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« Comment elle est morte maman ? », demanda une petite voix, venant d'un coin d'ombre. Il était tard, certainement pas loin de minuit, et Ronald Fothergill travaillait sur un dossier à la lueur d'une lampe : le reste de son bureau était dans la pénombre. Trop accaparé par son travail, il n'avait même pas entendu sa fille unique entrer. Adellà, son petit trésor. Qui avait toujours des questions agaçantes. Fothergill fit signe à sa fille d'approcher, et elle s'exécuta. Il remarqua qu'elle n'était même pas en pyjama. Il pensait pourtant qu'elle dormait depuis longtemps. « Tu t'es réveillée ? Un cauchemar ? », demanda-t-il en posant son stylo. Adellà fit non de la tête. « Alors quoi ? », s'enquit-il un peu plus brusquement. « Je n'ai pas dormi, je n'y arrive plus. », répondit la jeune fille. En effet, cela faisait quelques temps qu'elle avait beaucoup de mal à s'endormir. Elle ne dormait que quelques heures par nuit, et encore dans les cas les plus heureux, et se retrouvait le matin toute pâle, les yeux fatigués. Ronald avait une expression indifférente, mais au fond de lui, il commençait à s'inquiéter. Il avait toujours vu sa fille comme une petite chose fragile, et le phénomène s'était accentué lorsque sa femme, Cinzia Fothergill, était décédée des suites d'une maladie plus ou moins étrange. Adellà avait alors trois ans, et son père avait dû assumer seul son éducation, n'ayant plus de famille proche. La famille de Cinzia, sa défunte femme, avait coupé les ponts avec lui. Il s'était alors dit « bon débarras », parce qu'ils ne s'étaient jamais appréciés. « Alors, comment elle est morte maman ? », redemanda Adellà, fixant de ses yeux bleus les feuilles étalées sur le bureau de son père.

Ronald soupira longuement : ce n'était vraiment pas son sujet préféré. Il avait beaucoup souffert de la mort de sa femme, s'était même retrouvé en colère à cause des circonstances. Cinzia était une métamorphe. Elle le lui avait annoncé trois jours avant leur mariage et Ronald, humain tout à fait normal, avait eu beaucoup de mal à y croire. Il n'avait jamais relevé que sa femme partait à chaque pleine lune, par exemple. Il n'avait jamais compris non plus pourquoi sa femme préférait, lorsqu'elle était malade, aller voir son amie Kathryna, une vétérinaire. Cinzia lui avait alors expliqué qu'à chaque pleine lune, elle était obligée de se transformer en biche. C'était comme une malédiction pour elle, ou du moins un lourd fardeau. Elle lui avait aussi dit qu'elle espérait que l'enfait qu'elle portait alors - Adellà - n'allait pas hériter de ce don, mais que c'était fort possible. Et aussi que son amie Kathryna était également une métamorphe, ainsi que plusieurs autres amis à elle. Mais dans l'ensemble, ils étaient tout à fait normaux. Ronald s'était retiré tout seul une journée, durant laquelle il se rendit compte qu'il aimait sa fiancée et que rien ne l'empêcherait de continuer à l'aimer ainsi. Alors il avait accepté, ils s'étaient mariés et cinq mois plus tard, Adellà naissait. Un jour très heureux, d'ailleurs. Ils habitaient alors en Alabama et décidèrent de racheter une ancienne ferme en Louisiane, près de Bâton Rouge. Ronald ne l'avait pas quitté, même après la mort de sa femme, survenue après sept ans de vie commune et trois ans de mariage. Cinzia, lors des nuits de pleine lune, était une biche. Et c'est en tant que biche qu'elle mourut. Elle avait contracté une grave maladie qui n'atteignait généralement que les animaux. Affaiblis également par une autre maladie de nature humaine, elle mourut en deux mois. Deux mois terrible, où personne n'avait pu l'aider. Kathryna, son amie métamorphe et vétérinaire, n'avait pu que la soulager un peu. Mais on s'y était pris trop tard et il n'avait plus été possible de la sauver. Mrs Fothergill était condamnée et laissait derrière elle un veuf anéanti et une petite fille qui n'y avait rien compris.

« Elle était très malade, je te l'ai déjà dit. Tu sais que je n'aime pas parler de ça. », finit-il par répondre, de plus en plus bas. Adellà hocha la tête, s'avança encore un peu vers son père. Il l'observa un moment : ses cheveux blonds, ses yeux bleus, la fragilité qu'il sentait en elle. Elle n'avait que six ans, elle était encore innocente. Il ne pouvait pas lui donner de détails, pas encore. Et si jamais - ô il l'espérait vraiment - elle n'avait pas le même don que sa mère, il ne le lui dirait probablement jamais. Il voulait la protéger de ça, de tout même. La réponse de sa fille lui créa pourtant des sueurs froides : « La dernière fois que je me suis endormie, j'ai fait un rêve. J'étais un chat, au début. J'étais dans une forêt. Puis j'ai aperçu une biche. Et je suis devenue un faon, je l'ai suivi. Elle a tourné derrière un arbre et quand je suis arrivée à son hauteur, elle avait disparu. Et je me suis réveillée ... La fenêtre était ouverte. ». Il y eut un long moment de silence, où la nervosité de Mr Fothergill transperçait. Adellà le ressentit, malgré que son père faisait tout pour se calmer. Ca ne veut rien dire, se répétait-il dans sa tête.

Mais si, ça voulait tout dire.

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A peine une semaine plus tard, il n'y avait plus aucun doute. Adellà était, comme sa mère avant elle, une métamorphe. Elle s'était évanouie en début de soirée, alors qu'elle flânait dans le grand salon. Elle avait entrainé dans sa chute un vase, qui s'était fracassé sur le sol. Le bruit avait attiré Mr Fothergill, qui avait alors assisté avec effroi à ce qui devait être la première transformation de sa fille - mais rien n'était moins sur, peut-être que son rêve avait été une réalité inconsciente. Sous ses yeux, petit à petit, sa fille devint un chaton de couleur sable. Elle avait disparu sous sa robe blanche qu'elle portait alors, et lorsqu'il ramassa la robe, le chaton était là. Mais Adellà, même en chaton, restait inerte. Son père l'attrapa dans ses bras et se mit à pleurer involontairement. Ses espoirs de voir sa fille mener une vie normale et tranquille étaient désormais à jamais éteints. Il avait peur également, parce qu'il ne savait pas s'y prendre, il n'avait pas assez de connaissance sur les métamorphes. Il n'avait jamais vu sa femme sous forme de biche, sauf une ou deux fois dans ses derniers mois de vie. Mais il n'avait pas assisté à la transformation, c'était la première fois qu'il voyait ce phénomène s'opérait sous ses yeux. L'image du corps de sa fille entrain de rétrécir, de se transformer, de se recouvrir d'un poil couleur sable ... Il se sentait étourdi et dû s'asseoir, Adellà le chaton toujours dans ses bras. Il la tint ainsi toute la nuit, puis finit par s'endormir sur le canapé. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il avait dans ses bras sa fille, de nouveau sous forme humaine. Elle dormait paisiblement mais était nue. Alors il l'allongea sur le canapé et la recouvrit d'une couverture, puis la veilla, se préparant à ses questions.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux au petit matin, Adellà était toute engourdie. Elle avait des courbatures, comme si elle avait courru un marathon la veille. Elle se rendit compte alors qu'elle était nue, et elle poussa un petit cri de surprise. Son père était éveillé à ses côtés et la regardait d'un air perdu. « Papa ? Pourquoi ... Papa ?! », s'exclama-t-elle avec sa petite voix enfantine. « Tu ressembles tellement à ta mère ... Elle était brune, tu es blonde. Mais tu es son portrait craché. Ca ne pouvait pas en être autrement, je me suis fait des idées ... J'aurais dû t'en parler mais je ... je pensais que tu serais normale ... », répondit son père sur un ton triste. Elle ne comprenait rien à ce qu'il disait, du haut de ses six ans, et cela la fit pleurer, rien que par le ton qu'empruntait son père. Ce dernier se leva de son fauteuil et attrapa son téléphone, puis composa un numéro. « Cela fait bien trois ans que je ne lui ai pas parlé, mais je vais appeler Kathryna. »