histoire.

"His eyes said it all
I started to fall
And the silence deafened"

Nous avions la vie qui nous souriait. Et peut-être étions-nous stupides, bernés par l'existence de l'autre qui nous confortait dans des certitudes chimériques: nous nous aimions, nous étions heureux, rien ne pouvait nous arriver. Sans doute n'aurais-je pas dû être si dupe, et me douter que cela n'allait pas durer. Nous avions grandi ensemble, au sein de la Blanche Confrérie qui nous avait accueilli et offert un foyer lorsque nos familles respectives ne purent remplir ce rôle. La sienne l'avait abandonné, la mienne avait tout simplement disparu. Mais nous, nous étions restés. Nous avions survécu. Et à passer notre vie ensemble, vint un jour où ce fort sentiment d'amitié et de respect se mue en quelque chose d'autre, d'encore plus fort. Notre complicité aux yeux des dieux ne faisait aucun doute sur notre certitude d'être intouchables, et c'est la nuit de notre troisième anniversaire de mariage, alors qu'il m'emmenait encore je ne sais où pour une de ces innombrables surprises, que notre vie bascula.

Je n'ai jamais été en mesure de décrire avec précision les secondes qui menèrent à l'accident. La seule chose qui s'enregistrait dans mon esprit alors était le sentiment de froid contre ma joue, bris de glace qui laissaient leurs marques sur ma peau alors que mon visage grattait contre le bitume. Il vous faut toujours quelques instants, dans des moments pareils, pour retrouver vos repères, pour reprendre conscience de ce qui vous arrive et la gravité de la situation dans laquelle vous vous trouviez. La mienne était claire, des situations: nous avions eu un accident de voiture. A cette pensée, je me souviens du flot de panique qui m'a envahie, ne me demandant que deux choses: où étaient mon enfant et mon mari. Je mis quelques secondes avant de me souvenir que Katharine, notre fillette de quatre ans, passait la nuit chez celle qui fut ma mentor au sein de la Confrérie. Un gémissement de douleur m'informa la seconde d'après de l'endroit où se trouvait Andrew, même si j'eus du mal à tourner la tête pour l'apercevoir, à fixer mon regard au sien et à prier les dieux que tout aille bien pour lui. La soirée, notre soirée, était supposée bien se dérouler et non pas finir comme ça.

Je ne me souviens pas des détails. Je ne me rappelle pas de témoins, ni d'avoir entendu un crissement de pneu, ou quoi que ce soit. Je ne me rappelle de rien, on me l'a raconté après coup. Que les gens ne comprenaient pas ce qui nous avaient fait quitter la router. Qu'il n'y avait qu'une grosse bosse bizarre dans notre capot, comme si nous avions heurté un animal... mais aucune dépouille de chevreuil n'ayant été retrouvée. Bien des théories. Mais aucun souvenir de cela. Ce dont je me souvenais, en revanche, allait me hanter toute ma vie: ses yeux. L'expression de son regard. Terrifié, à bout de souffle, craintif et pessimiste quant à son avenir proche. Pendant un instant, j'aurais pu jurer qu'il avait semblé soulagé de m'entendre gémir de douleur. Peut-être que ce son le rassurait, qu'il le convainquait qu'il ne m'avait pas tuée. Pas moi... Non, lui. C'était lui qui mourrait, lui dont le regard perdait peu à peu de son éclat. Moi, ma vue était troublée, rougeoyante du sang qui me coulait sur les yeux... mais je ne voyais que lui. Et j'ai tendu la main...

"Head spinning round
No time to sit down
Just wanted to
Run and run and run"

La main qui se retrouvait capturée en la mienne, aujourd'hui, était bien plus petite. Plus fragile. Et par automatisme, je me suis mise à frotter mon pouce sur la douce peau de ma fille dans un geste que j'espérais rassurant, un peu comme pour dire "tout ira bien, je suis là". Sauf qu'au final, j'ignorais qui j'espérais réconforter: elle ou moi. Je ne l'avais pas emmenée à la cérémonie, je pensais que ce n'était pas exactement le genre d'endroit où une gosse de 4 ans devait se trouver... Mais elle était futée, notre enfant. Je doutais qu'elle comprenait réellement ce qu'englobait le concept de mort, à son âge, mais je savais qu'elle avait réalisé ce que ça voulait dire pour elle et moi: papa ne rentrerait pas à la maison ce soir. Ni demain. Ni jamais. Et je me sentais stupide, parce que je gardais l'impression qu'au final, c'est elle qui était là pour moi plus que moi pour elle. Je ne comptais plus les fois où elle se montrait plus forte que moi, à venir se lover dans mes bras lorsque les pleurs me secouent la nuit, endeuillée par le manque qui m'étreignait le coeur... Ma fille était forte. Elle était tout le portrait de son père, beaucoup trop mature pour son âge... et elle faisait ma fierté. Elle s'avança de quelques pas pour déposer un dessin qu'elle avait fait pour son père, le posant contre la pierre comme un trophée que lui seul allait être autorisé à admirer. Je l'avais placé dans un petit cadre plastifié, histoire de ne jamais laisser la pluie abîmer l'art de mon enfant...

Elle se retourna vers moi, m'offrant un de ces sourires si adorables et honnêtes qu'ils me rendaient le mien dans l'instant. Elle replaça une mèche rebelle derrière son oreille, et prit ensuite la main que je lui tendais pour me suivre hors du cimetière. Loin. Nous étions venu dire au revoir à son père, à mon mari, à mon meilleur ami, puisque j'avais décidé de quitter le pays pour m'éloigner de toute cette histoire. J'avais besoin d'un nouveau départ, même si dans le fond j'étais plus pressée de m'éloigner du Conseil de la Blanche Confrérie qu'autre chose. Je me sentais trahie au plus profond de moi, tous ces préceptes sacro-saints de bien qui triomphait du mal et de ne pas laisser aller. Cela ne l'avait pas protégé lui, et j'allais assurément m'assurer que cela n'arrive pas à mon enfant également. J'en ai assez de suivre les règles des autres, je pense qu'il était temps pour moi de penser à mon propre bien-être et à celui de ma fille, quel qu'en était le prix...

Notre départ fut salué par l'averse qui s'annonçait, comme si quelqu'un là haut s'était soudainement mis à pleurer notre perte à son tour. Mais j'étais décidée à ne pas me retourner, à m'éloigner de ce passé qui ne faisait que faire mal à ceux qui s'y intéressaient de trop près. Le Vieux Continent nous avais don de cette douleur, j'espérais juste que le Nouveau Monde était porteurs de meilleurs cieux...

test rp.

"Ever wanna be free?
Do you even remember?
Want to be god and devil like me?"

J'adorais entendre ce bruit. Katie, courant dans le magasin que j'avais réussi à acquérir il y a quelques temps, transformant ce local vide et sans vie en l'une des boutiques de magie les plus populaires de la région. Et en reposant le livre à l'étagère sur laquelle je l'avais pris pour le montrer à un client, ma fille passe en un éclair d'un côté à l'autre de la pièce en courant et en riant. Elle jouait. Elle adorait jouer, et vu son jeune âge ce n'était pas quelque chose que je pouvais bien lui reprocher; j'avais même appris à relooker l'ordre général de mon magasin de manière à ce que les choses qui cassent et qui coûtaient cher se retrouvaient en sûreté dans des armoires en dur qui ne risquaient pas de chuter si elle cognait dedans. Croyez-moi, j'avais déjà eu la blague, même si je ne pouvais jamais vraiment lui en vouloir pendant bien longtemps.

"Ma chérie! Laisse Ariel tranquille s'il te plaît...", demandais-je d'une voix qui laissait bien comprendre que je ne comptais pas me laisser aller à son minois réclamant que je la laisse tranquille pendant qu'elle faisait un câlin à mon employée.

Me penchant doucement en arrière dans le but d'apercevoir l'avant du magasin, j'eus de quoi confirmer mes suspicions: Katharine était collée aux jambes d'Ariel dans une embrassade qu'elle voulait adorable et la jeune femme en question, elle, semblait plus tendue à chaque seconde. Je savais qu'elle n'aimait pas trop les enfants, les craignant pour je ne sais quelle raison. Et s'il arrivait toujours à Katie d'ignorer cette crainte et de lui offrir son petit câlin quotidien, Ariel avait un boulot à faire et la voir figée là en plein milieu des comptes n'étaient pas réellement favorables à un travail bien fait.

Avançant progressivement vers ma petite princesse, accueillant sa moue boudeuse avec une grimace à mon tour, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à son père et moi, courant dans les jardins d'Oxford alors que les précepteurs insistaient pour nous enseigner des leçons que nous n'étions pas vraiment inspirés à apprendre. Aussi peu réceptive aux préceptes que j'étais aujourd'hui, je devais au moins accorder du crédit à ces magiciens pour avoir eu la patience de nous supporter toutes ces années, déterminés à nous transmettre leur savoir. Je tendais les mains vers ma petite, lui inspirant ainsi le désir de me sauter dans les bras -chose qui fut facilitée dès l'instant où je me suis penchée pour la récupérer. Elle grandissait et commençait doucement à ne plus vouloir venir dans mes bras aussi souvent qu'avant, mais j'avais encore mes petits privilèges. Je fis signe à Ariel que je me rendais dans l'arrière-boutique avec mon enfant, ce à quoi la jeune femme acquiesça d'un bref signe de tête, probablement soulagée de ne plus être dans les environs immédiats de ma fille. Cela faisait à peine quelques mois que je l'avais embauchée pour m'assister au magasin, mais je lui faisais déjà une confiance aveugle telle que je n'en avais jamais accordée auparavant. Et si je ne doutais pas de son désir de bien faire et donc, ne craignait pas de coup fourré, certaines choses n'étaient réservées qu'à ma fille et moi...

La Grande Révélation avait semblé être un coup de fouet pour l'espèce humaine et presqu'aussitôt, diverses modes étaient nées: se prendre pour des sorcières et jouer avec des forces qui les dépassaient en faisait partie. C'est ce qui a motivé la création et l'ouverture de cette petite boutique, où les ignorants trouveraient des babioles qu'ils ne comprenaient pas pour se prendre pour ce qu'ils n'étaient pas, et où les vrais praticiens venaient se fournir sous le couvert d'une manie rendue populaire par l'humanité entière... Le magasin en lui-même disposait d'un sous-sol qui servait principalement de réserve, et d'une petite mezzannine qui servait parfois de coin lecture pour les gens qui étaient intéressés assez par l'ésotérisme pour oser se plonger dans ces bouquins séculaires. La marchandise principale, quant à elle, était disséminée dans le magasin sur des tables, des étagères ou encore des vitrines de présentation. Ariel se trouvait actuellement au comptoir, à réviser les comptes de la journée alors que moi je me dirigeais vers l'arrière: là où seul un rideau noir marqué de symboles d'or séparait l'arrière-boutique du reste du magasin. Avec Katie dans les bras, je passais le seuil de ce sanctuaire qui n'appartenait qu'à nous. Ce lieu où je pratiquais. Ce lieu où elles apprenaient...

Quoi de plus normal, après tout, que de trouver un autel de cérémonie dans une boutique de magie, hein?


famille.
Isabella Jane Parrish & John O'Neill ✤ parents ✤ ils ont disparu alors que je n'avais que 7 ans. Personne n'a jamais su ce qui s'était passé, dessinant un premier voile de mystère sur ma famille

Ryan Rosewood ✤ époux ✤ lui et moi avons pendant longtemps été Gardiens de la branche britannique de la Blanche Confrérie. Il est mort tué dans l'accident de voiture dont nous avons été victimes il y a plus de deux ans. J'ai toujours été persuadée qu'il y avait plus sous cet accident qu'un véritable incident de la route...

Katharine "Katie" Rosewood ✤ fille ✤ ma fille, ma déesse, mon inspiration. Je suis prête à tout pour elle, tout en tâchant de l'élever de mon mieux dans cet univers qui se prouve être plus oppressant et dangereux que ce que j'avais cru pendant trop longtemps...