fey reconnut sans peine qui répondit : c'était la reine, la Dame de la Cour d'Hiver. Shan Lei l'insulta tout bas avant de se résoudre à partir comme elle jugeait son lieu d'observation, une corniche glissante et légèrement à découvert, trop dangereux pour elle. Mais elle ne trouva rien de plus probant et s'éloigna un peu, retrouvant la pénombre pendant quelques instants. Elle parvint enfin dans une zone éclairée par des torches en lévitation ainsi que par des lucioles qui se coursaient d'un bout à l'autre, offrant un joli spectacle de lumières. L'appel de la vue se fit plus forte, et elle rentra dans cette caverne illuminée avant de se pétrifier : face à elle, là-bas, tout en bas, deux corps nus s'entrelaçaient passionnément et mouvaient au rythme de leurs grondements de plénitude. Shan vit que la Demoiselle d'Hiver, la cruelle fille de la reine entendue précédemment, entourait de ses cuisses les hanches pâles d'un seigneur que la Fey connaissait bien : son mari, Hathor. Cela ne faisait pas six mois qu'ils s'étaient unis officiellement qu'il la trompait déjà. Pire encore, cela faisait même plus longtemps que Shan Lei livrait une bataille sans fin contre la reine, cette dernière voulant absolument l'éliminer de sa vue. La colère et la déception compressèrent son coeur si bien qu'elle eut l'impression que des ronces s'occupaient de l'étouffer. Que fallait-il faire ? Les muscles bandés de Shan étaient prêts à se propulser sur ces deux corps afin de les transpercer de sa lame ; au moment où elle amorça le mouvement, des Unseelies apparurent promptement et s'emparèrent d'elle. Sans attendre, elle se concentra pour lutter autant physiquement en se débattant, que mentalement en faisant appel à ses pouvoirs de Sidhe : mais rien n'y fit. Rien de probant ne vint, en réalité ; et voilà que la reine apparaissait, seule et dans toute sa splendeur, les muscles du visage crispé par la sévérité. Lorsque son regard dur se posa sur Shan Lei, son air austère se radoucit comme une mère qui s'apprête à expliquer doucement à son enfant que son action était mauvaise : « Eh bien, ma chère Shan Lei ? Que me servez-vous sur un plateau d'argent ? » Le ton mielleux de la souveraine écœurait profondément la Sidhe qui ne pouvait s'empêcher de froncer les sourcils et les commissures. « Tentative d'assassinat ! » rétorqua fièrement la princesse en repoussant nonchalamment son amant. Cependant sa mère la fit taire d'un vif mouvement de la main, et lui gronda d'aller se couvrir rapidement au lieu de rester plantée au milieu d'une trentaine de Feys et ce complètement nue. Shan eut alors un léger rictus à peine perceptible, mais sa délectation fut éphémère. « L'accusation que porte ma fille à votre propos est grave. » continua-t-elle en redevenant aussitôt plus sincère et malfaisante. « Si, pour vous, avancer vers son propre mari en plein acte sexuel avec une autre est à chaque fois une tentative d'assassinat, je demande à voir la suite ! » La reine se posa. « Oh, je vois. Votre mari vient de vous tromper. » Elle se tourna vers le fautif, l'oeil furibond. Hathor, qui se voulait tellement fort et respecté, recula d'un pas effrayé en baissant le menton. Qu'il était misérable, nu comme un vers, sali par la honte, le regard coupable ! La souveraine prit un air autoritaire, qui semblait être davantage de l'esbroufe que de la sévérité : « Vous êtes passible de torture, ou mêmes des abysses, Hathor. Tromper... c'est une traîtrise. Vous avez trahi la Sidhe Feng, vous avez trahi un seigneur de ma Cour, vous êtes coupable ! » Le son résonna dans la caverne avec puissance. Shan trouvait que ce ton montant était tellement faux qu'elle songea qu'Hathor devait se moquer ; mais, à sa grande surprise, le fautif avait l'air paniqué et la Fey pouvait lire aisément dans son regard qu'il cherchait après une issue pour s'en sortir. Les abysses... la torture... il s'agissait là de sentences très graves. « À moins que vous ne m'offrez quelque chose qui puisse vous racheter. » Les poils de Shan se hérissèrent en entendant la voix radoucie de la reine. À quoi jouait-elle ? Elle avait un plan, sans aucun doute. « Je suis convaincue qu'il existe nombre d'injustices non punies. Allez, je suis dans un jour de bonté : une punition contre une autre. Offrez-moi un coupable, et je vous offre l'amnistie. Qu'en dites-vous ? » Voyant que le Sidhe ne disait toujours rien, elle le pressa d'un faux soupir et d'un départ amorcé. « Il y a ce Fey, Scudy... c'est lui qui a monté la mutinerie, il y a cinq ans. Il est le responsable ! » Si elle avait eu une moustache, la Dame de la Cour se la serait probablement caressée. « Bien, cela n'est pas négligeable, mais ne vous épargnera pas du siècle de torture à venir. Allons Hathor, je suis convaincue qu'en réfléchissant un peu, vous saurez trouver de quoi rétablir l'ordre. Vous êtes quelqu'un d'intelligent, et vous avez l'âme d'un Sidhe, non pas d'un condamné : vous êtes plus fort que cela, vous pouvez me donner quelque chose d'autre. » Mais comme la réponse tardait, la reine durcit ses traits et déclara d'un ton plus solennel : « Bien. Cent années de torture, ce n'est pas dramatique, et vous réfléchirez à deux fois avant de tromper votre épouse, même si c'est pour la troquer avec une créature aussi charmante que celle issue de ma chair. Et je vous promets de rendre votre titre si vous n'implorez pas la mort... comme tout bon seigneur ! » « Attendez. » Il lança un regard inquiet vers Shan, regrettant déjà ce qu'il s'apprêtait à dire pour son salut ; la Sidhe sentit immédiatement un mauvais pressentiment. « La Sidhe Feng est coupable de la mort de son père. » Elle bondit. « C'est une pure invention de ton imagination ! Hathor, comment pourrais-je assassiner mon défunt père qui m'a tout donné ? » « Défunt père qui avait promis de te céder la seigneurie s'il devait mourir » renchérit la Demoiselle de la Cour d'un ton moqueur. « Ce qui fut le cas la minute suivant son dernier soupir » « Madrigal est coupable de sa disparition ! » hurla Shan de rage « et jamais, Ô grand jamais, la Cour d'Hiver ne s'est engagée à le poursuivre ou à le punir ! » « Madrigal a également péri de ta main. » renchérit Hathor, voyant à la mine ravie de la reine que sa clémence grandissait davantage au fil du débat. « Tissu de mensonges ! Je ne l'ai pas tué de mes mains, et malheureusement ! Mais je sais qu'il est vivant, pour l'avoir vu aux côtés de Sa Majesté, il y a de cela quelques instants ! » Un souffle perturbé parcourut tous les Unseelies présents. La colère de Shan était si noire qu'elle parvenait à se faire craindre des Feys qui les entouraient, des gardes qui la maintenaient ; un simple regard les faisait chanceler. Certains semblaient même convaincus par la Sidhe ; mais la souveraine eut tôt fait de remarquer cette situation qui virait mal. Elle se dépêcha de prendre une décision et réclama le calme en soulevant vivement la main : « Il suffit. Je vais procéder aux sentences : Shan Lei Feng, vous m'avez énormément déçue. Je vous considérais comme faisant partie de l'élite des seigneurs : vous venez de me démontrer le contraire. » Shan pinça les lèvres, consciente de toute l'hypocrisie que témoignait la souveraine à son égard. « Il semble être impossible de vous inculper des meurtres de votre père et du seigneur Madrigal, mais pour ne pas avoir réussi à garder votre mari auprès de vous, je vous condamne à quitter Féérie sur le champ en n'emportant rien d'autre que ce que vous portez sur vous. Le monde des humains sera votre hôte. » Elle fut interloquée. « Hathor Griggs, pour avoir été infidèle à votre épouse et pour avoir omis de partager des informations d'importance capitale à la Cour d'Hiver, je vous condamne à une durée indéterminée de torture. Vous serez libéré de votre pénitence par la mort que vous offrira celui qui acceptera de soulager un traître, un menteur et un adultère. » La terreur était à son comble, mais sans tarder, les coupables étaient emmenés. Un jeu d'éclairs et de lumières commença, et puis... Plus rien.

Shan Lei ouvrit les yeux vivement et se releva brusquement. Elle était dans son lit, toute trempée et haletante, et prit quelques instants avant de se rendre compte qu'elle venait de rêver. Encore la même scène se déroulant d'une autre façon. Comme il était étrange que cette période cruciale et décisive de son existence revienne sans cesse avec quelques variantes propres aux rêves et aux cauchemars. Ici, tout se déroulait dans une grotte, la semaine passée ils étaient tous sur une île... Les choses étaient différentes, sans qu'il n'y ait de différence réelle. La Fey se disait que son subconscient lui repassait cette scène pour entretenir son ressentiment et sa vengeance ; pour sûr, Shan ne songerait qu'à cela pendant toute la journée qui allait suivre.
Elle s'extirpa de ses draps avant de se rendre compte d'une présence masculine profondément endormie partageant son lit. Elle se souvint alors d'avoir conclu un marché avec cet humain - il voulait vivre aux Caraïbes pour le restant de ses jours. En échange ? Il lui offrait de la coke. Des kilos de cocaïne, certes, mais pas si pure que cela. Shan ne savait pas tout de lui, seulement qu'il était une mule dans la ville ; et encore, ceux qui ne l'ignoraient pas se comptaient sur les doigts de la main. C'était un atout pour les dealers, jusqu'à ce que le bougre ne la rencontre. Son taux de testostérone avait également explosé par la même occasion. Shan cherchait justement ce genre de marchandises pour l'un de ses plans ; tout tombait à pic. Elle décida de céder un paquet de cocaïne à cette mule avant d'exaucer son voeu : si les autorités locales trouvaient ce bellâtre nu, endormi et détenteur de drogue, sans doute qu'il serait condamné pour quelques années aux Caraïbes. Une chose de réglée, passons à la suivante.
Durant tous ses préparatifs du matin, elle avait énuméré mentalement le plan de la journée. Tout était clair et net dans sa tête : il lui faudrait réaliser toutes ces occupations si elle ne voulait prendre de retard nulle part. Le moindre détail était précis dans sa tête. Réellement ? Non : elle fut confrontée à un problème majeur en arrivant dans le living de sa charmante demeure : face à elle, bien rangées et paisibles, cinq voitures de luxe patientaient. Elles semblaient encore endormies, tout en présageant intimement le calme avant la tempête. Shan devait choisir son destrier, et se mordit sensuellement la lèvre inférieure en ne sachant pas laquelle prendre. Toutes lui faisaient les yeux doux... avant qu'elle ne se rende compte que sa bonne vieille Porsche était assortie à sa tenue du jour. Tandis qu'elle atteignait la portière, clefs à la main, elle pila en observant la somptueuse carrosserie lugubre de la Mustang garée à côté. Non, tout compte fait, elle préférait s'éclater avec sa muscle car : celle-là avait un ronronnement divin digne d'un félin qui n'avait plus faim.
Les aiguilles couraient à vive allure sur les horloges et jamais Shan Lei ne semblait fatiguée. Elle avait passé sa matinée au Lilith Castle, cloîtrée dans son bureau à faire ses factures et ses comptes, à remarquer les petits trucs louches, à se féliciter d'avoir pris une bonne initiative ces derniers jours. Il lui arrivait également de travailler là-bas pour le Silver Bullet, dont le bureau était nettement plus agréable et spacieux que celui de la boutique d'armes. Il y avait beaucoup de choses à faire dans ce magasin de Stoner Hill ! Il était loin de toute la propreté du Lilith Castle, enfin, tout du mois celui du - grand et haut - rez-de-chaussée. Là-bas au-dessus, tout n'était pas si design qu'en bas. Enfin, le renouvellement des lieux était à revoir avec ses deux autres comparses qui avaient également leur mot à dire. De toute façon, la prochaine cible de Shan était le Silver Bullet : elle avait vraiment envie de récupérer cette boutique pour elle seule, de contrôler toutes les manigances et de veiller au grain... Oui, le rôle qu'avait ce Pyotr Markovnikov était plus que jouissif, et Shan avait fait preuve de beaucoup de psychologie, de manipulation, de séduction pour aider ce magouilleur du Silver Bullet. En fait, Shan avait plutôt séduit son fils, Alexei, un Russe taillé en V au visage bien plus doux que ceux de ses semblables. Il ne ressemblait en rien à son géniteur aux traits durs, aux rides profondes et à la peau constamment poussiéreuse. Alexei était un beau trophée, mais il était surtout la clef de la boutique. Grâce à lui, cela faisait maintenant presqu'un an que la Fey travaillait pour Pyotr. Pauvre type. Il n'était rien face à ceux qui venaient s'armer, et pourtant il s'entêtait à paraître le maître de la poudre à canon. Il ne cessait de se vanter que son commerce allait au mieux malgré la crise omniprésente dûe à cette satanée révélation. Mais quel imbécile... Ne se rendait-il pas compte qu'il devait ses bénéfices à celle qui supportaient son refrain continu ? Shan Lei avait incité le bougre à vendre dans l'illégalité, chose que le bon Pyotr faisait rarement. Mais la révélation arrivée, cette solution était son salut s'il ne voulait pas que son affaire ne s'effondre tel un château de cartes. Le chaos se répandant, il avait été le premier, et depuis demeure l'élite des vendeurs d'armes. Jamais il n'avait avoué que cette idée n'était pas la sienne, et Shan s'étonne toujours de pas encore l'avoir fait noyer dans son propre sang. En fait, la Fey avait d'autres projets qu'elle comptait mener à bien d'où tous ses efforts pour paraître la petite amie idéale d'Alexei, malgré les nombreuses absences de ce jeune russe aux études à Atlanta, aux yeux de la famille Markovnikov. Avec succès : jamais Pyotr n'aurait accepté une jeune fille derrière le comptoir de sa boutique. Mais Shan Lei avait quelque chose de différent... Elle était Ô combien magnifique et charismatique, de vrais atouts pour séduire la clientèle, même des gros durs comme ils étaient en majorité. En fait, ces derniers étaient souvent les plus cochons ; et ils étaient ravis de recevoir une petite carte leur permettant de se rendre au Lilith Castle avec plein d'avantages différents. Cela, Pyotr n'en avait aucune idée ; encore une fois, il ne se rendait compte de rien, comme un gros cheval de trait dont on couvre le regard d'œillères. Il savait par contre qu'elle avait des facilités pour tenir les comptes et anticiper. Dorénavant, c'était la petite Shan qui s'occupait du travail moins drôle, et c'était Pyotr qui se mettait au courant de toutes les magouilles du moments. Parfois, quand il n'y avait plus personne dans la boutique, il vantait tous les secrets qu'on lui racontait : « Ha, si tu savais ce qu'on vient de m'apprendre ! Mais je ne peux pas te le dire, hahaha ! Est-ce que tu imagines vraiment ce trou du cul percer la sale gueule de Tonuzzi ? » Tonuzzi était un italien très dur à cuir, avec sa veste noire et ses rangers sombres. Il avait toutefois des yeux azurin qui contrastaient énormément avec la tenue vestimentaire généralement si funeste que le ténébreux portait. D'origine sicilienne, disait-on, il avait le sang très chaud et aimait que tout soit fait à sa mode, que personne ne l'embête. Des ennemis ? Il en avait des tonnes, à peu près comme tout le monde dans Stoner Hill. « Hé mais, tu sais pas quoi ! Il y a Zavettieri, tu vois, le bon pote à Tonuzzi, ce gros friqué qui roule en Maserati toute la journée pour la frime ; il est venu me chercher un flingue ce matin. Ouais mais ce p'tit bourge voulait pas d'un Glock à la con, rien à foutre que ce soit un rare modèle qui tire sous l'eau, non non il voulait de la bonne ! Ouais bah j'ai compris hein, j'ai pas toujours l'air malin mais mieux vaut se méfier des apparences, je lui ai proposé un Beretta, un truc de son pays. Mais tu sais pas ce qu'il a rétorqué ce connard ? » Shan n'avait nullement besoin de lui répondre : le russe, une fois lancé, poursuivait son blablatage jusqu'au prochain client. « Il a dit : Mais me'ssieur, vous né comprenez pas, je veux' quelqué chose de beau' è de raff'iné, j'en ai rien à fouttré de ton Beretta dé mes deux, uno ball' ça mé suffit ! Arrête de mé prendre pour un minchia, ok ? Haha ma petite, t'imagines pas comme j'ai eu du mal pour ne pas lui rire à la gueule, pauv' mec incapable de me sortir une phrase d'anglais normale ! » Elle omit de lui dire que lui-même avait un accent prononcé ; en attendant la fin de son histoire, elle déballait un petit coffret de bois qui avait été soigneusement enroulé dans du papier bulle tandis que l'autre poursuivait : « Alors je lui ai proposé un revolver plutôt qu'un pistolet, je lui ai mis un Magnum de calibre 357 sous le pif, et là le rupin ouvre grand ses yeux, recule et bat des mains comme si le Colt allait lui sauter à la face : No no c'est trop grand'é, c'est trop, trop ! Le couillon, au final j'ai réussi à lui faire acheter le mini Colt détective, t'sais, celui de calibre 38, le Special. Je suis trop fier, j'lui ai vendu double du prix ! Haha ! Non mais celui-là. Attends, il savait pas ce qu'il lui fallait, non seulement il voulait un truc trop beau mais pas trop gros, et puis que veux-tu foutre avec une seule balle, hein ? Tu lui aurais proposé quoi, toi ? » Voilà que Pyotr voulait la tester ; ou plutôt, s'enorgueillir était plus correct. En lui répondant Je ne sais pas elle lui affirmait que la situation était vraiment risible mais difficile pour le vendeur, alors que Pyotr avait tout de même réussi à vendre quelque chose. Au lieu de cela, c'est tout naturellement qu'elle lui posa silencieusement sur la table un tout petit pistolet sans barillet. « Un Derringer ? » demanda Pyotr d'un air incrédule. « Parfaitement. Petit, pas trop lourd, discret pour le transporter partout. Bien camouflé dans une serviette prévue à cet effet, vous pouvez vous rendre dans n'importe quel bâtiment hautement sécurisé sans vous faire attraper, d'autant plus qu'un ploutocrate comme Zavettieri ne doit pas trop craindre les fouilles en profondeur. Bon, celui-ci est un Remington et admet deux tirs. Ma foi, ou bien je lui aurai proposé de commander un pistolet semblable à l'original d'Henri Deringer, ou bien je lui aurai dit que mieux valait avoir une seconde chance pour tirer que de louper la seule que l'on ait. » Pyotr était complètement dépassé. Il n'avait pas songé à cette marchandise-là, et se maudit en se disant qu'un Derringer valait davantage que le double prix d'un Colt de détective. « Ma petite Shan Lei, je t'annonce officiellement que tu es loin de toutes ces petites traînées que mon fils s'est déjà faites. » C'est à cet instant que la Fey bondit sur le vendeur en collant le Derringer contre la carotide de sa victime. « Et moi Monsieur Markovnikov, je vous annonce officiellement que je suis loin d'être ici uniquement pour me faire sauter par votre fils ou pour me faire injurier par son père. » Mais un vendeur d'armes malsain ne vendait pas sa marchandise sans en posséder une sur lui. Un sourire narquois s'inscrivit sur son visage lorsqu'il pointa le canon vers son assaillante. « Pose mon arme, salope. » Elle sourit à son tour et recula. « Vous avez raison, Pyotr, mieux vaut ne pas gaspiller une balle de Remington. » Elle posa le pistolet dans sa boîte qu'elle referma. Puis en se retournant vers le russe, elle lui fit d'une voix calme : « Maintenant, posez la vôtre. » Il s'esclaffa de rire : « Haha, tu plaisantes ? Petite garce, je me demandais quand est-ce que tu allais faire ta première gaffe. Je croyais que t'allais me piquer, mais j'avoue que pour les comptes, t'es bonne. » Il s'était lentement dirigé, canon toujours pointé dans sa direction, vers la porte d'entrée. Il retourna la pancarte contre la vitre pour indiquer au prochain visiteur que la boutique était fermée, verrouilla la serrure et baissa les stores. « Maintenant, tu es coincée avec moi. » Shan maintenait toujours ce sourire en coin, même si le voir pointer son arme vers elle lui donnait une pointe de nervosité. Elle demeurait, pourtant, très calme et détendue en apparence. « Non : je dirai plutôt que vous êtes coincé avec moi. » Et à partir de cet instant, l'atmosphère se resserra sur Pyotr. Il eut l'impression qu'une force invisible voulait l'étouffer, et il lâcha instantanément son arme de poing pour porter ses mains à la tête. Ses grimaces témoignaient de la force grandissante qui l'oppressait ; la douleur s'accentuait au fur et à mesure que Shan Lei approchait de sa victime. Quand l'armurier leva le regard vers le visage de la jeune fille, il vit que ses yeux étaient d'un bleu givré, encore plus glaçant que celui de Tonuzzi. Il se lamenta en russe et fit une moue désespérée en la voyant s'approcher et s'accroupir auprès de lui. « Pitié, pitié ! Je ne veux pas... Je ne veux pas que tu me suces le sang... Je ne veux pas mourir... » Son accent russe était encore plus présent lorsqu'il avait peur. « Créature des ténèbres... Je te respecte... Je respecte tous les tiens ! Ne me mords pas ! » glapit-il en fermant les yeux lorsqu'elle se mordit sensuellement les lèvres. En fait, ce misérable la prenait pour une vampire, ce qui arrivait souvent depuis la grande révélation. Elle était bien mieux que cela : une Sidhe. Mais cela, ils l'ignoraient tous. « Je... je ferai tout ce que tu voudras... » La phrase magique ! Elle relâcha la tension pour soulager cet imbécile le temps de quelques secondes. « Tout ? » demanda-t-elle d'un air faussement étonné. « A condition que tu ne me fasses pas souffrir ! » hurla-t-il d'une voix désespérée et fluette « et que tu ne me tue pas ! Et que tu ne touches plus à Alexei ! » Elle esquissa un sourire ; ça, c'était un homme d'affaires qui allait droit au but ! « Ca fait trois vœux. Tu es d'accord avec moi que tout cela sera exaucé si tu acceptes trois conditions. » C'était également un plaisir de pouvoir enfin le tutoyer, et de sentir sa dominance sur cet ingrat qui venait de hocher la tête expressément en guise de réponse affirmative. « Bien. Tout d'abord, comme première condition, tu vas me remettre le Silver Bullet. Je veux en devenir la propriétaire, autant pour la boutique que pour le bâtiment, bien entendu. » Il s'étonna : « Mais pourquoi ? Je... » « Ne discute pas. » l'interrompit-elle d'une voix ferme et autoritaire ; le bougre se tût mais conserva sa moue perplexe. Il semblait tout à coup moins craintif de ses pouvoirs. Shan eut un profond soupir, comme fatiguée par son caprice : « On peut négocier, si tu n'as pas peur de tâcher le sol de ton propre sang. » Aussitôt prévenu, le russe se mit à trembler ; il arborait une mine effrayée, les yeux écarquillés et la peau blême, si bien qu'il accepta sans sourciller de tout lui céder - le bâtiment, la société, la marchandise et tout le reste. « Alors si tu veux que je ne touche plus à ce cher Alexei... » elle avait prononcé cette phrase d'une voix si sensuelle doublée d'un air d'appétit qui fit frémir à nouveau le père « je ne vois pas d'autre solution que celle du déménagement. Allons Pyotr, vivre à Shreveport quand on a un fils prodige qui fait ses études à Atlanta ? Mieux vaut que tu partes là-bas avec ta femme pour le rejoindre et l'encourager. Alexei ne sera plus obligé de revenir les week-ends pour vous voir, ce qui l'aidera un peu moins difficilement à se passer de moi. D'autant plus que Atlanta semble moins touché par notre présence... » Il acquiesça sans hésiter ; oui, le déménagement, c'était la meilleure solution après ce qu'il était en train de se passer. « Enfin, ma dernière revendication est la suivante : si tu ne veux pas mourir, il va falloir que je réarrange un peu tes souvenirs. Rien de bien méchant, je te rassure ; mais tu ne deviendras pas plus intelligent et courageux pour autant. » Il parut effrayé et rebuté par cette perspective. Il était certain que cette réaction était souvent celle attendue lorsque l'on vous annonçait qu'on allait trifouiller dans votre mémoire. « Mais qu'est-ce qu'ils ont mes souvenirs ? Ne fais pas ça, je te promets de ne rien dire à personne. » Il se redressa et avança les mains comme pour négocier. Elle tiqua et prononça d'une voix sombre : « Alors tu vas devoir mourir, Pyotr. » L'armurier se remit à glapir : « Non, non, je ne veux pas mourir, non ! » Il se tut un instant avant d'accepter l'offre de la créature : « Fais ce qu'il y a à faire... Pourvu que cela ne me semble qu'un mauvais rêve... » « Cela te semblera moins qu'un mauvais rêve. »

Voilà comment, le soir-même, Shan fut la propriétaire du Silver Bullet. Les Markovnikov avaient déménagé le lendemain matin ; on ne se posa pas plus de questions dans le quartier. Après tout, les uns disaient que l'armurier avait prévu le coup depuis longtemps et ce depuis qu'il avait accepté l'aide de la charmante Shan Lei ; d'autres aiment mieux raconter que ce sacré Pyotr avait mouillé dans des affaires douteuses, et qu'il avait décidé de prendre sa retraite anticipée pour s'éloigner de ces mauvaises histoires ; sauf que pour Pyotr et Yeva, leurs motivations étaient toutes autres : se rapprocher de leur enfant était le principal, et s'éloigner de Shreveport n'en était que plus délectable vu comme la ville tournait mal avec ces créatures de la nuit encombrant les rues.
Shan Lei n'avait pas fermé la boutique, au contraire : mieux valait ne pas perdre la fidèle clientèle. A son premier jour, elle avait déjà commencé à réorganiser le Silver Bullet et à parler bien plus librement en ne craignant pas d'être mêlée aux sales affaires, auxquelles elle jouait un atout primordial pour bien conseiller ses visiteurs. Son but ? Que le Silver Bullet ne devienne pas seulement qu'un magasin d'armes pas cher où l'on ne pose pas plus de questions que cela à l'achat d'un quelconque article, mais qu'il devienne une réelle plaque tournante. Avec la révélation, le visage de cette ville allait être meurtri : chacun préférait être armé, d'autres choisissaient de s'armer généreusement afin de combattre ces créatures surnaturelles qui ne craignaient plus de s'afficher. Il fallait également penser à renouveler la marchandise afin de satisfaire les clients, et attirer tous les tueurs à gages afin que la boutique devienne leur port d'attache.
La première journée du Silver Bullet appartenant à la jeune Feng se passa très bien. Au soir, quand Shan eut bien tout verrouillé et alors qu'elle prenait la direction du Lilith Castle, plusieurs idées révolutionnaires fusèrent dans son esprit. Certes, le Silver Bullet deviendrait son petit chéri comme sa bonne vieille boîte de strip-tease ; ils formeraient un excellent tandem pour des plans futurs. Des idées, des nouveaux concepts, des illuminations, une inspiration, des réflexions, une obsession naquit : être à la tête de quelque chose de grand... et de terrible.

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